espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > Jacques Vincey défie « Les serpents » de Marie NDiaye

Jacques Vincey défie « Les serpents » de Marie NDiaye

par Véronique Giraud
Les serpents met en scène trois femmes. Pour les incarner, Jacques VIncey a choisi (de gauche à droite) Tiphaine Raffier France, Hélène Alexandridis Mme DISS, Bénédicte Cerutti Nancy. La pièce est créée le 26 septembre au théâtre Olympia de Tours. © Christophe Raynaud de Lage.
Les serpents met en scène trois femmes. Pour les incarner, Jacques VIncey a choisi (de gauche à droite) Tiphaine Raffier France, Hélène Alexandridis Mme DISS, Bénédicte Cerutti Nancy. La pièce est créée le 26 septembre au théâtre Olympia de Tours. © Christophe Raynaud de Lage.
Arts vivants Théâtre Publié le 09/10/2020
Jacques Vincey aime les textes qui posent des défis, qu’habite le mystère. À la lecture du texte de Marie NDiaye, "Les Serpents", l’émotion que le metteur en scène a ressentie était telle qu’il ne pouvait en rester là. Reportée en raison de la crise sanitaire, son adaptation ouvre la saison du théâtre Olympia de Tours qu’il dirige.

En ce 8 octobre, l’émotion est palpable dans la salle du CDN Olympia. Sur scène, trois femmes échangent sans communiquer. Mme Diss, la mère, est venue emprunter de l’argent à son fils et attend qu’il lui ouvre la porte de sa maison. Sa femme, France, sort de la maison et semble heureuse de cette rencontre, s’efforçant de converser malgré l’indifférence méprisante de sa belle-mère. Plus tard, son ex-femme Nancy arrive pour demander au fils qu’il l’accompagne au cimetière où a été enterré Jacky leur enfant, mais elle doit se contenter d’affronter l'altière Mme Diss, puis la tendre France. Ces trois femmes espèrent quelque chose de cet homme qu’on ne verra jamais, mais qui centralise sentiments et ressentiments.

Le dispositif scénique de Jacques Vincey offre une résonance aux dialogues de l’écrivaine. Les comédiennes, magnifiques, délient les mots, les isolent dans de courts silences, leur donnant tout leur poids. Les phrases sont tissées dans ce que la domination a de violence, dans ce que la soumission a d’incompréhensible, dans ce que le lien familial a d’irrémédiable et d’étouffant, dans ce que l’attachement produit de perte de soi. Le metteur en scène n'a pas détourné leur écoute avec un décor familier, il leur offre la nudité d’un plateau, les noirceurs d’une ombre maîtrisée, et pour seul mouvement celui, à peine perceptible, d’un immense mur, menaçant, qui enferme les êtres, les retient, les dévore même. Cela pourrait convoquer l’esprit du conte, mais la noirceur des propos traverse notre peau, pénètre en chacun à la manière de l’instant vécu.

 

Le déni, la compassion, la peur qu’inspire le fils, le père, le mari, guident les échanges. Quand la mère n’est que ruse, indifférence, cruelle sincérité, France veut sourire et croire à la puissance de la vie, Nancy est prête à tout pour sauver ce qui ne peut être sauvé. L’origine de ce texte, ce qui l’a suscité, reste un mystère que Marie NDiaye garde dans sa plume. Mais l’effet sidérant qu’il produit sur le spectateur ramène aux mécanismes des peurs les plus profondes, aux dénis les plus enfouis.

De la même manière que Marie Ndiaye ne livre pas aux comédiens et metteurs en scène les ressorts de sa dramaturgie, Jacques Vincey construit un décor d’ombres et de lumières pour laisser le spectateur libre d’imaginer la maison, les champs de maïs qui l’entourent, le soleil brûlant… « L’envie de monter la pièce a été produite par un coup de cœur, comme ça arrive rarement, un coup de cœur que j’avais ressenti quand j’avais monté Jours souterrains après avoir lu Arne Lygre, confie le metteur en scène. Ce sont des écritures qui ont provoqué en moi d’emblée, à la première lecture, des sensations très fortes. Dans un deuxième temps, il y a dans l’écriture de Marie NDiaye un mystère, une opacité qui m’intéresse beaucoup, qui pose des vraies questions de forme au théâtre. Ce texte reste une énigme quoiqu’on fasse. Il s’agit d’insérer la question qu’il pose dans la mise en scène et de la proposer au spectateur de la manière la plus aigüe possible. » La voix douce et posée de Marie NDyaie, son usage de mots précis, son expression raffinée contrastent avec la noirceur et l’étrange de ses romans, de ses dialogues pour le théâtre. Cette ambivalence, observée lors de sa rencontre avec l’écrivaine, a troublé Jacques Vincey mais ne l’a pas désarmé.

 

Les serpents, texte Marie NDiaye, mise en scène Jacques Vincey. Avec Hélène Alexandridis Mme DISS, Bénédicte Cerutti Nancy, Tiphaine Raffier France. Lumières Marie-Christine Soma, assistée de Juliette Besançon. Son et musique Alexandre Meyer et Frédéric Minière. Du 29 septembre au 8 octobre, Théâtre Olympia - CDN de Tours. Du 13 au 16 octobre, Théâtre de la Cité – CDN de Toulouse. Du 17 au 19 novembre, CDN Besançon Franche-Comté. Du 25 novembre au 4 décembre, Théâtre National de Strasbourg. Du 11 au 13 décembre, Théâtre des Quartiers d’Ivry - CDN du Val-de-Marne. Du 2 au 26 février, Théâtre du Rond-Point – Paris. Du 16 au 19 mars, TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.

 

Marie Ndiaye écrit ses textes de théâtre uniquement sur commande. Ce fut le cas pour Hilda, Papa doit manger. Écrit en 2003 pour le théâtre de Vydi-Lausanne, le texte Les serpents n’a jamais été monté par le metteur en scène commanditaire.

Partager sur
Fermer