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Claire David : Maîtriser les fondamentaux de la mise en scène

par Pierre Magnetto
Claire David. DR
Claire David. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 13/12/2018
À la tête des éditions Actes Sud Papiers, Claire David est connue du monde théâtral. Depuis 2009, elle a relancé l'école Charles Dullin, qui désormais forme en ligne aux pratiques de la mise en scène sous la forme de MOOC. Elle revient sur ce qui a conduit à la création d'un tel enseignement et sur son expérience d'éditrice de textes de théâtre.

Il existe trois écoles de mise en scène en France, très sélectives. Comment expliquez-vous qu’il y en ait si peu alors qu’il y a pléthore d’écoles d’acteurs ?

Parce que les metteurs en scène sont des gens qui se sont surtout formés sur le tas. En France, et uniquement en France, on n’apprend pas la mise en scène, on la pratique. Mais c’est une fausse idée. Plus on est averti des pratiques de la mise en scène, plus on se questionne sur son propre style, plus on se place à l’écoute des maîtres, meilleur est son propre travail. C’est une évidence que nous rapportent des metteurs en scène expérimentés eux-mêmes. Ils n’ont pas fait d’école parce qu’ils sont dans leur propre œuvre. Un metteur en scène est en permanence en train de construire une production, de faire répéter ses acteurs, de diffuser son spectacle et de tourner avec. Le porteur de projet c’est vraiment lui. Cependant, certains donnent des stages, ici ou là seulement. Nous, nous allons les chercher pour monter des collaborations avec notre école, en offrant à nos élèves des places pour assister à des répétitions, des places comme assistant metteur en scène, des places pour suivre et observer leur travail, autant de choses qu’eux ne font pas.

 

Ce système semble bien fonctionner pourtant ?

Être metteur en scène et être acteur ce n'est pas la même démarche. Quand l’acteur devient metteur en scène, il va se dire : je vois à peu près ce que j’ai appris, je suis à l’aise sur scène, je vais essayer de transmettre ça. C’est quand même beaucoup plus fort quand vous maîtrisez quelques outils permettant de réfléchir et c’est que nous avons créé : six MOOC sur des fondamentaux de la mise en scène. Vous ne pouvez pas penser la mise en scène si vous ne pensez pas en premier la direction d’acteurs. Il faut savoir ce qu’on va exiger : qu'ils apprennent leur texte par cœur ? Faire à partir de l’improvisation ? Travailler la question du personnage ou faire en fonction de ce qu’ils sont ? Tous ces choix sont importants à considérer avant d’attaquer la direction d’acteurs.

 

Parmi ces fondamentaux vous classez la question de l’espace, comment abordez-vous ce thème ?

Vous êtes ici dans mon bureau, ce n’est pas la même chose que si nous étions dans une salle de classe, de théâtre ou ailleurs. Il faut s’interroger sur la manière dont le public va arriver, sur la façon dont il va être accueilli. Il faut aussi se demander comment l’installer, en bifrontal ? En cercle ? Face à la scène ? La réflexion porte aussi sur la façon dont on va remplir l’espace : avec plein d’objets, avec de la matière, ou au contraire, va-t-on le laisser vide et nu pour faire jouer les acteurs dans cette simplicité totale ? La question de l’espace est à réfléchir. Aujourd’hui de nombreux spectacles nous font redécouvrir le rapport scène/salle et réorientent le regard du spectateur. La scénographie a une histoire, c’est important de la connaître.

 

Un MOOC est présenté comme l’Atelier du spectateur, quelle est la réflexion ?

Dans ce MOOC, nous abordons la question du public du point de vue de la mise en scène. Le public n’est pas toujours sage, silencieux. Il peut intervenir. Dans certaines représentations, on va même le mettre en scène, le titiller, le forcer à répondre. On peut aussi le laisser tranquille, le considérer dès l’entrée dans le théâtre, mettre un tapis rouge par exemple. Aujourd’hui de plus en plus de metteurs en scène font ce genre de choses qui démentent le mythe du spectateur passif.

 

Enseigner avec les MOOC est-ce une manière de démocratiser l’enseignement de la mise en scène ?

Absolument. Il suffit de s’inscrire et d’avoir une connexion internet, la contribution est de 69 euros par MOOC, et les premiers cours sont en accès libre. Nous en avons créé cinq:  la direction d'acteurs, l'espace scénique, mettre en scène est un métier, lire le théâtre, l'atelier du spectateur. Un sixième MOOC est en cours d’élaboration, il porte sur des aspects pratiques et réglementaires pour concevoir et diriger un projet.

 

Comment, avec un enseignement à distance, un élève peut-il savoir où il en est, mesurer ses progressions ?

