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« Architecture » fin d’époque pour la Cour d’Honneur

par Jacques Moulins
"Architecture" de Pascal Rambert, Marie-Sophie, la jeune épouse du patriarche Jacques, entouré de ses filles Anne et Emmanuelle. © Raynaud De Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 06/07/2019
Le 73e Festival d'Avignon s'est ouvert le 4 juillet dans la Cour d'Honneur sur "Architecture", pièce écrite et mise en scène par Pascal Rambert pour une pléiade de comédiennes et de comédiens de renom. Elle évoque la fin d'une époque à travers une famille patricienne de l'empire austro-hongrois, mais peine à parler de la nôtre.

En 1900, pressentant la fin d’une époque, Thomas Mann décida d’écrire le roman de ce déclin à travers les rapports familiaux et leurs violences souvent tues. Son roman, Les Buddenbroock, sera souvent monté au théâtre. Il se déroulait alors en un moment contemporain. Au Festival d’Avignon, d’autres pièces ont évoqué, à travers la famille, les grands cataclysmes de l’histoire, Place des Héros de Thomas Bernhard, magnifiquement mise en scène par Krystian Lupa en 2016, ou encore dans cette même Cour d’Honneur que Pascal Rambert a investie pour l’ouverture de la 73e édition du festival, l’adaptation par Ivo van Hove des Damnés de Lucchino Visconti qui là encore conte les déchirements d’une famille patricienne alors que le nazisme gangrène déjà ses membres.

C’est dire que Pascal Rambert, en faisant d’Architecture une pièce de la déchéance d’une famille alors que l’empire austro-hongrois s’effondre puis se dissout dans le Reich nazi, avait fort à faire pour innover. D’autant qu’à la différence des auteurs ci-dessus mentionnés, il a choisi le passé pour parler du présent, s’imposant donc des anachronismes dont le théâtre est coutumier, mais qui ne se manient pas avec facilité.

 

Une pléiade de grands acteurs. L’auteur et metteur en scène, un des rares à affronter pour la seconde fois la Cour d’Honneur, s’est entouré d’une pléiade de grands acteurs. Il proclame même avoir écrit cette pièce pour eux, leur laissant leur propre prénom. Un patriarche, architecte de renom partisan du style Biedermeier, Jacques (Weber), a durablement terrorisé ses enfants, rendant bègue son fils ainé Denis (Podalydès), soumises ses filles, Emmanuelle (Béart) et Anne (Brochet). Seuls son jeune fils Stanislas (Nordey) et sa deuxième femme Marie-Sophie (Ferdane) osent pour l’un se révolter, pour l’autre lui dire quelques vérités. Les gendres, le journaliste Laurent (Poitrenaux), le colonel Arthur (Nauzyciel) et la bru Audrey (Bonnet) restent également muets face aux injonctions de l’ogre Jacques. Mais hors de la sphère familiale, ces gens-là sont des sommités dans leur métier. Scientifique, journaliste, philosophe, musicien, psychanalyste, ils participent à cette élite intellectuelle qui fait la nation, peaufine et assure la maintenance de son architecture.

Il y a donc là sur scène une distribution dont rêveraient un grand nombre de metteurs en scène. Pour quoi faire ? « Architecture montre comment les plus belles structures s’effondrent et finissent par engloutir leurs enfants les plus brillants » dit Pascal Rambert. Mais parle-t-on de notre époque, cette époque que rien ne semble parvenir à saisir ? « Si les plus brillants n’ont pu empêcher le sang comment ferons-nous dans un temps peu armé comme le nôtre si le sang se présente à nouveau ? » argumente l’auteur.

 

Le pouvoir du langage. Le défi est posé. Il est assuré par des comédiennes et des comédiens qui enchantent une fois encore le public. Mais comment mettre en scène à travers cette famille austro-hongroise et patriarcale maintes fois représentée les affres et les tourments d’un siècle qui n’est pas le leur ? Pascal Rambert répond par l’affrontement sur le langage. La pièce débute par une colère du patriarche due à l’affront que lui a fait son fils Stan lors d’une remise de décoration. Quel affront ? Une suite de borborygmes prononcés à voix haute au cours du discours faisant l’éloge de l’architecte. Le langage n’a plus d’autre sens que son expression subversive, mais celle-ci est impuissante à construire un autre monde. Elle dénonce, déconstruit, provoque la violence, mais se plaint par la voix même du fils de ne pas savoir faire autre chose. Le langage se cherche, se plaint, mais échoue à se réinventer.

Ce choix du prisme du langage qui ne parvient pas à construire entraîne la pièce dans des longueurs, des redites et des phrases absconses qui ont rebuté nombre de spectateurs profitant de l’entracte pour fuir la Cour. Il nous laisse en fait sur notre faim. Que nous vivions une fin d’époque, que le patriarcat soit, en Europe du moins, en train de mourir, que les dangers environnants et environnementaux nous inquiètent et nous alertent, tout cela nous le savons. Que dans la famille, cette « base de la société » que définissait Balzac, la fin d’époque se lise dans les rapports entre membres, rapports de force, violences mêmes, nous le savons aussi. Les nombreux monologues obligés quand on choisit de tels acteurs et qu’on écrit pour eux, jouent avec la langue mais nous conduisent à leurs morts certaines, sans que rien, pas même l’unique représentante de la génération suivante, nous relève de notre perplexité.

 

Architecture, texte et mise en scène de Pascal Rambert. Création le 4 juillet 2019 dans la Cour d’honneur du palais des papes, festival d’Avignon. Avec Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber et Bérénice Vanvincq.

Reprise à Rennes (26 septembre au 10 mai 2020), Strasbourg (15 au 24 novembre), Paris (6 au 22 décembre), Annecy (7 au 9 janvier), Clermont-Ferrand (15 au 17 janvier), Sceaux (24 janvier au 2 février), Valenciennes (5 et 6 février), Lyon (12 au 19 février), Bologne (22 et 23 février).

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