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« M » de Sara Forestier : des mots et des maux

par Laura Coll
Cinéma Publié le 10/09/2018
Primé au festival du film de Venise, « M », le premier long métrage de Sara Forestier en tant que réalisatrice narre la rencontre de deux être torturés... Alors qu’aura lieu la 5e édition des journées nationales de l’illettrisme du 8 au 15 septembre, retour sur ce film où les mots et la communication par delà les mots sont au cœur de l’histoire.

Mohammed dit « Mo » a le goût de l’adrénaline. De courses clandestines en petits boulots, il tente d’abjurer la honte qui le ronge et l’handicape au quotidien: il ne sait pas lire. Lila est une lycéenne brillante. Bègue, elle ne parle pas, ou peu. Une hantise omniprésente de la moquerie qui la rend taciturne, fragile et craintive.
Rien ne les prédestinait à se rencontrer, et pourtant. C’est à un arrêt de bus, de façon fortuite, que leurs regards se croisent. Lila fait l’objet d’énièmes moqueries de la part de ses camarades de classe qui l’imitent et la raillent sans détours. Mo décèle son désarroi, comme si l’injustice lui était insupportable. En un instant, il semble percevoir en elle ce que peu voient. C’est alors qu’a lieu l’union et la fusion de deux êtres que tout oppose, deux âmes que la vulnérabilité rapproche.

La puissance des regards pour se substituer à mille mots. L’allégorie du
titre « M » pourrait à elle seule définir l’essence même du film. Car ici, il est question d’amour au sens large. L’amour de soi, l’amour de l’autre, l’amour d’un père, d’une mère ou d’une sœur. Les lettres, les mots et les non-dits sont au cœur de ce long métrage au ton dramatique. La puissance des gestes, des regards et la force des sentiments paraissent ainsi se substituer à mille mots. Des mots et des maux au centre d’une romance à la morale humaniste, avec l’amour pour résilience.

La résilience au cœur de « M ». Dès le départ, le paradoxe entre ces deux âmes torturées saute aux yeux. Redouane Harjane incarne un marginal hypersensible. Frontal et d’apparence sûr de lui, il est en réalité envahi par la sensation fallacieuse que son illettrisme le définit en tant qu’être. De fait, il n’a de cesse d’user de subterfuges pour combler le vide qui le dévore. Tenter de faire fi de la peur, du rejet et du désamour... de la honte. Et tutoyer la mort pour se prouver qu’il existe. Lila, merveilleusement incarnée par Sara Forestier, paraît plongée dans un silence assourdissant. Et le prénom de son personnage n’a peut- être pas été choisi par hasard. Lila, renvoyant au sens « lionne » possède au fond d’elle- même une force insoupçonnée révélée par Mo. Un amour incandescent qui, de façon subtile et presque imperceptible, sauve, tire vers le haut. S’opère alors un délicat mélange entre tenir bon et lâcher prise.

Pour sublimer son film, Sara Forestier a fait le choix de faire appel au compositeur Christophe pour sa bande originale. Un choix de chansons mélancolique, empreint de poésie, des paroles intimistes en totale adéquation avec son long métrage « comme des enfants on jette des mots au fond de l’eau, on s’accapare, nos rires s’égarent sans écho (...) Sous les étoiles, j'entends ta voix, Crier tout bas» (Océan d’amour)

Un « M » qui semble hurler « aime ». Dans ce cœur à cœur au ton grave tout sauf aseptisé, certaines scènes prêtent pourtant à rire. En témoigne la scène du tête à tête au restaurant de fruits de mer où Lila ne parvient pas à formuler sa demande au serveur lors de la commande, lui désignant finalement son choix sur la carte. Vient alors le tour de Mo qui, mal à l’aise et prisonnier de son simulacre, demande abruptement « la même chose » que Lila. Il se retrouve alors face à un plat qu’il déteste : des bulots, et finira par commander un steak. Humour mais aussi rage et émotion donnent le ton du long métrage singulier de Sara Forestier, adepte d’un cinéma poignant et réaliste.

Ces instants où la communication paraît complexe prennent parfois une dimension plus romantique et spirituelle, comme lorsque Lila, repoussée par Mo après que celle-ci ait découvert son illettrisme, dessine sur son pare-brise « M ». M, la seule lettre de l’alphabet que Mo connaisse, enseignée par la petite sœur de 6 ans de Lila. Un « M » qui semble hurler « aime » , s’inscrivant comme une déclaration et une promesse, révélant toute la magnificence d’un amour salvateur, preuve que l’amour peut défier handicap, obstacles et différences.

5e édition des Journées Nationales d’Action contre l’Illettrisme (JNAI) du 8 au 15 septembre 2018.

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