Tout au long des six semaines que dure un MOOC, l’élève tient un carnet de bord. S’il a des difficultés, il dispose d’un réseau social privé dans lequel les énoncer. Nous lui répondons, et d’autres élèves peuvent aussi intervenir. En fin de formation, on lui demande de rendre compte en ligne d’un exercice. Ce dernier est évalué par ses pairs. Chacun doit évaluer le travail de trois autres élèves, et le sien est évalué par trois étudiants aussi, à partir d’une grille que nous avons déterminée, basée sur les niveaux de compétences. Avec 10 sur 20 le MOOC est validé. Mais ça ne s’arrête pas là. Par la suite nous les encourageons à faire des stages qui peuvent être financés par les dispositifs de la formation professionnelle. Pour cela nous collaborons avec des partenaires, des professionnels compétents que nous avons nous-même validés. Certains metteurs en scène donnent des stages, nous allons les chercher. Nous montons des collaborations avec de nombreux metteurs en scène, en offrant des places pour assister à des répétitions, des places comme assistant metteur en scène, des places pour suivre et observer le travail des metteurs en scène.

Nous conduisons aussi des petites actions. Par exemple, récemment, nous avions sept personnes présentes au Festival du jamais lu à théâtre ouvert à Paris, qui ont regardé l’ensemble des spectacles. Elles doivent nous faire un retour critique en tant que spectateur sur la mise en scène.

 

Vous dirigez depuis trente ans la collection Acte-Sud papiers dédiée au théâtre. Est ce que ce secteur de l’édition se porte bien ?

Parfois, on est transporté par une pièce et, en sortant du théâtre, on a envie d’acheter le texte pour retrouver des choses qui ont pu nous échapper, qui étaient porteuses d’émotions. Nous avons un public de spectateurs, mais aussi d’étudiants, de gens de théâtre qui cherchent à monter des textes, à les jouer et c’est une de mes fonctions d’avoir constitué un répertoire. Après, ça peut paraître étonnant, mais nous arrivons parfois à des chiffres de vente supérieurs à des premiers romans. Par exemple, Ça ira de Joël Pomerat, un spectacle sur la révolution française qui tourne depuis deux ans. Cette pièce de théâtre qui fait 170 pages, dure 3 heures, s’est vendue à ce jour à plus de 7 000 exemplaires. Peut-être est-ce parce que Joël Pomerat parle de révolution du point de vue du peuple, et au fond à travers ça de toutes les révolutions, touchant à quelque chose de plus universel. Avec Le visiteur d’Eric-Emmanuel Schmitt, nous en sommes à plus de 30 000 exemplaires. Ça fait quinze ans qu’on a publié le texte. Il y a des classiques du théâtre contemporain que les gens redécouvrent, et puis l’avantage par rapport à un roman c’est qu’une fois créée une pièce peut être recréée plus tard. À ce moment-là le livre revient comme une nouveauté.

 

Donc tout va bien ?

Aujourd’hui, la grosse difficulté de l’édition théâtrale c’est le manque de visibilité, le manque de libraires. Je ne les accable pas, leur métier est vraiment difficile : ils sont abreuvés de très nombreux livres, dont seulement quelques uns vont se vendre, ils ont des espaces de plus en plus réduits à cause du prix des loyers, etc. Du coup le théâtre n’est jamais une priorité. En ayant ce manque de visibilité, je ne peux pas avoir d’achats très spontanés, c’est forcément de la commande. Notre premier client c’est Amazon, beaucoup plus que les librairies, alors que dans des textes de théâtre, ceux par exemple de Jean-Claude Grumberg uniquement basés sur des dialogues, ou de Jean-Michel Ribes ou de Laurent Gaudé, vous verrez très peu de différence avec le domaine romanesque.

 

Comment choisissez-vous les pièces que vous éditez ?

Avant tout ce qui m’intéresse c’est la langue et l’univers de l’auteur, l’originalité de son point de vue. La seconde chose c’est la capacité à transmettre. Même si je vais publier une pièce de Joël Pomerat que l’on va découvrir parce qu’il en fait la mise en scène, j’estime que n’importe qui peut être intéressé par son théâtre en tant que metteur en scène, en tant que directeur d’acteurs, ou en tant qu’étudiant qui va vouloir l’étudier, ou simplement en tant que spectateur. Ce qui m’intéresse, c’est quand le texte tient à lui tout seul l’ensemble de la représentation. A l’intérieur même du texte, je peux y trouver mon petit théâtre et mon univers. Et ça, ça participe beaucoup de mes choix à l’intérieur de la collection Papiers, composée aujourd’hui de plus de 1 000 textes de théâtre.

 

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