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Mot de passe oublié ?« Comme ce soir-là je faisais ma feignasse, je suis allée au balcon… La salle était comble, ambiance de folie. Je me remplissais de plein de bonne musique dans les oreilles !!! Puis un gars a fait sauter des pétards, pas très malin le mec… La réalité, c’est que les gens tombaient comme des dominos… » C’est ainsi que dans Chroniques d’une survivante, Catherine Bertrand décrit le début de la fusillade perpétrée par trois kamikazes dans la soirée du 13 novembre 2015 dans la salle de concert Le Bataclan. Dans ce carnet de dessins, la jeune femme décrit avec minutie mais non sans prise de distance, ces minutes terrifiantes et les souffrances et les difficultés de la vie d’après.
J’ai compris que ne m’en sortirai pas comme ça. « Au début, il y a eu l’euphorie d’en être sortie vivante, je ne me sentais pas victime », raconte-t-elle. Mais même toujours en vie, peut-on sortir indemne d’un tel cauchemar ? « Trois jours plus tard, j’ai pris le métro et j’ai fait une grosse crise de panique à cause des marteaux-piqueurs, il y avait des travaux. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. En revanche, j’ai compris que je ne m’en sortirai pas comme ça ». En réalité, Catherine vient d’être frappée par la première manifestation des symptômes liés à son état de stress post-traumatique, un ESPT, dont sont souvent victimes « les personnes exposées à un événement traumatique dans un contexte de mort, de menaces de mort, de blessures graves ou d’agression sexuelle », comme disent les psychiatres.
La maladresse qui fait mal. Aujourd’hui Catherine décrit ces manifestations comme imprévisibles et pouvant prendre des formes diverses. Ce sont les crises d’angoisse, les cauchemars, les trous de mémoire, les moments d’abattement ou d’hyper-irritabilité, la difficulté de communiquer avec son entourage, le casse tête face à l’impréparation des services administratifs, juridiques ou médicaux pour prendre en charge les victimes d’attentat. Et le tout s’accompagne de sentiments allant grandissant, celui de l’incompréhension, celui de l’isolement. « J’ai eu l’impression de devenir un ovni tellement je ne me sentais plus trop humaine. Personne à coté de moi ne vivait ce que je vivais, sauf mes amis rescapés bien sûr, mais dans mon entourage c’était l’incompréhension. Ils voulaient m’aider mais ne savaient pas comment faire et dans ces cas, les gens commencent à dire des choses très maladroites. Et en fait, ça fait mal la maladresse. »
Le dessin comme médiateur. Dans les semaines qui suivent, dans l’incapacité de communiquer avec les siens, c’est le dessin qui va lui servir de médiateur. « Je travaillais comme archiviste dans une agence photo, mais j’ai toujours aimé dessiner. C’est ainsi que j’ai voulu expliquer à mon entourage ce que je vivais. Puis j’ai montré mes dessins à mes amis rescapés de l’association Life for Paris. Ils ont adoré, m’ont demandé de continuer pour pouvoir les montrer à leurs proches aussi ». Professionnellement, arrêts maladie, mi-temps thérapeutique vont la conduire à tout changer, à s’installer comme graphiste et illustratrice free-lance, un métier qui l’a toujours attirée sans qu’elle n’ait pour autant franchi le pas. « Quand on passe à côté de la mort on a envie de vivre pleinement sa vie ».
Un boulet lourd à porter. Catherine dessine en noir et blanc, sur une tablette graphique, des planches semblant tracées à l’encre de chine. Les textes sont écrits de sa main. Dans son univers graphique, le syndrome prend la forme d’un boulet dont la taille varie au gré de son état psychique, allant jusqu’à occuper la quasi totalité de l’espace quand Catherine est au plus bas, assise recroquevillée dans le coin de la page. « Le symbole du boulet est arrivé dans ma tête comme ça. C’était évident pour moi de représenter ma souffrance de cette manière parce que c’est une énorme charge, un truc lourd qui pèse son poids et qui est attaché à soi. Le boulet, c’est comme s’il faisait partie de moi. La blessure est invisible, j’avais besoin de focaliser sur un objet ».
Traits d’humour et autodérision. Le sujet des Chroniques d’une survivante est grave bien sûr, mais le carnet ne manque ni de traits d’humour ni d’autodérision. Une page est par exemple dédiée au Manuel du survivor à Paris. Plus loin, Catherine lance un « ça va chier ! », habillée en Wonder Wooman parce que, dit-elle, « quand j’arrive à ma station (de métro) je me mets en mode warrior ». « J’ai besoin de rire, ça me fait du bien », commente-t-elle. « L’humour tient une place très importante dans ma vie, il me fait vibrer et c‘est aussi une manière de mettre de la distance ». Publié d’abord à compte d’auteur en octobre 2017, Chroniques d’une survivante vient d’être réédité par les éditions de La Martinière à l’approche du troisième anniversaire du 13 novembre. « Ce livre est fait pour aider mes amis rescapés et les gens qui subissent des traumatismes de la vie. J’ai voulu partager mon témoignage, mon expérience. C’est assez tabou d’aller mal en France, surtout quand on ne voit rien sur le corps, que tout est dans le cerveau. » Les Chroniques, c’est sans doute aussi pour Catherine une aide pour avancer sur le chemin de la résilience.
Chroniques d’une survivante, carnet de dessins de Catherine Bertrand, Éditions de La Martinière (2018).