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Jérôme Thomas, l’art de jongler avec le monde

par Véronique Giraud
 Jérôme Thomas, Dans la jongle des mots. © Christophe Raynaud de Lage
Jérôme Thomas, Dans la jongle des mots. © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Cirque Publié le 26/09/2020
Au pays de la jonglerie, l'expérimentation est un art. Le poids des objets lancés est l'unité de mesure, l'imaginaire et la passion font grandir le champ des possibles. Jérôme Thomas s'est imposé en douceur et en poésie dans le renouvellement d'un art encore trop méconnu.

Jérôme Thomas a huit ans quand il jongle pour la première fois. C’était en 1977, à l’occasion d’un stage. Depuis, il n’a jamais vécu un jour sans jongler. D’abord avec quatre petites balles dans le huis clos de sa chambre. Puis avec des torches enflammées, des diabolos, des massues, des boules de pétanque… Ou avec des balles de tennis bricolées qu’il a remplies d’eau ou de riz. Il se produit à la fête de fin d’année de son lycée, et même dans une pizzeria où il touchera son premier cachet. Scrutant inlassablement les lignes aériennes des objets qu’il lance, Jérôme Thomas expérimente leur réaction selon leur poids, ajustant patiemment, jusqu’à imaginer son propre vocabulaire de jongleur, puis savourer quand il prend conscience qu’il peut le partager avec le public.

Parmi les événements fondateurs, outre sa formation auprès d’Annie Fratellini, sa rencontre avec l’un des maîtres de la jonglerie Francis Brunn a changé sa vie. « Il m’a pris sous son aile » confie Jérôme Thomas. L’a aidé à mieux saisir le poids de ce qu’il avait entre les doigts, à appréhender l’histoire et l’universalité de l’art du jonglage, à l’ancrer comme artiste dans la société de ses contemporains. « Francis Brunn répéta sa vie durant le même extraordinaire numéro de jonglage et de flamenco. Michael Moshen qui, comme Merce Cunningham, fréquenta la Judson Church, inventa l’art de faire rouler des balles de cristal le long de son corps et d'en faire rebondir d'autres dans un triangle, comme si elles vivaient en liberté. » poursuit-il en faisant mesurer le chemin qu’exigent l’excellence et l’invention.

 

Le jonglage doit trouver sa place.  « Le jonglage existe depuis toujours. Facile à transporter il animait les places et les entrées des salles de spectacles, des cabarets » rappelle-il. Or en ce XXIe siècle, le jonglage doit trouver sa place. Pour le directeur artistique de la compagnie ARMO (Atelier de recherches en manipulation d’objets) qu’il a fondée en Bourgogne, cette place s’est construite avec le chapiteau Lili. Conçu en 2001 par l’acrobate à cheval (maitre du cirque équestre) Gilles Audejean, le chapiteau-manège de bois et de toile rouge a abrité ses spectacles pendant plus d’une décennie. Depuis 2015, il stationnait à Saint-Denis, dans la cour de l’académie Fratellini, était prêté aux répétitions des compagnies et mis à la disposition des élèves.

Pendant ces quatre années, Jérôme Thomas a occupé les salles de théâtre de ses créations. Lui, le premier jongleur à avoir fait franchir leurs portes au jonglage, le sortant de la rue, des places et des parvis, des périphéries qui le condamnaient à être un amuseur public. Ses créations dansées, musicales, poèmes du corps, ont révolutionné le regard porté sur l’art du jonglage, à l’instar de Magnétic, qui l'associe au compositeur Wilfried Wendling, ou encore de Dans la jongle des mots, composition sur six poèmes de l’auteur contemporain Christophe Tarkos. La proximité des deux poètes, Thomas et Tarkos, est évidente, le second se définissant ainsi : « Je suis un poète qui défend la langue Française contre sa dégénérescence, je suis un poète qui sauve sa langue, en la faisant travailler, en la faisant vivre, en la faisant bouger. » La "révolution" s'accomplit avec Quipos, Hic Hoc, Amani ya bwana, Le Banquet,« 4 » qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec…, IxBE, Cirque Lili (joué plus de 270 fois en France), Milkday, Rain/bow, arc après la pluie, Libellule et Papillons!!, Sortilèges,  Ici. , FoResT, Hip 127 la Constellation des Cigognes, iSolo… autant de créations qui émergent de collaborations avec des artistes du cirque et d’autres disciplines, danseurs chorégraphes, musiciens, chanteurs lyriques… et dont la poésie ouvre les champs du jonglage. Mais aussi des recherches en improvisation et un souci de la transmission. Jérôme Thomas suscite les vocations.

 

Nouvelle aventure à la Chartreuse. Aujourd’hui, Lili « a été mis au vert ». Un repos bien mérité et une révision nécessaire car, pour le chapiteau comme pour la compagnie ARMO, une nouvelle aventure débutera bientôt. Pas en parcourant les routes bien sûr, « pour le cirque, le temps n’est plus d’aller au-devant du public, il faut attirer le public là où est le cirque ». Mais dans un lieu hors normes, fragile, fermé à la société, l'Hôpital psychiatrique de La Chartreuse à Dijon. Le projet Cirque qui va naître a été imaginé comme toujours au hasard de rencontres. À Dijon, où Jérôme Thomas produisait son spectacle. Parmi les spectateurs, le médecin chef de l’institution fut saisi par ce qui se produisait, par ce que Jérôme Thomas pouvait communiquer avec son corps. Après des mois de recherches, d’entretiens avec l’équipe soignante, de rencontres-ateliers avec des malades, un projet est né, et avec lui le besoin d’installer Lili dans le parc de La Chartreuse. Pour plusieurs mois.

Une telle initiative ne peut naître sans être capable de mesurer l’impact du geste vers un tel public, et avec lui. De la même manière, le jongleur ne s’aventure pas sur la piste ou sur la scène sans avoir estimé la portée de sa gestuelle intime.

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