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Saison 2019-2020, migrations et populismes au programme

par Véronique Giraud
"Le Présent qui déborde" de la brésilienne Christiane Jatahy a été la révélation d’Avignon. Le spectacle fait dialoguer les acteurs filmés et les comédiens dans la salle. © Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 29/08/2019
Si "Outside", la magnifique pièce de Kirill Serebrennikov, ne tournera qu'en 2020, les succès d'Avignon sont bien présents sur les scènes françaises et européennes. Le théâtre a toujours été impliqué dans l’actualité. Les créations des festivals de cet été, qui font la saison à venir, ont particulièrement insisté sur les migrations, les populismes, l’Europe. Sept exemples et pas des moindres.

Avignon, sous la direction d’Olivier Py, en avait fait le fil conducteur de son édition 2019, la migration de l’Odyssée. Les festivaliers ont apprécié ce retour aux origines du théâtre. Avec la question des populismes et des régimes autoritaires, elle a inspiré la plupart des créations présentées à Avignon que l’on pourra voir cette saison dans les théâtres français et européens.

 

Le Présent qui déborde (O agora que demora). Grand succès du festival, Le Présent qui déborde de la brésilienne Christiane Jatahy innove en tout point. Les comédiens ne viennent pas sur la scène occupée d’un grand écran en fond plateau, qui crée avec les gradins une distance de 7 mètres représentant ce no man’s land d’usage entre deux pays. « Dans chaque pays, trois acteurs ont été filmés, systématiquement deux Ulysse et une Pénélope » explique Christiane Jatahy. Les acteurs sont eux-mêmes des migrants, de Palestine, du Liban, de Grèce et d’Afrique du Sud. « La fiction que j’ai créée se mêle en permanence à la réalité des acteurs » qui sont sur place, dans les gradins, poursuivant les scènes projetées. Ils interagissent avec l’écran, instaurant parfois un dialogue avec la partie filmée. L’auteure ne trahit pas la tragédie antique d’origine, mais l’interprète dans notre présent où les migrations interrogent l’humanité et son futur. Le présent qui déborde sera repris en septembre à la Ruhrtriennale, en octobre à Bruxelles, du 1er au 17 novembre au Centquatre-Paris. Puis à Strasbourg, Saint-Étienne, Besançon, en Espagne et en Suisse.

 

Architecture. La création de Pascal Rambert pour l’ouverture du festival d'Avignon dans la Cour d’honneur a moins emporté les faveurs du public que ceux de sa collègue brésilienne ou du chinois Meng Jinghui. Sans doute parce que son thème de la montée du nazisme à travers une famille autrichienne n’a pas la force de celui des Damnés de Visconti, repris sur cette même scène trois ans auparavant. La pièce a été écrite pour une pléiade d’actrices et d’acteurs hors pair, leur conservant à leur prénom. Jacques (Weber) a durablement terrorisé son fils ainé Denis (Podalydès), ses filles Emmanuelle (Béart) et Anne (Brochet). Seuls son fils Stanislas (Nordey) et sa jeune femme Marie-Sophie (Ferdane) osent pour l’un se révolter, pour l’autre lui dire quelques vérités. Les gendres, le journaliste Laurent (Poitrenaux), le colonel Arthur (Nauzyciel) et la bru Audrey (Bonnet) restent également muets. Hors du cercle familial, ces gens sont des sommités dans leur métier. « Si les plus brillants n’ont pu empêcher le sang comment ferons-nous dans un temps peu armé comme le nôtre si le sang se présente à nouveau ? » argumente l’auteur. Architecture est reprise à Rennes en septembre et octobre, à Strasbourg du 15 au 24 novembre, à Paris du 6 au 22 décembre, puis en janvier à Annecy, Clermont-Ferrand et Sceaux, en février à Valenciennes, Lyon et Bologne.

 

Nous, l’Europe, banquet des  peuples. L’Europe intrigue également les auteurs. L’écrivain Laurent Gaudé et le compositeur et metteur en scène Roland Auzet ont produit ensemble Nous, l’Europe, banquet des  peuples. Constatant que la plupart des Européens connaissent peu leur histoire et que l’adhésion au projet Europe se délite, Laurent Gaudé et Roland Auzet se sont attelé à initier au théâtre un récit commun à tous les Européens. L’écrivain ne se veut pas historien. Ses mots, son lyrisme veulent préserver vive l’envie d’Europe. Une Europe contemporaine née de l’émancipation des nations, dont la première insurrection populaire eut lieu à Palerme en 1848, alors que l’année précédente, une « campagne des banquets », organisée en France pour contourner l’interdiction des réunions politiques, avait réclamé la république et le suffrage universel. La pièce s’ouvre sur un nous, populaire, dans lequel aucune administration, aucun élu, ne peut interférer. Nous, l'Europe, banquet des peuples sera repris en octobre à Amiens, en janvier à Perpignan, Neufchâtel, Blagnac. En février à Montbéliard, Choisy-le-Roi, Tours. En mars à Saint-Nazaire, Tarbes, Thau, Sénart et Saint-Denis.

