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Automne 2018, une rentrée BD tous azimuts

par Jacques Mucchielli
Rentrée chargée mais passionnante pour les librairies BD. DR
Rentrée chargée mais passionnante pour les librairies BD. DR
Livre BD Publié le 30/09/2018
L’automne 2018 est riche en publications BD confirmant l’attrait du grand public pour un neuvième art qui ne s’interdit aucune audace graphique et investit le social avec bonheur.

En confiant au dessinateur Ryad Satouf la chronique en BD de la vie d’Esther, une jeune écolière devenue aujourd’hui collégienne, le magazine L’Obs a tapé juste. Non seulement la chronique séduit par son dessin, son humour, sa pertinence, cette façon inédite de parler des très jeunes générations, mais en plus la critique est éminemment sociale, faisant entre autres la part belle à la parole d’une jeune fille. C’est un espace de plus qu’occupe la bande dessinée qui, en quelques années a pulvérisé les ventes des éditeurs, au point que les plus sérieuses des grandes librairies ne peuvent se passer d’un rayon BD majoritairement fréquenté par les adultes. En parallèle, les très sérieuses maisons d’édition comme Gallimard, Le Seuil, Actes Sud ou Denoël concurrencent aujourd’hui les éditeurs traditionnels. La mutation de la bande dessinée n’est pas nouvelle, mais elle a acquis une vitesse de croissance euphorique ces dix dernières années.

 

Femme et quadragénaire. Avec le XXIe siècle, la BD envahit sans vergogne tous les domaines de la littérature et du dessin. On trouve de tout en BD, même une version manga du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx (Soleil Productions, 2012). La série y gagne sa place bien avant le succès des chaînes cryptées. Et la production s’envole : dans son rapport annuel pour l’ABCD (association des critiques et journalistes de bande dessinée) Gilles Ratier révèle le pic de 2016 avec 5 305 albums édités dont 3 988 nouveautés. Si les nouvelles versions de Lucky Luke ou Blake et Mortimer tiennent toujours le haut des ventes, L’Arabe du futur de Riad Sattouf, l’auteur des Cahiers d’Esther est en quatrième position avec 220 000 livres vendus. De quoi faire pâlir les romanciers devant ces 8,4 millions d’albums vendus en France cette année-là.

Le public s’est également transformé. Fini le trentenaire, masculin et potache, enfermé dans ses BD. Selon les études du SNE (syndicat national de l’édition), les femmes sont devenues les premières acheteuses (53%). Mieux le fameux « portrait type » marketing a dressé le profil moyen : une femme de 41 ans, diplômée du supérieur qui achète cinq BD par an. Les médias ne passent pas à côté du phénomène. Le Monde des Livres inclut désormais une chronique BD et Télérama fait, début 2018, sa BDthèque idéale avec dix titres, dont les séries Gus crée par l’auteur du désopilant Quay d’Orsay et Epiphania qui traite du droit à la différence.

 

Car désormais la BD a tout investi. En témoigne la rentrée 2018, riche de quelques titres qui, comme la littérature, abordent par la fiction ou le récit, toutes les questions de société. La condition des femmes y occupent une place de choix. Avec, par exemple, des biographies inédites, celle de la chanteuse Fréhel qui finit dans la misère (Fréhel de Louis, éditions Nada), ou le tome 1 de Charlotte impératrice (de Matthieu Bonhomme et Nury, éditions Dargaud) qui conte les déboires de Charlotte de Belgique. Et encore le fabuleux Phoolan Devi, d’une bandit indienne devenue députée. Et, côté masculin, une biographie de Darwin (éditions Dargaud).

Autre exemple, l’écologie, avec notamment un polar « ethnologique » de Costina et Carbos, Le dernier Lapon (éditions Sarbacane) qui commence par le vol d’un tambour et se poursuit par le meurtre d’un éleveur de Rennes, adaptation du roman à succès d’Olivier Truc. Le sort des migrants est conté simplement à travers le premier tome de L’Odyssée d’Hakim (de Toulmé, éditions Delcourt), inspiré de la vie d’un jeune réfugié syrien, chassé par la guerre de son entreprise et de l’appartement qu’il venait d’acheter. Et le rapport au religieux est toujours scruté avec humour dans la superbe série de Joann Sfar, Le Chat du Rabbin dont sort le huitième tome (éditions Poisson Pilote). L’auteur publie également Aspirine, une nouvelle série sur une adolescente confinée depuis trois siècles au même âge (éditions rue de Sèvres).

 

Le roman graphique. Le terme nous vient des États-Unis. La Graphic Novel est une bande dessinée pour adultes dont le scénario est conçu comme celui d’un roman, ce qui suppose un nombre conséquent de pages et un sujet de fond. En cette rentrée de littérature BD, plusieurs romans graphiques sont sur les étals des libraires, à commencer par Le Chemisier de Bastien Vivès (éditions Casterman), à qui l’on doit déjà Polina adaptée au cinéma par le chorégraphe Angelin Preljocaj. Également, le très beau Servir le peuple d’Alex W. Inker (éditions Sarbacane, sortie le 3 octobre) inspiré de la vie et de l’œuvre de Yan Lianke, paysan chinois, puis soldat qui va s’engager dans la Révolution culturelle de Mao pour la détourner. Côté horreur, Moi ce que j’aime, c’est les monstres est traduit de l’américain par les éditions Monsieur Toussaint Louverture. Ce beau roman graphique signé Emil Ferris, une habitante de Chicago passionnée par les films d’horreur, est réalisé comme un journal intime écrit et dessiné dans un cahier à spirale. Il conte la vie de Karen Reyes qui va mener enquête après l’assassinat de son mari.

 

Des adaptations. La BD est aussi la championne des adaptations de romans, récits, et même études, surtout historiques. Et ainsi sorti le 22 août dernier le premier tome des aventures de Nicolas Le Floch, célèbre commissaire du XVIIIe siècle inventé par le romancier Jean-François Parot, malheureusement décédé il y a quatre mois. Très précis au niveau historique, Fabrice Le Hénanff a conçu un album sur la conférence de Wannsee (éditions Casterman), cette résidence berlinoise où se décida en 1942 la solution finale.

Enfin, n’oublions pas la fiction pure, celle qui explique aussi le monde mais par le biais de l’impossible. Comme l’inventif Mon homme est un ours de Bourgeau (éditions La nouvelle graphique) qui conte un amour entre une femme et un mammifère ursidé. Ou le policier Gramercy Park, amour encore entre un chef mafieux new-yorkais et une ballerine française exilée. Et, au titre de la science fiction, le dernier Vatine avec la complicité du dessinateur Varanda (La Mort vivante, éditions Comix Buro) ou Negalyod de Pierrot (éditions Casterman). De quoi aborder l'hiver avec assurance.

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