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Courants verts : quand l’art crée de nouvelles connexions à la nature

par Véronique Giraud
La performance de Khvay Samnang,
La performance de Khvay Samnang, "L'Homme-caoutchouc", est l'une des 21 propositions artistiques de l'exposition "Courants verts" de la Fondation EDF à Paris. Nu dans la forêt, il verse sur son corps des bassines de latex d'hévéa, questionnant ainsi le legs colonial et les conséquences de l'aménagement du territoire sur la forêt et la culture au Cambodge. © Khvay Samnang
Sarah Trouche, extrait de la performance Aral Revival. Ce projet “Aral Revival” is an art project implemented in a diptych dedicated to the recognition and protection of the Aral Sea in Kazakhstan. ©Sarah Trouche
Sarah Trouche, extrait de la performance Aral Revival. Ce projet “Aral Revival” is an art project implemented in a diptych dedicated to the recognition and protection of the Aral Sea in Kazakhstan. ©Sarah Trouche
Arts visuels Installation Publié le 25/09/2020
En ces temps où l'incertitude et la crainte d'un virus inconnu pèse, pénétrer dans l'exposition Courants verts de la Fondation EDF à Paris oblige à sortir de soi pour se connecter avec la nature. Guidé par 21 artistes, le visiteur s'offre un moment bienfaisant où rêver n'est pas interdit.

L’histoire en témoigne, les désastres inspirent prodigieusement les artistes. Tout en en dénonçant les effets délétères, ils expriment par leurs œuvres, leurs performances, leur ingéniosité, une créativité qui réconcilie, et fait faire un pas de côté à un aveuglement confortable.

En cette rentrée, la Fondation EDF ouvre grands ses espaces à Courants Verts, une exposition où la beauté, où l’étrange rivalise avec l’idée de mort biologique, d’extinction. Et, en pénétrant dans le lieu, on s’étonne. De quoi ? Des splendeurs du monde vivant, même si elles sont montrées ici avec le souci de réparer, ou de hurler artistiquement à leur disparition. Les 21 artistes choisis par Paul Ardenne, commissaire de l’exposition, n’ont rien du registre de l’aridité. L’œil ne s’ennuie pas à s’attarder sur l’installation de Heather Ackroyd & Dan Harvey, un squelette de baleine magnifiquement rehaussé de cristaux d’alun, tel un immense bijou. Lui faisant écho, The Ecocide Trail, leur film d'un procès fiction jugeant un désastre majeur environnemental à la Cour Suprême de Londres interroge les responsabilités des grands groupes et les lois pouvant statuer sur les pollutions, déforestations et autres marées noires en tant que crimes contre l'humanité.

Plus loin, en images et en vidéos, c'est la présence même de l’artiste qui intrigue et nous oblige à considérer de funestes incongruités telles l'exploitation intensive de l'hévéa au Cambodge, ou l’assèchement de la mer d’Aral qui offre aujourd'hui le spectacle d'un désert sur lequel ont échoué de monstrueuses épaves rouillées. Respectivement, Khvay Samnang, devenu L'Homme-caoutchouc, verse sur son corps nu des bassines de latex pour questionner le legs colonial des plantations d'hévéa et les conséquences de l'aménagement du territoire sur la forêt et la culture de son pays le Cambodge (l'hévéa est la 2ème grande richesse après le riz), tandis que Sarah Trouche s'est peinte du bleu de la mer quasi disparue en raison des nombreuses irrigations mises en place depuis les années 60 et après la construction d'un barrage. Les deux artistes se mettent en scène dans ces nouveaux paysages, agissant tels des lanceurs d’alerte. AVERTIR est d’ailleurs l’un des trois axes du parcours de l’exposition. AGIR et RÊVER sont les deux autres.

 

Nouvelles connexions. Mu par l’idée de faire AGIR des savoir-faire anciens dans la réparation de la nature, Rémy Gobé s’est employé à rencontrer des scientifiques, des professionnels du textile et des concepteurs de matériaux, pour concevoir un design inspiré des coraux. La résille textile biodégradable qui résulte de ces recherches a permis à l’artiste de réaliser des sculptures inspirées des formes et des couleurs de la nature, avec la perspective de les introduire dans les fonds marins, là où le corail a disparu. Une prise de conscience née du constat de la disparition alarmante d’un maillon de la chaine du vivant, mais qui va bien au-delà puisqu’elle ouvre des perspectives d’innovation textile, d’emplois, et de liens bienveillants à travers les continents.

L’humour est aussi une arme quand une proposition artistique pour RÊVER l’environnement réside dans la présence d’une Buick Regal 1986 dont Michel de Brain a préservé la carrosserie mais évidé moteur, suspension, transmission, système électrique. Le plancher a disparu pour laisser place à deux rutilants sièges rouges, reliés à quatre pédaliers. Ce retour à la force motrice humaine a fait sensation dans les rues de Toronto, comme le montre dans une vidéo connexe la réaction de policiers chargés du maintien de l’ordre.

 

Rien de futile dans tout ça, plane la prise de conscience qu’il est difficile d’évoquer les dangers qui nous entourent, dans lesquels les contemporains vivent ou survivent, indifférents ou subissant déjà les effets d’un désastre annoncé ou dénoncé depuis longtemps. Tous ces artistes sont des inventeurs, parfois géniaux, et on rêve avec eux de se frotter à une réalité autre.

 

Courants verts. Créer pour l'environnement, du 16 septembre au 31 janvier 2021. Fondation Groupe EDF, 6 rue Récamier 75007 Paris. Du mardi au dimanche 12h-19h. Entrée libre après réservation.

L'historien de l'art Paul Ardenne est auteur de l'ouvrage Un art écologique. Création plasticienne et anthropocène (Le Bord de l'Eau, 2018. Édition augmentée, 2019)

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