 

Banquet Kapital. Ce même thème de la Campagne des banquets a fait florès cet été dans les festivals. Il sert également la pièce hilarante de Sylvain Creuzevault Banquet Kapital qui explique Le Capital de Marx à travers la création de la Deuxième République en 1848. On imagine l'exploit qui n'avait jamais été tenté. Il est réussi grâce à l'idée d'un banquet réunissant les acteurs de la IIe République, Raspail, Ledru-Rollin, Blanqui, Lamartine, Armand Barbès, Louis Blanc... À ce banquet là, on peut pleurer, faire les doctes, s'interpeller, se disputer. Mais le spectateur, surtout, y rit. Donnée au Printemps des Comédiens de Montpellier, Banquet Kapital sera reprise en octobre à Strasbourg, en avril à Bobigny, en mai à Niort, à Brive-Tulle et au Mans.

 

Phèdre !  L’amour du théâtre est un sujet en soi. Le Phèdre ! de François Gremaud est une mise sur scène avec humour et conviction de sa passion pour le personnage de Racine. Est-il possible de faire apprécier une pièce de théâtre classique écrite en alexandrins, à des lycéens ? François Gremaud répond par l’affirmative. La pièce a été commandée par le Théâtre Vidy-Lausanne pour être jouée dans des écoles. Le seul comédien en scène, Romain Daroles, incarne la figure théâtrale d’un professeur fou de Racine. Pour transmettre sa contagion, il utilise toutes les formes narratives, du jeu de mots à la paraphrase, et force le rire. « Je suis persuadé que la joie peut contenir tout le tragique du monde » explique l’auteur qui raconte comment les lycéens convaincus d’assister à un cours sont entrés méfiants, mais sont sortis admiratifs de Phèdre. Si le sujet principal est la pièce de Racine, c’est un amour du théâtre dans son ensemble qui en ressort. Phèdre ! sera reprise en novembre à Montbéliard et à Cognac, en décembre à Saint-Médard-en-Jalles et Vevey. Puis en 2020 à Colombes, Perpignan, Hédé-Bazouges, Épinal, Bruxelles, Vitrioles, Istres, Nantes, Maubeuge, Chelles, Saint-Ouen, Arras, Saint-Brieuc, Terrassons, Paris.

 

Outside. Avec Kirill Serebrennikov, Avignon a été secouée d’une grande bourrasque de liberté face à l’autoritarisme. Sa pièce Outside a été préparée pour le festival alors qu’il était assigné en résidence à Moscou. Il n'a donc pu assister à sa création inspirée par la vie et l’œuvre de Ren Hang. Le poète et photographe chinois s’est suicidé le jour de ses 30 ans et deux jours avant la date où ils devaient rencontrer Serebrennikov. Les deux artistes ont en commun d’être né dans un pays où le droit à la création est limité, où la censure s’exerce sévèrement, où déplaire suffit pour se retrouver enfermé. Inventant des stratagèmes leur permettant d’échapper tout à la fois aux regards désapprobateurs de la société et à la violence de ses tribunaux, ils ont su tous deux préserver leur esthétique novatrice et une exceptionnelle capacité à rester libres. Ren Hang, dont l'homosexualité et les sujets de ses œuvres exposaient à la censure, n'a jamais voulu vivre ailleurs qu'en Chine, son pays. Comme Serebrennikov directeur de théâtre à Moscou. Outside sera repris en 2020.

 

Ordinary People. Autoritarisme encore avec Ordinary People de Jana Svobodová et Wen Hui. L’une est tchèque, l’autre chinoise. Toutes deux nées dans les années soixante où les régimes politiques de leur pays respectif ont fait dans l’horreur. Collecter des récits de gens ordinaires, récits qui à eux seuls racontent l’histoire de leur vie dans « des régimes idéologiques très durs » selon l'expression de Wen Hui. Mais tout déborde, donnant à la pièce sa magie. Les paroles finissent par envahir notre contemporain. La pièce commence par une chanson tchèque à la guitare acoustique, suivie d’un concert de rock bruyant mené par un guitariste chinois. Trois danseuses chinoises, bientôt suivis par les hommes tchèques, éblouissent encore la scène, un vide animé de cartons, de consoles, de barrières métalliques, et surtout de lumières. Car les projecteurs de Pavel Kotlic et les vidéos de Jaroslav Hrdlicka construisent une graphie sur laquelle les acteurs jouent, une vomissure, une ombre, des traits de musique… Ordinary People sera reprise en novembre à Paris, Prague, Cergy-Pontoise, Villeneuve d’Ascq et Porto.

 

 

 

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