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Les nouvelles recettes des chefs

par Pierre Magnetto
Un panneau en bordure de route nationale pour faire savoir que la vie continue. © Naja
Un panneau en bordure de route nationale pour faire savoir que la vie continue. © Naja
Les repas à emporter préparés et distribués en respectant toutes les conditions de sécurité sanitaire requises. © Naja
Les repas à emporter préparés et distribués en respectant toutes les conditions de sécurité sanitaire requises. © Naja
Style de vie Gastronomie Publié le 04/05/2020
La crise du Covid-19 est en train de bouleverser les pratiques de la restauration traditionnelle. Encouragés par leurs instances, de nombreux restaurateurs, étoilés ou pas, se sont mis à la vente à emporter et à la livraison. D’autres pensent aussi à la "restauration d’après"  estimant que c’est l’architecture intérieure des établissements qu’il faut repenser.

Cela fait quinze jours que Jérémy Cortinovis, le propriétaire de l’hôtel restaurant Le mas de mon père, a installé sur le bas-côté de la route nationale un panneau improvisé : « Plats à emporter, offres routiers repas + douche, 14 euros ». « La première semaine nous avons fait 30 couverts, la seconde 60, c’est ce que nous faisons en une journée d’habitude. C’est peu, mais après cette longue fermeture ça aide », explique-t-il. Dans cette partie du Sud de l’Ardèche, sur la commune de Saint-Jean-le-Centenier, Le mas est considéré comme une des bonnes tables des alentours. Entre sa formule du jour à 17 euros et un menu à la carte pour lequel il faut compter une trentaine d’euros, le ticket moyen s’élève à vingt euros, hors vin, avec dans les assiettes des produits frais du terroir, cuisinés du jour bien sûr.

 

Un choc culturel. Avec le confinement, certains s’y sont mis plus tôt que d’autres mais, à l'instar du restaurateur ardéchois, une nouvelle pratique est en train de se développer dans la restauration traditionnelle, le drive ou la vente à emporter. C’est une sorte de choc culturel. Le drive rime surtout avec fast-food quand le restaurant, au-delà de ses mets, est un lieu qui fait système. « Le restaurant c’est, comme dit le critique culinaire Stéphane Méjanès, le poumon qui fait respirer les villes. Le restaurant, c’est le cœur qui bat dans les campagnes. C’est au restaurant que l’on se nourrit, que l’on partage, que l’on échange, que l’on se rencontre. C’est au restaurant que l’on fait société, que l’on fait civilisation ». Cependant, dans une lettre ouverte parue au lendemain de l’annonce du confinement, l’écrivain prédisait que les restaurateurs « n’échapperont pas à une profonde remise en question de leurs pratiques, de leurs modèles économiques, entre sécurité, conscience, responsabilité et diversification », et c’est précisément ce qui se produit aujourd’hui.

 

Une application menu-du-jour. Les organisations professionnelles incitent leurs adhérents à faire preuve d’imagination. L’Association française des maîtres restaurateurs, forte de 3 300 membres qui prône une alimentation durable et des approvisionnements en circuit court, les y encourage également. Elle a choisi de mettre en avant le système du drive en développant l’application Menu du jour sur laquelle figure la liste mise à jour quotidiennement des établissements pratiquant la vente à emporter ou la livraison. Elle assure ainsi « soutenir le tissu économique local, les filières, les producteurs locaux ». Et la mise en pratique fait tache d’huile, touchant aussi les étoiles. Gérald Passédat, 3 étoiles au Michelin pour Le petit Nice à Marseille, vient de lancer Passédat drive, avec des plats élaborés entièrement à partir d’ingrédients fournis par les producteurs locaux, notamment les pêcheurs approvisionnant ce grand spécialiste des poissons de la Méditerranée. Le chef ne lésine pas sur les prix pour toucher un large public avec deux menus complets renouvelés chaque semaine à 35 et 45 euros, quand ses plats à la carte tournent en moyenne à 120 euros et son premier menu à 250.

 

Recréer une architecture intérieure. Le 24 avril s'est tenue à l’Élysée une visioconférence au sommet avec le président de la République à l'écoute des représentants de la filière restauration, d'une myriade de chefs (Hélène Darroze, Philippe Etchebest, Michel Sarran, Guy Savoy) et du Collège culinaire de France représenté par Alain Ducasse. Ce dernier a avancé non pas des propositions pour ré-ouvrir coûte que coûte, mais plutôt quelques préceptes à suivre pour sortir du confinement en toute sécurité, en s’appuyant sur les experts scientifiques et en mettant dans le coup les producteurs. Au menu de cette téléconférence, une approche inédite présentée par le chef du Plaza Athénée à Paris et son complice qui dessine ses restaurants, le designer Patrick Jouin. Ce dernier a imaginé des dispositifs de distanciation viables pour les patrons de bistrots ou de restaurants. Le designer estime que mettre à distance les tables ne suffira peut-être pas à rétablir la confiance, il propose de recréer une architecture intérieure prévoyant des barrières physiques. Le débat ne fait que commencer.

 

Gérer l’urgence. On sait que le sort de la restauration sera annoncé fin mai. On parle d’une réouverture au 2 juin mais, dans le même temps, la date de sortie du confinement prévue le 11 mai n‘est plus absolument certaine selon Olivier Véran, le ministre de la santé. En tout cas personne ne se fait d’illusion. Il va falloir apprendre à vivre durablement avec le virus. Le vaccin, le traitement miracle, ce n’est sans doute pas pour demain. En attendant, les restaurateurs gèrent l’urgence. Si certains prédisent comme Christian Etchebest, le chef de la Cantine du Troquet à Paris, une chute du chiffre d’affaires de la profession de l’ordre de 50 à 60%, de nombreux professionnels n’ont plus un sou en caisse, les trésoreries sont à sec et les dispositifs d’aide, s’ils sont utiles, ne constituent pas la panacée. « Nous avons contracté un emprunt garanti par l’État », confie la propriétaire du Mas de mon père en Ardèche, « ça aide, mais c’est un peu reculer pour mieux sauter. Ce prêt, il faudra le rembourser et le chiffre d’affaires que nous avons perdu, nous ne le retrouverons jamais ». Mais il y a une chose dont se félicite Jérémy Cortinovis. « Ce qui est important pour nous, dit-il, c’est de garder le contact avec nos clients. La mise en service du drive, ils en sont ravis, beaucoup nous disent qu’ils en ont assez de cuisiner tous les repas à la maison et nous échangeons des remerciements réciproques ». Les Français semblent impatients de retrouver le chemin du restaurant.

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