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Jacques Vincey : « faire face, chacun à son endroit et selon ses moyens »

par Véronique Giraud
Jacques Vincey, directeur du CDN de Tours ©Marie Pétry
Jacques Vincey, directeur du CDN de Tours ©Marie Pétry
Arts vivants Théâtre Publié le 28/04/2020
Jacques Vincey, directeur du centre dramatique national de Tours, a dû adapter le théâtre, son équipe, les comédiennes et comédiens accueillis pour deux ans, aux contraintes liées à la pandémie. Le festival Wet est reporté en octobre, et l’énergie collective déploie un nouvel élan créatif et invente un nouveau rapport au spectateur.

Où en est le CDN ?

Des principes fondamentaux ont été affirmés. Nous avons honoré les engagements pris envers les jeunes compagnies que nous devions accueillir, avec l’échéance, très importante et très proche, du festival Wet programmé fin mars. Wet est un endroit de visibilité et de reconnaissance, qui a des incidences sur la suite du parcours des artistes présentés. Très souvent les spectacles qui s’y sont joués ont été repérés par les programmateurs et ont eu une vie par la suite. Donc nous avons beaucoup travaillé au report de Wet en octobre, nous l’avons mis en place dix jours après le début du confinement. Nous avons tout fait pour que ces représentations puissent avoir lieu et les artistes payés, de manière à ne pas fragiliser ces compagnies qui souvent sont dans une situation précaire.

Nous avons pu reporter d’un an le spectacle de Robyn Orlin, co-accueilli avec le CCN de Tours. Malheureusement les spectacles programmés jusqu’à la fin de la saison ont dû être interrompus. Le plus difficile c’est de gérer l’incertitude.

 

Et son équipe ?

Chacun est chez soi. Avec plus ou moins d’activité possible. Pour certains c’est encore plus d’activité, l’équipe de direction et de production doit gérer ces reports, et les modalités de dédommagement des compagnies. Nous avons beaucoup de discussions avec la profession. Nous tentons d’harmoniser nos actions, d’avoir une politique commune au niveau du spectacle vivant, ce n’est évidemment pas simple. C’est l’occasion de confronter les expériences de terrain.

Pour d’autres, l’équipe technique en particulier, un chômage partiel s’est mis en place. Et pour une autre partie de l’équipe - le CDN de Tours a la particularité d’avoir un ensemble artistique composé de cinq comédiennes et comédiens permanents qui sortent des écoles nationales et sont là pour deux ans-, c’était les répétitions d’un spectacle qui devait être créé pour le Wet, écrit et mis en scène par Vanasay Khamphommala, un de nos deux artistes associés. Les répétitions sont suspendues mais ces forces vives, au cœur de la maison, étaient disposées à inventer au jour le jour, une manière de faire face à la réalité. Une plateforme numérique s’est mise en place.

 

Que faire d’un théâtre en période de confinement ?

Certaines voix se sont élevées sur les réseaux sociaux sur le fait que le spectacle vivant n’acceptait pas le vide, voulait à tout prix le meubler par des propositions diverses, et que la première urgence serait un entracte du théâtre. Selon moi c’est un vain mot de parler de vide. Comme tout le monde actuellement, nous sommes très poreux à une situation dramatique, sur le plan sanitaire et économique. Le monde est très enflammé, on ne peut être que très atteints de cet état. Dans notre petite partie, humblement et de manière exigeante, je pense qu’il nous fait faire face à la situation et réagir, à notre endroit et avec nos moyens, en proposant, parfois maladroitement mais sincèrement, des outils à remettre en cause, réinventer, penser dans un monde qui vacille. L’art et la culture sont devenus tout à coup, dans un monde mis à l’arrêt, des choses indispensables, plus indispensables que jamais, et en même temps le spectacle vivant est empêché. Comment rester vivant dans une contrainte qui nous oblige à fermer nos portes et à ne plus pouvoir être ensemble dans un même moment, dans un même lieu ? Notre responsabilité, en tout cas c’est le choix que j’ai fait avec l’équipe, c’est d’essayer d’inventer. Comment continuer à garder un lien avec les spectateurs qui ne peuvent plus venir jusqu’à nous, comment aller à eux, comment eux aussi peuvent nourrir notre travail et nos propositions.

Nous ne sommes pas dans une période de vide mais, à l’inverse, de fermentation, d’ébullition. Elle doit générer des nouvelles formes, des nouveaux usages, de nouveaux rapports les uns aux autres. Tout cela est réactivé en situation de crise.

 

Ces inventions pourraient-elles être durables ?

