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Des jeunes de Kinshasa se glissent « Dans la peau de l’autre »

par Julie Matas
Invité par le festival de Marseille, Pepe Elmas Naswa a présenté la première française de sa pièce
Invité par le festival de Marseille, Pepe Elmas Naswa a présenté la première française de sa pièce "Dans la peau de l'autre". © Danny Willems
"Dans la peau de l'autre" s'inspire de la danse libératrice inventée par les enfants des rues de Kinshasa. © Danny Willems
Arts vivants Danse Publié le 05/07/2019
La compagnie Pepenas, dirigée par le jeune chorégraphe congolais Pepe « Elmas » Naswa, présentait pour la première fois en France sa quatrième pièce « Dans la peau de l’autre ». C’était à la friche La Belle de Mai, les 4, 5 et 6 juillet, dans le cadre du Festival de Marseille.

« Avec le Festival de Marseille, je poursuis mon désir de créer de vrais lieux d’écoute, des espaces partagés, de rencontres, d’émancipation, de démocratie. C’est un travail long et complexe mais dans un théâtre, une communauté se forme entre les gens sur la scène et ceux dans la salle. » confiait il y a peu Jan Goossens, le directeur du festival.

En effet, ce 4 juillet à la friche La Belle de Mai, la rencontre entre les danseurs congolais de la compagnie Pepenas et le public marseillais promettait d’être belle.

Dans la peau de l’autre, le dernier spectacle du jeune chorégraphe Pepe « Elmas » Naswa, était accueilli sur la scène du Grand Plateau. Inspirée de la danse du serpent, une danse de rue bien connue à Kinshasa, la pièce met en mouvement sept danseurs dont DJ Samantha, un chanteur « ambianceur », grio-maître de cérémonie, sur les rythmes endiablés d’un autre DJ, présent lui aussi sur scène. Les basses résonnent. Elles entraînent le public de la cité phocéenne dans une ambiance de bar de nuit congolais, sans le risque d’être pris dans une bagarre générale, le tout sublimé par une chorégraphie sophistiquée, mâtinée de danse contemporaine et de mouvements hip-hop.

 

Des rues de Kinshasa à la scène. Dans la peau de l’autre, on n’est jamais loin de la rue et ses affrontements. Car la danse du serpent, avec ses gestes à la fois ondulants et saccadés est un cri. Celui des shégués, les enfants des rues de Kinshasa, et des kulunas, les jeunes délinquants kinois. Elle exprime le chaos, la douleur d’être livré à soi-même, abandonné par les siens et par la société.

C’est une danse imprégnée de rage, de frustration, d’esprit de lutte et de provocation. Pepe « Elmas » Naswa l’a découverte dans un bar de son quartier, Chez Papa Fololo, où « la bière coule à flots, il y a du boucan et des bagarres y éclatent pour un petit rien »* et où le propriétaire du lieu permet à ces danseurs des rues de se produire. Le chorégraphe a noué des liens avec eux, impressionné et inspiré par leur créativité. Quand il les questionne sur ce qui les motive à s’exprimer ainsi, on lui répond : « Pour le moment, je danse et il n’y a plus rien d’autre qui existe, je suis le roi ici et je vous ai tous à l’œil. »*. Le temps d’une danse, ces jeunes se glissent dans la peau d’un autre, d’un roi, d’un serpent, obligés bien trop tôt de se débrouiller seuls, contraints de jouer les cobras et de gonfler les muscles pour mieux se défendre face à l’adversité. Pepe « Elmas » Naswa en convie un peu moins d’une vingtaine à participer à une série d’ateliers d’échange avec les danseurs professionnels et amateurs de Kinshasa. Et puis il en sélectionne deux, dont DJ Samantha qu’il connaissait déjà et qui a été son guide dans cette découverte. Les deux élus font maintenant partie de l’équipe du spectacle.

Pour le chorégraphe, l’expérience va au-delà de la danse. Il espère donner une autre vision de ces jeunes des rues : « Mon travail prend tout son sens dès lors que je parviens à conscientiser deux jeunes issus de la délinquance, à leur faire entrevoir et comprendre qu’ils peuvent être plus utiles avec leur danse et leur musique qu’avec des machettes. Je veux qu’ils puissent montrer à la face du monde qu’ils sont capables d’autre chose que de violence. »*

Le pari semble réussi pour cette première représentation française. Les deux danseurs amateurs se fondent tellement bien au reste de la troupe qu’il est impossible de les identifier. Le vœu de Jan Goossens de créer un espace de partage et d’émancipation paraît lui aussi exaucé. Et l’envie prend le public de quitter la salle et d’aller danser parmi cette communauté nouvellement formée.

 

* extraits de l’entretien réalisé par Michael Disanka pour Kaaitheater Magazine novembre - décembre 2018

 

« Dans la peau de l’autre » de Pepe Elmas Naswa, les 4, 5, 6 juillet, la Friche Belle de Mai dans le cadre du Festival de Marseille. Puis du 24 au 26 mars 2020 au 104 à Paris dans le cadre du festival Séquence Danse Paris.

 

 

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