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Mot de passe oublié ?Il y a des titres comme ça qui entrent en résonance avec ce que l’actualité porte de plus inquiétant. Alors que sont tombées de mauvaises nouvelles en provenance des Amériques, Papa, pourquoi t’as voté Hitler ? est de ceux-là. Avec cet album de littérature jeunesse, l’écrivain Didier Daeninckx signe un cinquième ouvrage dans la collection Histoire d’histoire des éditions Rue du monde, le quatrième illustré par Pef après la trilogie Les trois secrets d’Alexandra, trois albums dont l’action se déroule pendant l’occupation nazie. Le principe de la collection, revisiter les heures sombres du XXe siècle à travers le regard d’un enfant. Mise à part cette particularité du point de vue du narrateur, cette démarche s’inscrit complètement dans celle que suit l’auteur de Meurtre pour mémoire à travers son œuvre, depuis plus de 30 ans et une bibliographie longue comme le bras. « J’ai essayé de raconter comment, par le choix des hommes, la catastrophe est arrivée », explique-t-il.
Comment s’installe une dictature. L’histoire débute sur une dispute des parents du jeune narrateur en désaccord sur le candidat pour qui voter, le dimanche 5 mars 1933, date à laquelle Hitler a été porté au pouvoir par les urnes. Dans un récit remarquablement illustré par Pef, avec sa grande sensibilité pour cette période d’une histoire qui l’a profondément marqué durant son enfance, mais illustré aussi par des photos et textes documentaires, le livre s’achève 12 ans plus tard, en 1945 après la chute du régime nazi. Sans concessions, il raconte comment s’est installée la dictature avec sa politique de terreur, les camps d’internement dont les premières victimes ont été les personnes handicapées, les tziganes, les homosexuels, les opposants politiques, avant la mise en œuvre de la solution finale.
Les responsabilités des individus. « On ne peut pas dire qu’en 1933, les Allemands qui ont voté Hitler aient été pris par surprise, ils ont choisi d’installer un régime dictatorial », explique l’écrivain. « Notre attitude est d’interroger cette période durant laquelle il y a eu une course vers l’abîme, où des mouvements nationalistes, racistes, ont eu droit de cité. » L’album se pose comme une réflexion sur le sens des responsabilités des individus quand s’offrent à eux des choix de la pire espèce. Mais comment ne pas faire le lien avec les temps présents quand on songe à l’installation de régimes nationalistes en Hongrie, en Pologne, en Turquie, à l’influence grandissante de l’extrême droite en Europe, au dictateur des Philippines Rodrigo Duterte, arrivés tous au pouvoir par les urnes ?
Quand la catastrophe est le fruit de la volonté des hommes. « Dans de nombreux pays, les gens s’expriment par exaspération, par manque de réflexion, par mauvais instincts, ils votent pour la pire des solutions », constate Didier Daeninckx. « Le livre n’est pas une sorte de mode d’emploi pour les temps présents, notre démarche est plus complexe, elle est d’interroger cette période des années 30 car c’est à la manière dont le passé pose des questions qu’on peut voir quels sont les enjeux du temps présent. La catastrophe, ce n’est pas toujours quelque chose qui survient comme un orage qui éclate, comme un ouragan qui s’abat sur le monde. Ça peut aussi être le fruit de la volonté des hommes qui, par leurs actes, ont mis en marche un engrenage funeste. » L’album paru en octobre se termine sur les décombres d’une ville en ruine, avec cette question de l’enfant devenu adolescent à son père, « Dis papa, pourquoi t’as voté Hitler ? ».