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80 ans après ressurgit le journal de Renia Spiegel

par Élisabeth Pan
Souriante, la jeune Renia pose en  costume traditionnel polonais. DR
Souriante, la jeune Renia pose en costume traditionnel polonais. DR
Le journal de Renia sort en librairie le 1er octobre dans sa traducton française. © Editions Slalom
Le journal de Renia sort en librairie le 1er octobre dans sa traducton française. © Editions Slalom
Livre Récit Publié le 01/10/2020
Comme Anne Frank, la polonaise Renia Spiegel, adolescente, a écrit son journal avant d’être assassinée par la Gestapo. Conservé pendant 70 ans dans le coffre d’une banque, il refait surface. Sa traduction française est aujourd’hui, 1er octobre, en librairie.

A 14 ans, Renia Spiegel commence à écrire son journal intime. La jeune fille est alors en classe de 3ème à Przemyśl en Pologne. La guerre n’y a pas encore éclaté, c’est une adolescente comme les autres en quête d’un ami, un confident, qu’elle trouvera dans ce journal qu’elle considère comme « son âme », ses sentiments les plus profonds et intimes. Renia se sent très seule, car sa mère et sa petite sœur vivent à Varsovie, pour la carrière de sa sœur considérée comme « la Shirley Temple Polonaise », et elle demeure chez ses grands-parents. Son journal insiste sur ce manque d’affection maternelle. Elle finit cependant par rencontrer l’amour. C’est cet amour, Zygmunt Schwarzer, qui nous permet aujourd’hui d’avoir accès à ce témoignage de la vie de Renia.

Renia est décédée à l’âge de 18 ans, assassinée par des soldats Nazis. Zygmunt a alors achevé et conservé son journal. Avant d’être lui-même envoyé en camp de concentration, il le confiera à un de ses amis. Zygmunt survivra aux camps et récupérera le journal avant de partir aux États-Unis, où la mère et la petite sœur de Renia ont emménagé après la guerre sous de nouvelles identités. Il les retrouvera et leur offrira le journal de leur fille et sœur qu’il avait si précieusement conservé. Lorsque sa mère mourut, la sœur de Renia fut incapable de lire le journal. Elle préféra le garder dans un coffre en banque. C’est près de 70 ans après-guerre qu’Elizabeth acceptera de laisser ce douloureux passé sortir du coffre. Bien qu’elle n’ait jamais réussi à lire le journal de sa sœur, elle acceptera de le faire publier en 2019, pour offrir au monde ce témoignage frappant, ainsi qu’un aperçu des plus intimes de la personnalité de Renia Spiegel. Les éditions Slalom en offrent une traduction française qui paraît le 1er octobre, ainsi qu’une édition Jeunesse portant explication de la Shoah.

 

« Une jeune fille de seize ans profondément amoureuse ». Renia, contrairement à Anne Frank, n’était pas isolée dans une cache. Elle n’était pas non plus trop jeune pour comprendre ce qu’il lui arrivait : « Il y a eu une sorte de pogrom dans notre quartier. Bulus a écrit et m’a dit de quitter la ville pour venir à Tluste avec Zygus. « Ensemble ». « Ensemble » ! Ce serait si doux, si merveilleux ! » note-t-elle. Les trois années que Renia rapporte dans son journal offrent un regard direct sur ce qu’était la vie d’une adolescente juive en Pologne au début de la seconde guerre mondiale. Le but de son journal n’est pourtant en rien historique. Elle écrit d’ailleurs « ton journal intime est-il censé être un almanach politique, ou l’almanach de ton cœur ??? » et ajoute « Une personne normale dirait plutôt : “Ç’a été écrit par une jeune fille de seize ans qui était profondément amoureuse…“ ». La première année de son journal commence la guerre entre l’Allemagne et la Pologne. Très vite, elle tente de se détourner des événements : « Dieu ! Vous avez entendu ma prière et il n’y a plus de guerre (ou du moins, je ne la vois pas) ». Sa vie reprend alors son quotidien, bien qu’une vague de tristesse règne encore. Renia se concentre plutôt sur son adolescence, les cours, les garçons (un en particulier) et sur ses poèmes. « Quand Z. m’a dit aujourd’hui que c’était le mois de mai, je me suis sentie complètement différente, plus amoureuse » confie-t-elle. Mais la réalité la rattrape : « Souviens-toi de ce jour ; souviens-toi bien de lui, car tu le raconteras aux générations futures. Depuis 8 heures aujourd’hui, nous sommes enfermés dans le ghetto. C’est ici que je vis, à présent. Le monde est mis à l’écart de moi et je suis mise à l’écart du monde. Les journées sont terribles et les nuits ne sont pas mieux. Chaque jour apporte davantage de morts et je continue à Vous supplier, Dieu tout-puissant, de me laisser embrasser ma maman chérie. »

Mais là où Renia exprime le mieux ses sentiments c’est lorsqu’elle les écrit en vers. Elle gagnera d’ailleurs plusieurs prix d’écriture grâce à sa poésie, publiée dans certains journaux de l’époque. En somme, « mes journées et mes pensées sont un peu absurdes et immatures, ce qui est plutôt agréable ».

 

« Aux yeux des autres, je deviendrai un être inférieur ». Cela ne devait pas durer. Bientôt, la guerre refait surface dans la vie de Renia. L’invasion des armées allemandes se prolonge d’une propagande puis de rétorsions antisémites qui auront un impact de plus en plus conséquent sur la vie de la jeune fille : « Ma vie aussi s’en retrouve affectée. » Il lui sera par exemple interdit d’accéder au pont qui lui permettrait d’aller voir sa mère. Renia ne pourra à nouveau la rencontrer, la voir, qu’une ou deux fois au cours des deux dernières années de sa vie, créant un manque de plus en plus intense. « Aujourd’hui, je suis comme tout le monde… demain, à l’instar d’autres juifs, je devrai commencer à porter un brassard blanc. A tes yeux, je resterai toujours la même Renia, une amie, mais aux yeux des autres, je deviendrai un être inférieur, je deviendrai quelqu’un qui porte un brassard blanc avec une étoile bleue. Je serai une Jude. » écrit-elle, bien consciente de ce qu’il est en train de se passer.

 

Renia vivra malheureuse de la guerre et du traitement que lui inflige la politique nazie, mais elle s’appliquera à noter le bon côté des choses en s’entourant de beaucoup d’amour et de tendresse. Jusqu’au bout, la jeune fille gardera espoir. « Je veux vivre jusqu’au moment où je pourrai me tenir la tête haute, lorsque je serai une personne égale à toutes les autres et libre dans un pays libre et en démocratie ! »

Elizabeth Leszcynska, née Arianka Spiegel, écrit l’introduction et l’épilogue du journal de sa sœur. Elle dit « Au bout du compte, je sais que mes mots sont l’héritage de la vie que ma sœur n’a pas vécue. Ceux de Renia, eux, sont les souvenirs d’une jeunesse emprisonnée à jamais dans la guerre. »

 

Le journal de Renia, Le journal intime d’une adolescente polonaise pendant la Shoah de Renia Spiegel. Éditions Slalom. En librairie le 1er octobre 2020. Une édition Jeunesse paraît également, portant explication de la Shoah.

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