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« Quais de Seine », Points de non-retour France Algérie

par Véronique Giraud
Avec Point de non retour / Quais de Seine, Alexandra Badea dénoue un passé douloureux qui empoisonne la relation  entre la France et l'Algérie. La pièce est présentée du au 12 juillet au Festival d'Avignon. © Christophe Raynaud de Lage
Avec Point de non retour / Quais de Seine, Alexandra Badea dénoue un passé douloureux qui empoisonne la relation entre la France et l'Algérie. La pièce est présentée du au 12 juillet au Festival d'Avignon. © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 13/07/2019
Alexandra Badea présente à Avignon le second volet de sa trilogie "Points de non-retour". Avec "Quais de Seine", l'auteure et metteure en scène immisce une nouvelle fois son théâtre dans un pan refoulé de notre histoire, celui de la répression de la manifestation des Algériens à Paris en 1961.

Lors de la cérémonie de naturalisation qui lui conféra officiellement la nationalité française, Alexandra Badea fut frappée par la remarque de l’officier d’état civil : « À partir de ce moment vous devez assumer l’histoire de ce pays avec ses moments de grandeur et ses coins d’ombre. » L’auteure metteure en scène prit alors la décision, elle, Roumaine de 39 ans, vivant en France depuis 2003, de dénouer ces « points de non-retour » qu'on effleure parfois dans les repas de famille, sources de blessures et de divisions de la société française. La collaboration, le colonialisme, l'antisémitisme…

C'est le colonialisme qui hante le théâtre d'Alexandra Badea depuis l’automne 2018 qui marque le début de sa trilogie Points de non retour. Après Thiaroye, qui revient sur 1944 avec la tragédie méconnue de la tuerie par les gendarmes français de tirailleurs sénégalais manifestant pour le paiement de leurs indemnités, Alexandra Badea fait remonter à la surface l’événement, lui aussi tragique, lui aussi peu traité, de la répression de la manifestation d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961. Avec courage, l’auteure se confronte là encore à l’entreprise de dissimulation collective qui gangrène les relations France Algérie, d’une génération à une autre, d’un être à l’autre.

 

D’un être à l’autre. C’est précisément ainsi que débute Quai de Scène. D’un homme rencontré par hasard il y a huit ans, la metteure en scène a recueilli l’histoire familiale bousculée par l’Histoire. Ce récit, trois phrases surtout, est resté gravé dans son esprit et a résonné le jour de la cérémonie de sa naturalisation. La metteure en scène s’invite sur scène pour revenir en préambule sur ces circonstances qui ont fait naître sa pièce. Adressés à l’homme, les mots qu’elle écrit en direct sur son ordinateur s’affichent sur grand écran. Puis, vient Nora (Sophie Verbeek).

C’est à travers elle, qui souffre de mal de vivre et d'une colère inexpliquée, que ce récit familial deviendra audible, complet. Expulsant tous les non-dits qui, de génération en génération, ont conduit à sa fragilité. Nora s’allonge sur un lit d’hôpital. Assistée par un thérapeute attentif (Kader Lassina Touré) qui l’aide à reconstituer son passé, elle viendra à bout du silence et de l’ombre. Les non-dits sont représentés dans une seconde scène, qui vient s’éclairer de temps à autre pour voir évoluer Irène (Madalina Constantin), dont la famille est pied-noir, et l'Algérien Younès((Amine Adjina). L’amour du jeune couple affronte à la fois l’hostilité familiale et l’imminence de la libération du joug colonial dont la conséquence est le départ des Français installés en Algérie. On les retrouve à Paris où Irène a décidé de fuir avec Younès sans l’avis de ses parents. Mais là aussi le malheur rôde. Les Algériens sont loin d’être les bienvenus, et le sort de centaines d’entre eux, hommes, femmes et enfants, se soldera par la répression meurtrière de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris.

 

Les mots d’Alexandra Badea ne s’installent pas dans un décor. Un lit médical et un siège de bureau suffisent pour ce qui va suivre : la volatilité d’instants de vies qui, mis bout à bout, prendront la forme d’un récit familial qui ravive un pan de l’histoire de France, rouvre les plaies de la difficile relation France Algérie, en France comme en Algérie. Avec Quai de Seine, remonte à la surface le flux d’une tragédie intime, noyée sous un silence collectif. Un silence qui, ici, devient poison.

En construisant ses aller retour dans le temps autour de l'intrigue du secret de famille qui tient en haleine comme un polar, Alexandra Badea réussit admirablement à rendre palpable combien la famille a à voir avec la nation. Et, alors qu’Irène parvient à combler les trous de son passé, le spectateur est maintenu face à un pan de l’histoire de France que le silence et le rejet n'ont pu que transformer en haine.

 

Points de non-retour /Quais de Seine/ Texte et mise en scène Alexandra Badea ; dramaturgie Charlotte Farcet ; scénographie, costumes, Velica Panduru ; lumières, Sébastien Lemarchand ; création sonore, Rémi Billardon. Avec Amine Adjina, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Sophie Verbeeck et Alexandra Badea. Création au Festival d'Avignon, salle Benoît XII, du 5 au 12 juillet. Puis du 7 novembre au 1er décembre à Paris, au théâtre de la Colline.
Texte publié aux éditions de L’Arche.

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