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La mort de Ben Laden libérée de son scénario hollywoodien

par Véronique Giraud
Audrey Hoareau
Audrey Hoareau
Arts vivants Théâtre Publié le 09/01/2020
En mettant sur scène "La très bouleversante confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté", texte inspiré de l'interview d'un membre du commando entrainé pour abattre Ben Laden, le collectif NightShot assène le récit haletant de la fabrique du héros américain. Une belle performance accueillie au Monfort théâtre.

À l’heure où le gouvernement américain attise les braises d’un grand conflit au Proche-Orient, la pièce donnée au Monfort a comme un air familier. C'est que les initiatives armées des États-Unis nous ont habitués aux multiples échos de la presse écrite et télévisée. Qu’il s’agisse des reportages in situ, des vidéos amateurs prises par des témoins à l’instar de l’attentat du 11 septembre, ou des images spectaculairement orchestrés par les autorités comme la capture de Ben Laden. C'est ce dernier fait d'armes qui a intéressé l’écrivain Emmanuel Adely, qui a publié en 2013 La très bouleversante confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté. Le texte est cru, et le point de vue celui d'un soldat du commando de 23 hommes, longuement entrainés au scénario de la capture du leader islamiste terré dans son dernier abri.En février 2013, le magazine américain Esquire avait publié l’interview d’un membre resté anonyme du commando d'élite de la Team 6 des Navy Seals, se présentant comme le tireur « le plus grand ennemi de l’histoire des États-Unis d’Amérique et du monde libre ».

Les images captées sur le terrain ont défilé en boucle sur les écrans d’information devant des téléspectateurs abreuvés de films d’action et de guerre. Le suspense est bien réel, mais les images souvent indissociables de la fiction laissent quasi indifférent. Le jeune collectif NightShot s’est saisi du texte d'un auteur qui dénonce précisément combien une actualité guerrière peut être présentée au grand public sous une forme proche du divertissement idéologique d'un film hollywoodien dont le vainqueur est connu d’avance. Afin de voir comment le théâtre peut intercepter un tel danger.

 

Le théâtre fait la différence. Dans la pièce du collectif, la fabrique du spectaculaire ne prend pas sa source dans ces images galvaudées, mais se construit, suivant la trame du livre, avec la parole des acteurs directs de l’événement, avant même que ces derniers soient rendus muets, sous couvert du secret-défense. Avant même que le récit d'une guerre soit, sans ses soldats, remanié par des communicants davantage attentifs aux répercussions sur les autres pays du monde, alliés et ennemis. Et c’est devant un public conscient de cette version, et influencé par la belle efficacité de l’action cinématographiée, qui ont laissé pour longtemps leur empreinte, que le texte est mis en scène.

Portées par d’excellents comédiens, tour à tour acteurs et narrateurs, tous vêtus du costume et tailleur sombre du présentateur occidental, chemise d'un blanc immaculé, les paroles pénètrent en nous de leurs mots répétés, empreints d’une brutale virilité, d’une envie d’en découdre. C’est que le théâtre appuie là où l’image glisse, lisse. Ici la langue est rugueuse, frappe fort, elle se délecte de la trivialité du combattant à qui on a asséné qu'il va devenir un héros de la nation, de l’histoire. L’esprit fixé à la fois sur son sexe en érection, sa masculinité victorieuse, ses muscles protecteurs, son invincibilité programmée, le soldat devient après coup… un simple jouet. Il ne pèse pas davantage que le personnage anonyme d’un film de Disney et, au passage, perd beaucoup de son humanité.

 

D'après La très bouleversante confession de l’homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté, d’Emmanuel Adely © Éditions Inculte 2013. Un spectacle du Collectif NightShot, mis en scène par Clément Bertani et Edouard Bonnet. Avec Clément Bertani, Pauline Bertani, Brice Carrois, Juliette Chaigneau, Laure Coignard, Julien Testard et Mikaël Teyssié. Au Monfort Théâtre Paris, du 7 au 18 janvier à 19h30.

 

 

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