Je pense que certaines d’entre elles pourraient modifier la manière dont on fonctionnait jusqu’à maintenant. Les différentes propositions sont faites sur la plateforme numérique, captations, journaux de confinement… Une des actrices propose une série intitulée Histoires des objets d’appartements, elle s’empare de petits objets qui s’échappent du quotidien pour s’évader dans la poésie. Il y a aussi la photographe du théâtre qui fait un retour sur son parcours avec une série, L’attachement, qui restitue par son prisme son attachement à ce lieu. Comme d’autres, nous faisons des lectures au téléphone. Parmi les choses plus singulières, un acteur a proposé aux spectateurs qui le souhaitent d’envoyer leurs rêves, il les scénarise et envoie ses scénarios aux autres membres de l’ensemble artistique du théâtre qui en font des films. Ces films réalisés sur la base de rêves, c’est une nouvelle forme de collaboration.

Ces petites contributions apportent le sourire aux gens qui les consultent. Elles créent aussi de nouveaux rapports, artistiques et humains, entre un acteur ou une actrice et un auditeur ou une auditrice.

 

C’est peut-être aussi une possibilité de capter un public nouveau, plus jeune ?

Oui, possiblement. Tout cela déborde largement les spectatrices et spectateurs habituels. Par exemple, pour une lecture j’ai échangé avec quelqu’un qui habite Roubaix. Des gens qui sont très loin de Tours ont entendu parler de l’initiative et nous rendent visite. On n’est pas dans une perspective clientéliste. Nous sommes ouverts, et les gens sont ouverts à des choses qu’on ne fait pas d’habitude.

 

C’est un rapport inédit avec le public…

C’est un rapport très particulier au public. On a hâte que le rapport physique au public soit de nouveau possible. On est repoussés dans un couloir où on allait peu et dans ce couloir il faut qu’on continue à courir, à sauter, à danser, à inventer des nouvelles circulations.

 

Vous-même préparez une nouvelle création, adaptée des Serpents de Marie N’Diaye ?

Oui, j’y travaille. J’échange par mails avec le scénographe et l’éclairagiste pour finaliser l’espace. C’est un espace qui va se construire en collaboration très étroite avec eux, c’est un objet rassemblant dès le départ ces trois manières d’inscrire la pièce dans un espace sonore et lumineux. Nous continuons à travailler, à lire aussi avec les comédiens.

 

Comment ce texte âpre sur la relation à l’autre résonne-t-il en vous aujourd’hui ?

Évidemment on ne peut pas s’empêcher de l’entendre et de le travailler à travers le filtre d’aujourd’hui, qui fait résonner davantage certaines choses. Après, comme tout grand texte, il déborde de beaucoup un contexte. Ce qui me touche particulièrement dans l’écriture de Marie N’Diaye, et dans Les serpents en particulier, c’est que plusieurs réalités coexistent. Il y a des choses très simples, très directes, voire triviales, dans les rapports humains, mais il y a aussi une part qui n’est pas vraiment explicable, réaliste, raisonnable, qui tire du côté du fantastique, du conte. Cette coexistence de notre humanité raisonnable et de notre irrationalité qui nous fait parfois côtoyer les monstres, peut être vue par le prisme de l’époque actuelle.

 

Quid du plan d’urgence pour le théâtre ?

Il est en cours. Ce qui est important pour nous, en tant que CDN, c’est de prendre notre responsabilité aussi dans la solidarité. En tant qu'établissements subventionnés, il faut qu’on prenne notre part dans le soutien aux compagnies, en honorant nos échéances. Nous sommes le premier fonds de soutien. Nous sommes un service public, nous avons le devoir et les possibilités d’amortir la violence que ce monde subit. C’est la force et la vertu, des services publics. On redécouvre combien ça peut être important pour le monde dans lequel on vit.

Nous mettons en place des mesures au plus près des uns et des autres, mais sans oublier notre responsabilité de service public. Le théâtre Olympia est en lien avec la Métropole tourangelle, son premier partenaire, mais aussi avec l’État, la Région, le Département et les autres structures et établissements culturels qui font la spécificité de ce territoire. C’est le moment où tous nous tentons de trouver des solutions pour faire face à l’urgence et nous commençons à penser à ce qui va se passer après. On est obligés de se projeter, de prévoir, on ne peut pas attendre de savoir si les salles seront ouvertes à la rentrée. Nous allons faire des brochures comme prévu, tout en étant incertains de pouvoir accueillir le public. On avance, tout en sachant que ça peut s’arrêter, que ça se passe autrement. C’est maintenant qu’il faut le penser. Il n’y a pas forcément de solutions miraculeuses, il y a des tentatives qui doivent être faites. Je revendique que ce ne soit pas forcément génial, que ça puisse être maladroit. Ce n’est pas grave. Par contre ce qui est important c’est de rester actif et réactif.

 

 

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