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Laëtitia Guédon : « Le rapport au public, une préoccupation essentielle »

par Véronique Giraud
Laëtitia Guédon dans le patio des Plateaux Sauvages ©Giraud NAJA
Laëtitia Guédon dans le patio des Plateaux Sauvages ©Giraud NAJA
Arts vivants Théâtre Publié le 24/09/2020
La directrice des Plateaux Sauvages, fabrique artistique et culturelle de la Ville de Paris, présente une saison 2020/2021 généreuse, où tout spectacle est accompagné d’un « En Partage », un travail commun des artistes et du public.

Les Plateaux Sauvages, ce n’est pas un lieu comme un autre dans le rapport au public. Pourquoi et comment ?

Dès notre arrivée, le rapport au public a été notre préoccupation essentielle, avec l’idée de réinventer quelque chose, même si on ne réinvente jamais vraiment, qu’on puise dans des choses qui marquent, qui nous ont ému, touché. Ce qui nous a d’abord préoccupé c’est l’accueil : comment accueillir le public dans un lieu à la fois fabrique de créations dédiée aux artistes, et lieu de vie dans lequel chacun peut trouver sa place, quel que soit son âge, quel que soit son accès à la culture.

Puis ça a été d’imaginer des espaces pour que le public s’approprie et profite du lieu pour ce qu’il est, en dehors d’assister à un spectacle ou de pratiquer un atelier de yoga, de théâtre. Il y a la bibliothèque, il y a aussi le patio et les terrasses bientôt végétalisés. Il s’agit d’inciter le public à traverser les espaces pour aller vers le patio, qu’il investisse le projet de potager en permaculture sous l’amandier. L’important est de garder permanente la porosité entre création professionnelle et transmission artistique. Où qu’on soit dans le lieu, on a toujours la possibilité de croiser des artistes, de venir pratiquer un atelier.

Pour la billetterie, autre attention portée à l’accueil, nous avons inventé le système de tarification responsable, que d’autres lieux ont repris. Payer en fonction de ses moyens, et non en annonçant une catégorie socio-professionnelle ou un âge, encourage la diversité, le métissage du public. Ici, un gamin de treize ans a droit à la même déférence qu’une personne de soixante ans habituée à aller au théâtre. Je suis heureuse quand je vois, pour le spectacle Diane Self Portrait de Paul Desveaux, beaucoup de jeunes, mais aussi des personnes plus âgées qui ont connu les années 70, des passionnés de photo touchés par les sujets traités par Diane Arbus. De la même manière, pour les ateliers de pratique amateur la participation financière en fonction du quotient familial nous permet d’avoir public très diversifié.

Ce rapport au public vient aussi des artistes, le temps de leur résidence ou de répétitions de leur spectacle. Ils arrivent avec un deuxième projet, de transmission artistique, qui les fait partager leur processus de travail avec des gens qui ne sont pas des professionnels du spectacle vivant. Des scolaires, des associations, des retraités, des habitants du quartier. C’est intéressant pour le public, ça le fait plonger dans les coulisses de la création, voir comment ça marche. C’est intéressant aussi pour les artistes, qui sont obligés de faire un pas de côté dans leurs propres recherches, dans leur propre sensibilité, en allant se confronter à des gens qui n’ont pas forcément les codes et vont poser des questions auxquelles ils n’avaient pas nécessairement pensé.

 

Malgré la Covid19, la saison 2020/2021 est ambitieuse…

Nous, théâtres, artistes, compagnies, qui avons été privés longtemps du public, notre jubilation est de pouvoir présenter une saison très généreuse. Il n’était pas question de pénaliser les artistes dont les spectacles ont été annulés. Tous ont été reportés. La saison est donc riche de nouveautés comme de choses qu’on n’a pas pu voir.

Ma ligne artistique est claire, elle est résolument tournée vers le théâtre contemporain et les écritures contemporaines, vers des auteurs, des autrices, des artistes en quête de formes nouvelles, en prise avec le monde d’aujourd’hui et le questionnant. Néanmoins, il est très important pour moi qu’il y ait une diversité des esthétiques.

