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Shakespeare and Company, un siècle de littérature américaine à Paris

par Élisabeth Pan
Livre Librairie Publié le 12/04/2021
Paris, 1919. John Cale en fera une chanson. Mais Sylvia n’est sait rien quand elle ouvre à Paris sa librairie. Arrivée tout droit du New Jersey, l’Américaine ignore que Shakespeare and Company aura une longue histoire et qu’elle, Sylvia Beach, sera encore dans les mémoires au 21ème siècle.

L’histoire de Shakespeare and Company, à la fois librairie et bibliothèque, débute en 1919 au 8 rue Dupuytren, dans le 6ème arrondissement de Paris. Sa créatrice Sylvia Beach, alors âgée de 32 ans, est une expatriée américaine venue du New Jersey. Elle ne le sait pas encore, mais la librairie qu'elle vient d’ouvrir deviendra iconique. Il faudra cependant attendre 1921 pour que Shakespeare and Co gagne son emplacement emblématique au 12 rue de l’Odéon.

La librairie fut vite le centre d’intérêt de l’intelligentsia anglo-américaine vivant à Paris. Elle avait l’avantage, pour ses clients, de posséder des copies de livres interdits en Angleterre et aux États-Unis, à l’instar du roman de D. H. Lawrence, L’Amant de lady Chatterley. Shakespeare and Company accueille en ses murs certains des plus grands écrivains américains de l’époque. On y croise F. Scott Fitzgerald, célèbre auteur de Gatsby le Magnifique, le poète Ezra Pound, l’auteure féministe Gertrude Stein, le compositeur George Antheil, l’artiste Djuna Barnes, la peintre et écrivaine Mina Loy, le photographe Man Ray, et tant d’autres… Ces artistes de la Lost Generation (génération perdue) s’y retrouvent pour passer un bon moment, se ressourcer, se rencontrer. Certains viennent faire des lectures publiques de leurs travaux, on y écoute Paul Valéry, André Gide, T. S. Eliot., et même Ernest Hemingway qui vint exceptionnellement faire une lecture, uniquement parce que Stephen Spender accepta de se joindre à lui.

L’Irlandais James Joyce était un des plus grands adorateurs de Shakespeare and Co. Il y venait souvent, s’en servait de bureau, et avait surnommé la librairie « Stratford-on-Odéon » (Stratford sur Odéon). C'est Sylvia Beach, grande admiratrice de son écriture, qui publia en 1922 son roman Ulysses, alors très controversé, et banni des États-Unis comme d’Angleterre. L’année suivante, elle contribua activement à la publication du premier livre d’Hemingway, Three Stories and Ten Poems (Trois histoires et dix poèmes). L’auteur mentionna d’ailleurs la librairie et ses habitués dans son récit autobiographique Paris est une fête.

Les années 30 furent austères, la majorité des clients anglais et américains de la librairie ayant quitté Paris. Mais Sylvia Beach ne suivra pas les expatriés américains qui quittent la France entrée en guerre. En décembre 1941, sous l’occupation allemande, la librairie doit fermer, et la propriétaire stocke les livres dans son appartement. Elle est incarcérée en 1943 en tant que citoyenne américaine au camp d’internement de Vittel. A la fin de la guerre, Hemingway « libéra personnellement » la boutique, mais elle ne rouvrit jamais, Sylvia Beach ne s’en sentant plus la force.

 

L’histoire de Shakespeare and Co ne s’arrête cependant pas là. En 1951, dix ans après sa fermeture, l’américain George Whitman ouvrit une nouvelle librairie spécialisée dans la littérature anglaise, Le Mistral, au 37 rue de la Bûcherie, en plein quartier latin. La boutique devint à son tour le centre de l’attention du monde littéraire. Les premiers habitués furent des artistes de la Beat Generation (mouvement littéraire né dans les années 50 aux États-Unis) comme Allen Ginsberg, Gregory Corso et William S. Burroughs. Plus tard, la librairie accueillit d’illustres personnalités. On y croisa James Baldwin, Anaïs Nin, Julio Cortázar, Richard Wright, Lawrence Durrell, Max Ernst, Bertolt Brecht, William Saroyan, Terry Southern, et des éditeurs du Paris Review. Whitman modela sa librairie à la manière de Shakespeare and Company, si bien que, lors d’un dîner en 1958, Sylvia Beach lui fit cadeau du nom.

En 1964, après le décès de Sylvia Beach et en l’honneur du 400ème anniversaire de William Shakespeare, Whitman donna enfin à sa boutique le célèbre nom de Shakespeare and Company. La librairie avait fini sa traversée, et elle resta la même jusqu’à aujourd’hui, alors qu’elle est sous la direction de la fille de son second créateur, nommée Sylvia Beach Whitman, d’après la première créatrice de .Shakespeare and Company. Malheureusement, avec la pandémie de Covid et en raison de graves soucis budgétaires, la boutique faillit disparaître. Mais, grâce à l’aide d’amis proches et de clients fidèles, elle est aujourd’hui plus populaire que jamais.

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