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Mot de passe oublié ?À l’inverse de la moquerie supérieure bien française, l’humour belge cultive l’autodérision et ose se frotter à l’épineux. À l’image du hérisson au réalisme bouleversant que Jan Fabre fait intervenir sur la scène de Belgian Rules/Belgium Rules pour incarner l’esprit belge. De Belgique, ce n’est pas l’humour discret de l’aristocratie anglaise qui s’est exporté, mais un humour populaire, rythmé de rots et de pisse. Dans la grande tradition belge, Jan Fabre prend son pays à rebrousse-poil pour asséner une critique sans dédain, mais sans concession. Le politiquement correct n’est pas sa tasse de thé. Plutôt ce qui vient à l’esprit avec quelques bières et un cornet de frites dorées. De quoi faire peur à un directeur de salles.
On pourrait craindre un spectacle grivois, ou qui abaisse l’humain dans une fange déliquescente, à l’instar de nombreux « comiques » d’aujourd’hui. On est bien loin de cela avec cet artiste qui manie son inépuisable imaginaire en dessinant sans cesse, en sculptant avec des carapaces de scarabées, en attribuant des cornes à ses autoportraits. Et fabrique pour la scène un théâtre d’images. S’ensuit précisément tout le long de Belgian Rules/Belgium Rules une description inédite de ce théâtre auquel il tient tant.
L’histoire de la Belgique et des Belges, propos de la pièce, apparaît pendant presque quatre heures sous les esthétiques de ses plus grands peintres, de Rubens à Brueghel, de Fernand Knopff à Magritte, de James Ensor à Paul Delvaux. Jan Fabre les a collé aux corps de ses interprètes, comme sortis d’un tableau. Le pays est aussi raconté avec ses processions carnavalesques qui ponctuent toujours l’année en Belgique, des Gilles de Binche aux majorettes et aux Haguètes, et par une représentation de l’histoire de la nation, avec une incroyable présentation visuelle de son drapeau ou l’origine peu connue en France de son indépendance en 1830. Le nationalisme n’est pourtant pas présent, seule la mémoire collective joue un rôle moteur, dans ce qu’elle inspire de fantasque.
Pour ses spectacles grandioses, à gros budget, Jan Fabre lance à ses interprètes tous les défis. Athlètes, comédiens, chanteurs, danseurs, ils se prêtent aux rythmes endiablés et aux changements de costumes sans que le sérieux ne plombe la grâce de leur gestuelle. Un récitant, sorte de monsieur loyal du théâtre expressionniste allemand, lie les tableaux. Bouffon et philosophe, c'est à lui que revient l'honneur de définir dans une tirade envolée, le théâtre d'images tel que Jan Fabre le conçoit. Il légitime ainsi le grottesque, et donne à la crudité sa valeur esthétique. Belgian Rules/Belgium Rules, c’est d’abord un texte de Johan de Boose. Ce dernier le décrit comme l'un des projets les plus radicaux qu'il ait jamais réalisés : « perturbateur et fou, tout comme l'art devrait être ».
Belgian Rules/Belgium Rules, conception, mise en scène : Jan Fabre, texte : Johan de Boose. Musique : Raymond van het Groenewoud et Andrew Van Ostade. Costumes : Kasia Mielczarek et Jonne Sikkema. Avec : Lore Boremans, Annabelle Chambon, Cédric Charron, Anny Czupper, Conor Thomas Doherty, Stella Höttler, Ivana Jozic, Gustav Koenigs, Chiara Monteverde, Pietro Quadrino, Annabel Reid, Ursel Tilk, Irène Urcijoli, Kasper Vandenberghe et Andrew James Van Ostade. Théâtre des Salins à Martigues les 12 et 13 avril 2019.