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Catherine Bertrand : « ce livre je l’ai fait d’abord pour aider mes amis rescapés »

par Pierre Magnetto
Catherine Bertrand : « pour nous, ce n’est pas possible de passer à autre chose » © Agence Anne & Arnaud
Catherine Bertrand : « pour nous, ce n’est pas possible de passer à autre chose » © Agence Anne & Arnaud
Livre BD Publié le 09/10/2018
Le sentiment d’isolement, d’abandon, les crises d’angoisse, le difficile chemin semé d’embûches vers la résilience, dans « Chroniques d’une survivante », présente au Bataclan le 13 novembre 2015, Catherine Bertrand raconte sa vie d’après l’attentat avec humour mais non sans émotion.

Comment en êtes vous venue à faire ce livre ?

Au début l’idée n’était pas du tout de faire un livre, mais d’essayer de dessiner ce que je vivais. J’ai commencé un mois après le 13 novembre. Je me sentais tellement mal que je ne comprenais pas vraiment ce que j’avais. Je n’arrivais pas à l’expliquer à mes proches. La communication avec eux était devenue très compliquée, j’avais tendance à m’isoler. J’ai pu leur faire comprendre ce que je vivais au quotidien avec des petits dessins ou de petites scènes. J’ai aussi montré ces dessins à mes amis rescapés de l’association Life for Paris. Ils ont adoré, m’ont demandé de continuer pour pouvoir montrer ça à leurs propres proches.

Vous décrivez une certaine euphorie au sortir du Bataclan, puis très vite les syndromes d’un état de stress post-traumatique se sont manifestés, que s’est-il passé ?

C’est vrai qu’il y a eu l’euphorie du début. Je ne me suis pas sentie victime parce que j’en étais sortie indemne physiquement. Mais quand j’ai appelé les numéros d’urgence ont m’a expliqué qu’il fallait que je sois prise en charge. Trois jours plus tard, je me suis rendue à l’Hôtel dieu, j’ai fait une grosse crise de panique dans le métro à cause du bruit des marteaux-piqueurs, il y avait des travaux. Ça m’a rappelé les coups de feu. Là je suis partie en crise d’angoisse, je ne savais pas du tout ce qui m’arrivait et j’ai compris que je ne m’en sortirai pas comme ça.

Dans votre carnet vous parlez aussi aussi de démarches administratives et médicales semées d’embûches…

Il existe des dispositifs, mais ils ne suffisent pas. J’ai pu voir une psychologue rapidement, mais pour ce qui est de la psychiatrie c’est très compliqué. Apparemment, les psychiatres spécialisés en traumatologie, il n’y en a pas tant que ça. Je me suis retrouvée à devoir me justifier pour pouvoir être prise en charge, ça a été très douloureux. En plus, je venais juste d’apprendre qu’il y avait un service en traumatologie qui avait été fermé récemment faute de budget dans un autre hôpital, je ne sais plus lequel. Cette information a accentué mon sentiment d’abandon.

Les attentats ont suscité une grande émotion, les marques de solidarité et d’empathie ont été nombreuses. Cela a-t-il été important pour vous ?

Ça a fait beaucoup de bien de se rendre compte que nous étions soutenus, si ce n’est compris. En tout cas il y a eu un énorme mouvement de gens qui nous ont transmis leurs messages de sympathie. Ça m’a beaucoup aidé. Malheureusement, trois ans après, l’empathie on ne la voit plus, les gens s’expriment beaucoup moins sur le sujet. Ils sont passés à autre chose, c’est normal, je ne leur en veux pas, c’est juste que pour nous, ce n’est pas possible de passer à autre chose, ce n’est pas nous qui contrôlons, c’est le corps qui s’exprime et on se sent encore plus isolés.

Vous évoquez Life for Paris, c’est important de se retrouver entre victimes ?

Pour moi ça l’a beaucoup été. Certains préfèrent se reconstruire tout seul, moi j’ai eu un grand besoin immédiat de retrouver les gens qui ont vécu la même chose que moi, pour pouvoir discuter de ce qui c’est passé, de nos symptômes d’état de stress post-traumatique. Se retrouver, s’entraider, se soutenir, c’est quelque chose qui m’apporte énormément.

Dans les Chroniques, vos souffrances prennent la forme d’un boulet, pourquoi ?

C’est arrivé dans ma tête comme ça. C’était complètement évident pour moi parce que cette souffrance est une énorme charge, qui pèse son poids, qui est lourde à trainer et qui reste attachée à soi. C’est comme si le boulet faisait partie de moi. J’avais besoin de concrétiser cette souffrance, de la symboliser. La blessure est invisible, il fallait focaliser sur un objet.

Evidemment, le sujet abordé dans les Chroniques et grave, mais vous le faites parfois avec humour, pourquoi cette tonalité ?

J’ai besoin de rire, ça me fait du bien et, j’aime faire rire. Là je ris de moi-même, pas de l’événement qui est absolument tragique. Je ris de moi qui découvre mes symptômes, je ris des situations hallucinantes que je rencontre parfois avec des gens qui me parlent de manière très maladroite. L’humour tient une place très importante dans ma vie. Mais, c‘est aussi une manière de mettre de la distance. Je suis la personne la mieux placée pour rire de mes symptômes. Je n’aurais jamais pu faire ces dessins s'il ne s'agissait pas de moi.

C’est bientôt le troisième anniversaire du 13 novembre, est-ce une date que vous redoutez ?

Tous les ans c’est un calvaire, c’est chargé d’émotions. En général nous nous rassemblons avec les amis de l’association, nous nous recueillons. En fait, nous essayons toujours de réaliser ce qui nous est arrivé, parce que trois ans après on ne le sait toujours pas. Aujourd’hui je me sens un peu mieux, mais les syndromes du stress arrivent par vagues. Il y a des moments où je me sens bien, d’autres où je recommence à faire des cauchemars. Il suffit que j’ai un problème dans le métro et là c’est le drame.

La publication du carnet vous aide-t-elle à entrer en résilience ?

Ce livre, je l’ai fait d’abord pour aider mes amis rescapés, aider les gens qui subissent des traumatismes de la vie. Je me suis rendue compte que quelque soit l’origine d’un traumatisme, il y a des conséquences communes, des points communs dans notre souffrance, notamment l’isolement par rapport aux proches. J’ai voulu partager mon témoignage, mon expérience, essayer de guider les gens à aider leurs proches en cas d’accident, de deuil. C’est assez tabou d’aller mal en France je trouve, surtout quand on ne voit rien sur le corps, que tout est dans le cerveau. C’était aussi pour insister sur le fait qu’il fallait être pris en charge, que les blessures psychologiques peuvent atteindre tout le monde. Il existe de grosses inégalités pour les victimes selon qu’elles habitent à Paris ou en province. A Paris c’est déjà compliqué, mais ailleurs comme à Nice, ça l’est davantage. Sans parler des gens isolés, dans les territoires eux aussi isolés. Il n’y a pas forcément d’avocat spécialiste en dommages corporels, d’aide psychiatrique spécialisée, etc. Que tout soit centralisé à Paris, pour moi c’est incompréhensible.

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