 

La saison qui débute est placée sous le signe de la métamorphose. Qu’est-ce qui a guidé ce thème ?

Lorsque je construis une saison je sais qu’une thématique va relier des esthétiques très différentes, et les artistes les uns aux autres. Mes rencontres avec les artistes qui composeront la saison font émerger un lien. Au moment du confinement, j’avais déjà bien avancé sur la programmation. Mais cette expérience n’a été anodine pour personne et, quelle que soit la façon dont elle a été vécue, tout le monde s’est un petit peu déplacé, a un peu bougé, s’est quelque peu métamorphosé. Ce que j’aime dans la métamorphose, et ce que je ressens personnellement, c’est qu’elle se fait de façon lente, ce n’est pas un changement radical. C’est ce qu’on retrouve chez Ovide, chez Kafka, dans la nature. Tout le monde parle d’un avant et d’un après, je ne crois pas à un changement brutal, tranché. Ce qu’on a vécu récemment nous a métamorphosés dans la durée, délicatement, et tous les artistes de la saison opèrent ça, le questionnent. Ce changement se fait ensemble, avec le public. Que ce soit avec Diane Arbus et la métamorphose d’une femme, d’une époque. Que ce soit Anne Contensou et Rébecca Chaillon, qui croisent leurs odyssées intimes. Ou Élise Vigier avec le projet Kafka.

Et puis le lieu va se métamorphoser dans le sens de la nature. Ce n’est pas parce qu’on décide sa végétalisation, qu’on la met en place, qu’on la maîtrise. Cela prend du temps.

 

 

Vous êtes vous-même metteur en scène, parlez de votre création…

C’est une adaptation du mythe de Penthésilée, un spectacle qui me tient à cœur depuis longtemps. Ce qui m’intéresse dans le travail de mise en scène, c’est de questionner les mythes, modernes ou très anciens, et voir ce qu’ils nous racontent aujourd’hui. Je l’ai fait avec Les troyennes et avec Samo, mon spectacle sur Jean-Michel Basquiat, héros contemporain. Depuis longtemps je suis habitée par cette figure de Penthésilée, à la fois partagée par la pop culture avec Wonder Woman, et dans la mythologie avec la pièce de Kleist. Moi c'est son obscurité qui m’intéresse, on en a peu de traces.

Outre les mythes, ce qui m'intéresse aussi depuis quelques années c’est de collaborer avec des auteurs et des autrices vivants, de faire un vrai travail d’écriture avec eux. Après Koffi Kwahulé et Kevin Keiss, je voulais qu’une autrice s’attelle à ce mythe et j’ai eu envie de travailler avec Marie Dilasser. Son écriture, à la fois acide et poétique, me touche. Elle a écrit, par le biais de cette Penthésilée, ce qu’on pourrait appeler un oratorio manifeste sur les liens qu’entretiennent les femmes avec le pouvoir et avec la puissance, deux choses très différentes. Pour le spectacle, ce texte devient le livret d’un opéra et nous aurons à reconstituer la partition de cet oratorio indiscipliné. Il est composé de la danse de Seydou Boro et du jeu de deux comédiennes, Lorry Hardel et la québécoise Marie-Pascale Dubé, qui a réalisé un travail en profondeur sur le chant inuit. Il y aura donc trois figures de Penthésilée, et un chœur de quatre chanteuses lyriques fera se rencontrer les sons contemporains et les chants de gorge inuit avec des chants de musique sacrée traditionnellement chantée par des hommes. Cette forme fera découvrir, je l’espère, une Penthésilée qu’on ne connaît pas, à travers la polymorphie de cette figure.

 

Comment s’est passée la première de Diane Self Portrait ?

C’était un bonheur fou. Aux Plateaux, ce jour-là il y avait à la fois le début des ateliers de pratique artistique amateurs et la première de Diane. On avait exactement ce que je voulais retrouver, c’est-à-dire des gens qui venaient faire leur atelier de yoga ou de théâtre et en même temps des gens qui venaient au spectacle. La maison était habitée et même si on avait des masques, même si on avait une distance physique, on était ensemble et ça c’était important.

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