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« Les Juré.e.s » : Marion Aubert au tribunal de l’expression

par Jacques Moulins
"Les Juré.e.s" de Marion Aubert. ©Jean-Louis Fernandez
Arts vivants Théâtre Publié le 28/11/2018
Dans sa nouvelle pièce, Marion Aubert confronte les acteurs à leur propre expression sur leur comportement de citoyen. Un tribunal embarrassant et embarrassé.

Cela paraît impensable, mais aujourd’hui l’actualité nous embarrasse. Auparavant, elle pouvait nous oppresser, les guerres en Afrique, les dictatures en Amérique du sud, les bidonvilles en Europe, les asiles d’aliénés en France… Tout cela nous mettait en colère et nous révoltait. Mais aujourd’hui, nous voilà comme mis sur le gril, notre propre comportement envers les sexes, envers les immigrés, envers la planète, envers la surconsommation…

Embarrassés, et rendus muets. Qu’en dire de plus que les actualités quotidiennes, les représentants des associations, les études et les sondages, les campagnes de sensibilisation des ministères, les programmes scolaires ?

Et sur une scène, une scène de théâtre, quels dialogues énoncés qui n’aient été cent fois rabâchés ? Non que le théâtre n’ait pas sa place dans cette affaire, il en est même au cœur si l’on veut penser et s’émouvoir ensemble dans une vaste salle. Mais comment ne pas répéter telle ou telle pièce qui aborde, depuis des siècles en fait, ces sujets ?

 

La liberté d'expression. Long préalable pour dire combien l’écriture de la nouvelle œuvre de Marion Aubert est un sacré défi. Avec sa compagnie Tire pas la Nappe et sa complice de toujours, la metteure en scène Marion Guerrero, elle s’y est lancée. Les Juré.e.s affiche « un projet théâtral sur la liberté d’expression, l’intime conviction, la capacité de rester impartial, à lutter contre ses propres peurs… ». Au théâtre, il faut bien sûr multiplier les distances sur cette actualité, ce que fait la pièce en mettant une pièce dans la pièce. Comme Falk Richter avec l’esthétique de Fassbinder dans Je suis Fassbinder. Comme le Théâtre du Soleil et Ariane Mnouchkine lors de leur dernière création Une chambre en Inde où, ne comprenant plus rien à notre monde, le personnage principal cherche comment écrire sa pièce où le terrorisme, les droits de l’homme, l’égalité des sexes jouent le premier rôle.

 

L'angoisse qui suffoque. Même si l’émotion qui naît de la mise en drame du sujet est refusée avec obstination par les cinq acteurs qui affirment haut et fort qu’un tel ressort, sur de tels sujets, ils n’en ont pas envie, nous sommes au théâtre. L’objet n’est donc ni une conversation au café du coin, ni de produire les idées justes et les bons arguments pour se comporter dignement face à cet embarras qui nous gagne lorsque notre propre comportement est interrogé dans ses retranchements les plus ultimes. Et les plus intimes. Là est sans doute la tragédie de cette pièce dont l'auteure dit qu'elle « est en marche », une interrogation infinie pour trouver les mots qui cheminerait dans la tête des spectateurs. Les acteurs vont essayer tour à tour de dire combien cette situation les tend, les angoisse, leur noue le ventre. L’une suffoque à la seule écoute du mot « quartier », l’autre s’enferme dans une armoire, un troisième a besoin de sexe pour s’en remettre. Ils mettent les questions sur la place publique, mais tous ces jurés ont bien du mal à juger le monde et la place qu’ils y occupent. C’est pourtant bien ce qui prend possession des scènes aujourd’hui, et le malaise qui s’insinue n’est rien d’autre que le nôtre.

 

Les Juré.e.s de Marion Aubert. Théâtre Jean-Claude Carrière, Montpellier les 27 et 28 novembre. Créée le 22 novembre 2018 à la Comédie de Saint-Étienne. Mise en scène Marion Guerrero. Avec Stéphan Castang, Capucine Ducastelle, Gaëtan Guérin, Élisabeth Hötzle et Laurent Robert. À Annecy du 9 au 11 janvier 2019, Nancy du 15 au 18 janvier, Montluçon du 4 au 6 juin.

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