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« Artistes et Robots », l’intelligence artificielle au service de l’art

par Laura Coll
Edmond Couchot & Michel Bret. Les Pissenlits, 1990-2017
Edmond Couchot & Michel Bret. Les Pissenlits, 1990-2017
Takashi Murakami, Untitled, 2016
Takashi Murakami, Untitled, 2016
Orlan, Orlan & Orlanoïde, strip-tease artistique électronique et verbal, 2018
Orlan, Orlan & Orlanoïde, strip-tease artistique électronique et verbal, 2018
Peter Kogler, Untitled, 2018
Peter Kogler, Untitled, 2018
Arts visuels Numérique Publié le 18/06/2018
Un robot est-il un artiste comme les autres ? C’est la question que  pose « Artistes et robots » qui se tient au Grand Palais jusqu’au 9 juillet. L'exposition digitale, immersive et interactive, ouvre la porte d’un hypermonde où les machines animent les créations et invitent le visiteur à l'action.

Après la photographie, l’art vidéo, le design, l’art cinétique, la bande dessinée, le Grand Palais accueille une première exposition muséographique consacrée à « l’imagination artificielle », terme qui englobe l’art robotique, génératif et algorithmique. Le parcours propose une initiation au monde virtuel et au corps augmenté, une expérience spatiale et temporelle perturbée par le bouleversement de programmes informatiques. Au fil de la visite, le visiteur est amené à s'interroger sur le sens même de l’art, de la création, du réel. 36 œuvres, tableaux, sculptures, films, musique, plongent le visiteur dans un monde de création où l’homme s'allie avec l’intelligence numérique. L’exposition s’articule en trois grands axes.

 

La machine à créer rassemble les œuvres de pionniers de l’art numérique, qui ont ouvert l’art à des pratiques inédites. Ici, les robots créent des œuvres et s’activent à l’aide de corps ou de bras qui dessinent, peignent ou gravent. On y retrouve les inventions de Jean Tinguely, qui a ouvert la voie de l’art algorithmique dans les années 50 avec meta-matic n°6. L'œuvre, activée par un retour électrique, produit des dessins uniques, fruits d’une collaboration entre l’artiste, la machine et les regardeurs. Moins connu, Nicolas Schöffer affirmait sa radicalité : « désormais l’artiste ne crée plus une œuvre, il crée la création », et en 1956 il invente CYSP1, première sculpture cybernétique de l’histoire de l’art. Connecté à des capteurs, ce « cerveau » permet à la sculpture de réagir aux variations des son, intensité lumineuse et couleur. Dans les années 2000, Patrick Tresset a introduit son œuvre Human Study #2 , invitation à réfléchir sur la futilité de l’existence humaine qui met en scène, assis sur de vieux pupitres d’écoliers, trois robots dotés d’un seul œil et d'un seul bras, programmés pour inlassablement reproduire en dessins ce qu’ils voient. Avec Senseless Drawing Bot (dessins insensés), l’artiste japonais So Kanno s’inspire quant à lui du graffiti, du street-art et de l’action painting. Son robot, aveugle, est une machine à dessiner auto-générative et construite sur un skateboard à moteur.

 

L’œuvre programmée offre une plongée dans l’informatique. Ici, les robots disparaissent du champ de vision mais donnent à l’œuvre sa forme, son mouvement et son interactivité avec le public. Reflexão, création de l’artiste brésilienne Raquel Kogan, se démarque de l'ensemble. Dans une salle obscure, elle invite le visiteur à marcher sur des chiffres qui, une fois projetés verticalement, forment l'empreinte de son corps dans un miroir. Un espace participatif à la fois ludique et oppressant. Plus loin, difficile de ne pas être subjugué par l’installation Les Pissenlits des français Edmond Couchot et Michel Bret. Imaginée en 1990, l'œuvre déclenche une interaction en temps réel entre le regardeur et l’œuvre. Sur l'écran, les pissenlits ondulent et se balancent grâce à une brise virtuelle, puis s’éparpillent en réaction au mouvement saisi par un capteur faisant face à la projection. C'est par le souffle du regardeur que l’œuvre prend vie, les akènes des pissenlits s’en détachent et s’envolent, puis retombent lentement, dans l’attente d’une nouvelle interaction. Dans sa version augmentée en 2017, l’œuvre relève du merveilleux et du spectaculaire, invite à la rêverie. Au détour de la balade dans cet hypermonde, Extra-natural de Miguel Chevalier conduit à un univers féérique et bucolique, donnant une sensation d’infini. Dans ce jardin virtuel, des fleurs imaginaires naissent ou meurent devant les yeux du visiteur, puis se recomposent grâce à des capteurs de présence. Au gré des mouvements, les plantes se développent et rendent cette jungle virtuelle de plus en plus luxuriante.

 

Le robot s’émancipedernière partie de l’expositiondonne à percevoir l’intelligence artificielle mise au service d’un savoir-faire de plus en plus étendu, presque inquiétant. Avec Portrait On the Fly, Laurent Mignonneau et Christa Sommerer interrogent le culte du « selfie ». L'installation, basée sur l’illusion, se compose d'un essaim de mouches virtuelles bourdonnant sur un écran et formant la silhouette du regardeur en temps réel. L’œuvre multimédia de l'artiste Orlan intrigue et prête à sourire : mixant l'intelligence artificielle à celle collective, des générateurs de textes à sa propre poésie, elle compose avec Orlan & Orlanoïde un strip-tease artistique électronique et verbal. Une nouvelle façon pour l’artiste d'interroger le statut du corps, via les pressions culturelles, traditionnelles, politiques, religieuses et technologiques qui s’inscrivent dans les chairs, en particulier féminines. Et, tel un hymne au futur, le parcours s’achève en musique sur le mythique clip des Daft Punk Technologic.

 

« Après le pinceau, le robot ». Pour Laurence Bertrand Dorléac, l'une des deux commissaires de l’exposition, la démarche d’Artistes et robots n’est pas scientifique. Les œuvres ont été choisies pour leur puissance artistique, visuelle. Ce sont les artistes qui sont montrés, pas des techniciens. « Monet rêvait déjà d’une immersion totale dans ses Nymphéas. Mais il n’en n’avait pas les moyens techniques. Maintenant on les a. » Mais alors, est-ce que l’artiste pourrait se faire doubler par la machine ? Pour Jérôme Neutres, co-commissaire, « Jusqu’à preuve du contraire, non. L’artiste est toujours maitre à bord, et ne délègue à son robot qu’une partie de son pouvoir. » Ainsi, les robots endossent le rôle de co-auteur, et les artistes plasticiens qui composent l'exposition ont trouvé dans les techniques robotiques un nouveau support d’expression pour donner leur vision du monde, bousculant l’imaginaire de chaque visiteur franchissant les portes du Grand Palais, lui donnant une perception "augmentée" de son statut de regardeur.

 

Artistes et Robots, jusqu’au 9 juillet 2018 au Grand Palais, 3 avenue du général Eisenhower, 75 008, Paris.

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