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Mot de passe oublié ?Nada, « rien » en espagnol. Le groupuscule qui se fait appeler par ce nom désigne en même temps son ambition politique, plus radicale encore que celle des nihilistes (nihil veut aussi dire « rien » en latin). C’est un des dix romans que Jean-Patrick Manchette a publié dans la Série noire de Gallimard entre 1971 et 1982. L’écrivain marseillais, grand amateur de Gitanes qui lui vaudront un cancer des poumons dont il périra en 1995, est un des grands auteurs du roman noir français. Il aime à nous plonger dans le cambouis politique, les barbouzes, la Françafrique, pour porter une critique plus sociale que ne le faisaient les polars tournant autour des « gangsters » des années 50-60. Souffrant d’agoraphobie, il parvient à fixer des codes esthétiques pour rêver mai 68 et décrire la fin des barons gaullistes alors tout puissants. Avec Nada, on voit quelques personnages d’extrême gauche, déçus par l’action sociale et assez individualistes pour passer à l’action rémunératrice, enlever l’ambassadeur des États-Unis en France, sous la direction d’un anarchiste espagnol, Buenaventura. Il fait appel à un ancien résistant, ancien communiste désabusé, André Épaulard qui roule, provisoirement, en Cadillac, à un anarchiste devenu alcoolique D’Arcy et à un enseignant de philosophie dans une école huppée de Paris, Treuffais. Sans oublier la belle et mystérieuse Cash dont le portrait sert de couverture à l’adaptation BD.
Un album soigné. La jaquette du bel album réalisé par Max Cabanes au dessin et Doug Headline au scénario annonce « En ce tout début des années 70, les cendres de Mai 68 rougeoient encore et les âmes insatisfaites s’embrasent vite. Comment diable s’occuper en attendant le Grand Soir, si l’on est un petit groupe de paumés d’extrême gauche ? ». La situation est plus subtile que ça et, de toute évidence, les six comparses n’attendent plus rien. Nada. Les planches rivalisent de couleurs dominantes comme un philtre posé sur le passé, les personnages sont un peu caricaturaux, le mauvais flic Goémond, le directeur de cabinet énarque et soucieux de se décharger, le commandant de gendarmerie droit dans ses bottes de militaire, et Madame Claude s’appelle ici Madame Gabrielle. Mais l’atmosphère lourde, les bulles au texte long tapé à la machine, les dessins électriques sans bulle, la neige dans la ferme de la banlieue parisienne qui rappelle la fin du film Tirez sur le pianiste de Truffaut, raviront les amateurs du genre. Dupuis n’a pas lésiné sur la qualité, 196 pages, un grand format 24 x 31, une édition soignée. Et un prix à l’avenant.
Nada de Max Cabanes (dessin) et Doug Headline (scénario) d’après le roman éponyme de Jean-Patrick Manchette. Aux éditions Dupuis. En libraire le 5 octobre 2018.