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Festival d’Avignon : Angélica Liddell, de mort et de sang

par Jacques Moulins
C’est au sein de l’arène qu’Angélica Liddell vient hurler la violence, et la mort qui l’oppresse, saignée, provocante, rageuse et fière comme un torero. La pièce, Liebestod, est créée au Festival d'Avignon © Christophe Raynaud de Lage
C’est au sein de l’arène qu’Angélica Liddell vient hurler la violence, et la mort qui l’oppresse, saignée, provocante, rageuse et fière comme un torero. La pièce, Liebestod, est créée au Festival d'Avignon © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Performance Publié le 10/07/2021
L’autrice et metteuse en scène espagnole redouble d’audace et d’outrecuidance avec un beau texte où Wagner côtoie le torero Juan Belmonte dans l’arène de notre temps.

Angélica Liddell ose tout, face à un public qui lui passe tout. À l’heure où de nombreuses ONG demandent son interdiction, où le public la dédaigne laissant présager une fin lente mais certaine, la corrida tient la plume et la scène de l’autrice espagnole. Ce n’est pas là la seule de ses audaces ou de ses outrecuidances. Dans cette histoire du théâtre, elle aborde les thèmes séculaires de l’amour, de la mort, du sexe, de l’art, de la décadence dans une autodérision fulgurante.

C’est au sein de l’arène qu’elle vient hurler la violence, et la mort qui l’oppresse, saignée, provocante, rageuse et fière comme un torero.

Le seul titre de sa création, donnée à l’opéra Confluence pour le festival d’Avignon, énumère déjà en trois langues la complexité de sa performance : Libestod - El olor a sangre ne se me quita de los ojos -Juan Belmonte - Histoire(s) du théâtre III.

 

Libestod, la mort d’amour, la mort de l’amour, l’amour à mort, est le titre du final de l’opéra de Wagner Tristan et Iseult. Le mythe de la littérature celtique, écrit et réécrit des siècles durant, dit l’absolu de l’amour passion, son impossibilité au sein des conventions sociales, la mort forcée des deux amants. Un amour que l’autrice souvent seule en scène se plaindra qu’on ne le lui ait jamais offert, cette transgression sublime qui, dans ses mots, prennent une connotation divine. Un peu comme si notre société, si civilisée, si pleine de droits et d’acquis, si policée dans l’art, avait tué l’amour charnel et passionnel.

 

L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux. Le sang, élément culturel, flux physique, histoire de la femme espagnole, celui qui coule des plaies du Christ lors des processions de la Feria de Séville comme des genoux d’Angélica Liddell, celui des règles qu’elle essuie d’entre ses cuisses sur un mouchoir blanc, ce mouchoir qui sert la nuit de noces à prouver la virginité de l’épousée.

Le sang partout présent en Espagne, jusque dans son drapeau, signe concret des violences et de la mort qui marquent l’histoire du pays de l’invasion mauresque aux Viva la muerte des troupes de Franco, en passant par la barbarie de la Reconquista. Le sang, marque d’oppression de la femme dans le pays d’Europe qui connaît le plus grand nombre de féminicides. Le sang que fait couler le torero en plantant les banderilles, le picador en enfonçant la pique, le matador en tuant.

 

Juan Belmonte. Car la corrida est partout présente dans cette pièce inspirée des écrits de la légende de l’art toresque, l’andalou Juan Belmonte. Avec Josélito, il est sans doute le torero le plus célèbre. C’est lui qui imposa la figure du torero attendant le taureau immobile, sans reculer face à cette force mâle brutale qu’il saura séduire, puis réduire. Mais à la différence de Josélito, Belmonte ne meurt pas dans l’arène et se retire en 1936, à l’âge de 44 ans, hanté par cette mort qu’il finira par se donner 25 ans plus tard, parce qu’une jeune rejoneadora (une torero à cheval) lui refusera son amour.

Qu’elle soit assise sur sa chaise, comme une bailaora de flamenco qui attend son tour, ou face au taureau qui occupe avec elle la seconde partie de son spectacle, Angélica Liddell occupe la scène, recréant une belle gestuelle andalouse du torero citant le toro.

 

Histoire(s) du théâtre III. À tous ces mythes, Angélica Liddell ajoute encore celui du théâtre qu’elle déconstruit, abime, dénonce et encense dans une longue plaidoirie, micro en main face au public qui en prend lui aussi pour son grade.

Le dramaturge suisse Milo Rau, directeur du NTGent, a initié cette écriture en créant lui-même La Reprise, premier volet de cette Histoire(s) à Avignon en 2018. Le chorégraphe congolais Faustin Linyekula a écrit sa partie, toujours à Avignon, en 2019. Angélica Liddell présentait cette troisième vision, très personnelle, où elle a balayé dans le troisième temps de sa pièce son rapport à la scène, au public, l’évolution du théâtre dans une société où les jeunes manifestent pour leur retraite, où le regard se détourne face au sang, aux mutilés, à la mort. Son texte, fort, dramatique, poétique, publié aux éditions Solitaires intempestifs, est à écouter et à lire avec attention.

 

Libestod - El olor a sangre ne se me quita de los ojos -Juan Belmonte - Histoire(s) du théâtre III d’Angélica Liddell Création le 8 juillet 2021 au Festival d’Avignon. Opéra Confluence Du 8 au 14 juillet.

Du 23 au 25 juillet au Festival Grec de Barcelone, du 13 au 17 octobre au NTGent de Bruxelles, les 15 et 16 novembre au Tandem d’Arras, les 10 et 11 décembre au CDN d’Orléans.

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