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Avec « Peer Gynt », le lab offre son premier Objet Musical Créatif

par Véronique Giraud
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Un "Peer Gynt" réunissant la symphonie de Grieg et le texte d'Ibsen était présenté à l'opéra de Montpellier les 12 et 13 janvier 2018. @ luc Jennepin
Musique Opéra Publié le 13/01/2018
"Peer Gynt" réunit deux immenses créateurs : l’écrivain Henrik Ibsen et le musicien Edvard Grieg. La pièce n’était pas destinée à être mise en scène, c’est pourtant le défi que Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœil se sont lancé, en créant "le lab", dans le but de doter le concert symphonique d’une nouvelle forme scénique, plus hybride et accessible. Leur premier « Objet Musical Créatif », créé à l’opéra de Limoges, était représenté à Montpellier les 12 et 13 janvier.

« Mettre en scène d'une manière différente un orchestre symphonique » et pour cela faire « dialoguer orchestre symphonique, comédiens, chanteurs lyriques, chœurs et création vidéo réalisée en direct » expliquent Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœil, c'est l'objet du travail de le lab, créé par eux en 2009.

Le choix de Peer Gynt pour cette tentative de réunion d’une œuvre symphonique avec la pièce littéraire qui l’a inspirée est à la fois évident et contradictoire. Evident, puisqu’on dispose ici des deux matériaux essentiels à l’entreprise, une pièce de théâtre définie par son auteur comme un lesedrama, une pièce à lire, et une symphonie commanditée par ce même auteur à un des musiciens les plus en vue de son époque. Autre avantage, le Peer Gynt de Grieg est conçu comme une suite de mélodies universellement connues.

Contradictoire aussi, car Ibsen et Grieg ne s’appréciaient guère. Si le dramaturge est allé chercher le compositeur, c’est parce qu’il lui fallait un musicien de culture norvégienne et qu’il n’avait guère de choix. Si le jeune compositeur trentenaire a accepté, c’est parce qu’il vivait une passe financière difficile et ne pouvait refuser un tel apport d’argent. Avec ces prémices, le résultat, extraordinaire pour le public, ne pouvait être que décevant pour les deux hommes. Grieg estima la « pièce débordante d’esprit et de fiel » et Ibsen trouva la musique inadaptée à son œuvre. En ce sens, et parce que la pièce et la partition sont chacune un chef d’œuvre autonome, on peut donc dire qu’il y a deux Peer Gynt, celui d’Ibsen et celui de Grieg. Les réunir est donc un sacré défi. Un défi pour lequel précisément Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœil s’exercent à concevoir une forme scénique nouvelle d’une œuvre symphonique, qu'ils ont choisie de nommer « Objet Musical Créatif ».

 

Invention scénique pour symphonie. Cette ambition de mêler simultanément deux formes esthétiques se traduit d’emblée sur le plateau. L’orchestre est traversé par un curieux dispositif scénique composé de plusieurs sentiers en bois. Serpentant de part et d’autre des musiciens, ils font circuler comédiens et chanteurs, imbriquant visuellement texte, chant et musique. « Au croisement de ces chemins, six stations, explique le lab. A chacune de ces stations, une simple table sur laquelle sont disposés quelques objets. Sur chaque table aussi, une discrète petite caméra." La façade d’une simple maison scandinave, servant d'écran de projection, surplombe l’ensemble. La dualité de Peer Gynt offre donc un matériau exemplaire pour sortir des sentiers battus. Poursuivant le projet d'Ibsen lui-même d’inventer de nouveaux codes de représentation à travers l'écriture de ce poème dramatique.

Faire l’apologie de son pays, magnifier l’héroïsme tout en dessinant un Peer Gynt irresponsable, affabulateur, violeur, orgueilleux et lâche, qui fuit la Norvège avide d'aventures et de pouvoir, construire un parcours initiatique en ressuscitant d'effrayants personnages des montagnes issus de la tradition nationale et ses contes populaires, façonne la complexe dramaturgie de l'œuvre. Hors du pays, la mythologie norvégienne échappe quelque peu au spectateur. Là, le pouvoir évocateur de chacun des courts tableaux musicaux de Grieg, mélodies, lieds et danses, transporte l’auditeur vers de lointains paysages. En parallèle, l’entreprise de le lab d’introduire une troisième dimension esthétique, celle de l’image projetée et filmée en direct, offre une autre clé dans la compréhension de l'œuvre. Les projections vidéo de paysages enneigés alternent avec la captation en live par de petites caméras réparties sur la scène, qui renvoient en gros plan un jeu de construction graphique contemporain. On peut regretter parfois le manque de pertinence de ces images.

 

La symphonie transformée en opéra ? La représentation donnée à Montpellier a joui de l'excellence de l'Orchestre national Montpellier Occitanie dirigé par Michaël Schonwandt, des chœurs de l'Opéra national dirigé par Nicole Geny et ceux de l'Opéra junior. Le public, qui s'attend à voir un opéra à partir de la symphonie, se trouve ici devant une forme inédite. Avant tout chant, les acteurs prennent la parole comme au théâtre, dans un jeu bien éloigné des récitatifs des œuvres lyriques. Peer Gynt est ainsi interprété à la fois par le comédien Tomas Gornet et le chanteur Philippe Estèphe. Pour réaliser une telle forme scénique, avec en outre l'ambition de le lab de rester dans le créneau populaire qu'offrent les mélodies de Grieg, il fallait bien sûr adapter le texte d'Ibsen, d'ailleurs rarement joué dans son intégralité de quatre heures. C'est ce qu'a fait Alain Perroux qui a supprimé les nombreux personnages, s'en tenant à ceux qui font avancer l'intrigue. La pièce y perd de sa complexité, tombant parfois dans la comédie enfantine qui n'est toutefois pas étrangère à l'original.

Peer Gynt, comme son auteur, plaisent à notre époque. Le metteur en scène David Bobée donnera la pièce au théâtre des Gémeaux de Sceaux du 25 janvier au 4 février 2018. Elle a suscité également l'intérêt d'Irina Brook qui la monte du 8 au 18 février 2018 aux Bouffes du Nord.

 

Peer Gynt, musique d'Edvard Grieg et texte de Henrik Ibsen adapté par Alain Perroux. Orchestre national Montpellier Occitanie dirigé par et Michaël Schonwandt, chœurs de l'Opéra national et de l'Opéra junior toujours sous la direction de Noëlle Gény. Avec Thomas Gornet, Marie Blondel, Amélie Esbelin (comédiens) et Philippe Estèphe, Norma Nahoun et Marie Kalinin (chanteur). Créé à l'Opéra de Limoges en mai 2017. Opéra Berlioz de Montpellier 12 et 13 janvier 2018.

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