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L’atelier politique de William Kentridge au LaM

par Véronique Giraud
William Kentridge, Ubu tells the Truth, 1997, détail du portfolio de 8 aquatintes. Ici, Thys Dullaart. © William Kentridge / Courtesy de l’artiste
William Kentridge, Ubu tells the Truth, 1997, détail du portfolio de 8 aquatintes. Ici, Thys Dullaart. © William Kentridge / Courtesy de l’artiste
William Kentridge, The Refusal of Time, 2010, extrait de la vidéo.
Photo : Henrik Stromberg. © William Kentridge / Courtesy de l’artiste & Marian Goodman Gallery, New York /Paris
William Kentridge, The Refusal of Time, 2010, extrait de la vidéo. Photo : Henrik Stromberg. © William Kentridge / Courtesy de l’artiste & Marian Goodman Gallery, New York /Paris
Arts visuels Arts plastiques Publié le 03/02/2020
Ses dessins charbonneux animent et troublent les plateaux de théâtres et d’opéras du monde. William Kentridge est célébré en France par une rétrospective du LAM de Villeneuve d’Asq. Du 5 février au 5 juillet.

Jusqu’au 27 janvier l’exposition Opéra Monde du Centre Pompidou Metz faisait découvrir son ingénieux dispositif conçu pour La flûte enchantée en 2005, le 17 janvier sa mise en scène de Wozzek était projetée en direct du MET de New-York dans les salles Gaumont en France, et pour quelques mois la rétrospective organisée au LaM de Villeneuve d’Asq, non loin de Lille, permettra de ne pas passer à côté d'un dessinateur génial.

L’artiste a grandi à Johannesbourg, en Afrique du sud. Dessinateur, vidéaste, scénographe de théâtre et d’opéra, il a commencé à vivre puis à créer dans une société divisée par l’Apartheid. Avec deux parents avocats, intimement liés à la lutte contre l’Apartheid, Kentridge s’est à ses débuts inscrit dans un militantisme artistique. « Je me demandais ce qui prévaut, quelles sont les images dont on a besoin ? Les syndicalistes, qu’est-ce qu’il faut qu’ils voient ? Le monde, comment faut-il l’expliquer aux autres ? » Le jeune homme s’est vite rendu compte, qu’ignorant ce dont les autres avaient besoin, il lui fallait travailler pour lui-même, trouver son propre chemin. « Plus ce fut personnel pour moi plus ce fut facile pour les autres de comprendre mon travail. William Kentridge se définit simplement : « Je fais partie d’une communauté d’artistes qui travaillent en atelier ». Le corps avec l’énergie créatrice qu'il dégage fait partie intégrante de son processus. Son propre corps lui sert souvent de modèle. Après avoir obtenu une licence de sciences politiques à Johannesburg, il est d’ailleurs parti à Paris se former à l’école de théâtre et de mime Jacques Lecoq. Ces exercices, appris il y a 35 ans, il les utilise toujours pour enseigner le dessin. « Non pas que le cerveau ne serve à rien, mais il faut développer des stratégies pour aller au-delà de l’évidence de la réflexion » confiait-il à France culture en 2017.

Le mouvement et l’opéra. Captivé par le mouvement, habité par l’idée que tout se transforme, Kentridge a débuté par le dessin d’animation. Mais, plutôt que de faire se succéder ses dessins, il a préféré transformer un dessin unique. Le remplissant, le modifiant, saisissant en photo chaque état pour conférer le mouvement, son dessin s’anime par la métamorphose.

Avec l’opéra, Kentridge est dans son élément. Il accompagne les chanteurs par des projections de ses dessins animés. Sa première expérimentation eut lieu en 1998 à Bruxelles avec Le retour d’Ulysse de Monteverdi. En 2005, ce fut La flûte enchantée dont il situe l’action à l’époque coloniale, puis Le nez de Chostakovitch, enfin, d’Alban Berg, Lulu et Wozzeck. En cinq adaptations lyriques, Kentridge a marqué la scène de l’opéra.

 

Un centre d'art pour la moins bonne idée. L'Apartheid a pris fin, mais beaucoup de questions d’ordre social et politique sont loin d’être résolues et la plupart des créateurs les interrogent. Kentridge n’est bien sûr pas en reste. Alors que les institutions artistiques s’effondrent, que les grandes galeries ont fermé, l’artiste a ouvert en 2017 un centre d’art à Johannesburg. Il l’a appelé Center of Less Good Idea (centre pour la moins bonne idée). « C’est une petite initiative artistique qui rassemble des danseurs, des artistes, des cinéastes. Le nom vient d’un proverbe d’Afrique australe : si le bon médecin ne peut pas te soigner, il faut chercher un médecin qui sera moins bon » commente-t-il.

 

« Un poème qui n'est pas le nôtre ». Conçue par le LaM en étroite collaboration avec l’artiste et le Kunstmuseum de Bâle, la grande rétrospective française montre l’étendue de son œuvre, depuis ses premiers dessins à sa dernière œuvre en cours de réalisation. À l’instar des plus grands, il aura exploré tous les médiums : dessin, gravure, sculpture, tapisserie, film d’animation, performance, installation vidéo, etc. Pour le théâtre, il établit des passerelles entre les arts plastiques, le cinéma et les arts du spectacle, virtuose de la mise en scène et de l’image en mouvement. Son œuvre foisonnante offre une vision à la fois poétique et critique de sujets parmi les plus délicats comme la décolonisation, l’Apartheid, les conflits politiques, le rôle de l’Afrique dans la Première Guerre mondiale. Depuis ses débuts, William Kentridge explore la condition humaine, en particulier les thématiques de la migration et du déplacement. Dans les salles du LaM, les décors de scène réalisés pour la pièce Sophiatown (nom d’un quartier métissé de Johannesburg brutalement rasé une nuit de 1955, au nom de l’Apartheid), un film documentaire, ou encore sa série de films d’animation Drawings for projection témoignent d'une approche transdisciplinaire de la création. Réalisée dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, son œuvre The Head and the Load (2018) revient sur le rôle peu connu joué par l’Afrique dans le conflit. Cette œuvre théâtrale fait dialoguer de façon spectaculaire chants africains et opéras européens pour raconter les enjeux des puissances coloniales en Afrique. Si l’œuvre impressionne dans sa forme et dans l’ambition de son propos, elle est très accessible.

 

« Prête-moi ton rêve ». Célébré dans le monde entier par les plus grands musées, William Kentridge compte parmi les créateurs emblématiques d’Afrique. Il figure parmi les trente-trois artistes contemporains africains que réunit l’exposition itinérante Prête-moi ton rêve qui, après Casablanca, a fait escale en décembre et janvier derniers au Musée des civilisations noires créé il y a un an à Dakar au Sénégal. Dans les mois à venir, elle sera présentée à Abidjan, Lagos, Addis-Abeba, Le Cap et Marrakech.

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