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Laurence de Magalhaes : « Ce que nous voulons c’est rouvrir »

par Véronique Giraud
Laurence de Magalhaes,
codirectrice du Monfort théâtre - Paris ©Jean Luc Caradec
Laurence de Magalhaes, codirectrice du Monfort théâtre - Paris ©Jean Luc Caradec
Arts vivants Interdisciplinaire Publié le 16/12/2020
La codirectrice du Monfort théâtre à Paris ne cache ni sa tristesse ni sa colère après les efforts faits par la profession pour mettre en œuvre des protocoles protecteurs.

En tant que directrice d'un lieu culturel comment vivez-vous cette époque ?

C’est un coup de massue qu’on vient de recevoir. Il y a deux choses : le mensonge et l’aberration. Je suis très choquée par le discours de M. Castex du 10 décembre. Une nouvelle fois la profession n’a pas été concertée. On nous calme à chaque fois avec des mesures financières, mais ça ne suffit pas. Ce n’est pas ce qu’on recherche. Ce que nous voulons c’est rouvrir. On nous dit qu’on n’est pas essentiels à la nation, on oublie une fois sur deux de nous citer, on a l’impression qu’on est en dehors de la société. Ils n’ont pas du tout conscience qu’on a un rôle social, un rôle qu’ils nous ont demandé en plus. Prendre en charge le social, les politiques ne le font plus depuis bien longtemps. Qui le 31 décembre reçoit les SDF, les femmes battues, les migrants ? Ce sont nos théâtres. Les associations réclament que nos salles soient ouvertes. La nôtre est ouverte depuis dix ans le 31, c’est très important et elle se remplit très vite. À Paris et dans les grandes villes, plein de gens sont seuls, qui n’ont même pas les moyens de se payer un restaurant. Nous, nous proposons nos places à 10 euros, et à 5 euros pour les associations. Que vont faire ces gens-là cette année ?

Il faut arrêter de penser que les gens qui vont au théâtre sont riches, nous avons beaucoup d’abonnés smicards qui mettent tout leur argent dans la culture. Parce que c’est un moment de sécurité, où ils se sentent bien, où ils parlent avec des gens. Je pense à eux. Et je me dis il leur reste les supermarchés et les lieux de culte. C’est désespérant de nous squeezer aussi banalement.

Dans le milieu de la culture, on n’est pas des rebelles, ni des complotistes. On est tout à fait d’accord sur le fait que cette crise on en a marre, on porte nos masques en permanence et on se met du gel parce qu’on a envie que ça cesse. On a été rigoureux, on a suivi à la lettre ce qui nous a été demandé, on n’a pas enfreint la loi, on était prêts à faire encore des sacrifices. On aurait pu avoir cette écoute.

 

Vous êtes au plus près des créateurs, des artistes, que vous programmez, comment vivent-ils ces annulations ?

Nous les avons très souvent au téléphone. J’appelle David Lescot tous les jours. Même si c’est un metteur en scène solide, que ses créations tournent, il avait les larmes aux yeux. Il a annulé 68 représentations. Le spectacle qu’il devait jouer chez nous avait déjà été perturbé aux Abbesses en raison des manifestations parisiennes, beaucoup de professionnels n’ont pas pu se déplacer. Aujourd’hui comédiens et techniciens sont chez nous, le décor était monté, c’est un spectacle idéal pour les fêtes, qui donne la banane. Nous étions pleins, il y avait même des listes d’attente. Ne pas offrir ça à notre public me rend très malheureuse, David aussi. Je trouve ça injuste, on n’est pas pire que les Galeries Lafayette.

 

Vous avez le sentiment d’une injustice…

Oui, il y a quand même trois discours : le premier qui dit que ça peut être dangereux de venir dans nos salles. Alors que tous les médecins ont expliqué le soir même qu’avec un masque, rester moins de trois heures, dans une salle hyper ventilée, où on ne se parle pas, où on ne bouge pas n’a rien de dangereux. Une heure plus tard, Roselyne Bachelot dit : non, c’est le flux que ça occasionne. Il n’y a pas des milliers de gens qui viennent dans nos théâtres. Le troisième argumentaire est encore plus lamentable : on vous ferme en décembre pour que vous puissiez ouvrir en janvier. On sait que c’est faux puisqu’en janvier il y a les fêtes, que les gens sortiront, que le Covid va énormément circuler, qu’on n’aura les résultats que fin janvier, avec des chiffres de contamination en hausse, donc on n’ouvrira pas en février. C’est absurde, je pensais qu’ils feraient l’inverse : ouvrez les théâtres quinze jours, ça va faire du bien à tout le monde, et on fait un point. Je pensais qu’ils auraient l’intelligence d’offrir ça.

 

Les créateurs et acteurs de l’art vivant ont-ils été correctement protégés ?

Plein de compagnies vont mourir. Les gens qui sortent des écoles cette année n’auront pas de visibilité avant deux, trois ans parce que ça va bouchonner. Tout une catégorie d’artistes va être sacrifiée. On va aider les grosses structures, les opéras, la Comédie-Française, et c’est tant mieux, mais les autres structures ne vont pas tenir. Même nous le Monfort. Nous sommes un lieu de la mairie de Paris, elle nous a bien aidés mais elle ne pourra pas le faire indéfiniment.

 

Comment voyez-vous la reprise ?

J’ai peur. J’étais confiante au premier confinement, me disant que ça allait passer. Là on ne voit pas la fin. On est déficitaire, on va l’être encore l’an prochain. Donc on prendra moins de spectacles pour éponger nos dettes. Il n’y aura pas de licenciements dans l’équipe permanente, mais au lieu de prendre 40 spectacles on n’en prendra que 20. C’est encore les compagnies qui vont en pâtir. Et on ne prendra plus les productions avec 17 comédiens sur un plateau, qui ne tourneront plus que dans les grands lieux. La répercussion va être longue, sur plusieurs années. C’est une évidence.

 

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