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« Burning » : trio amoureux dans une Corée mystérieuse

par Jacques Moulins
Le trio amoureux de
Le trio amoureux de "Burning", film du Coréen Lee Chang-dong. DR
Cinéma Film Publié le 29/08/2018
Retrouvant les salles après huit ans d'absence, Lee Chang-dong a présenté au festival de Cannes "Burning", un film inclassable, réaliste et mystérieux à la fois, où un trio amoureux construit et déconstruit une Corée intrigante.

Inspiré d’une nouvelle de l’écrivain japonais Haruki Murakami, Burning, le dernier film du cinéaste coréen Lee Chang-dong lui emprunte, en plus de l’intrigue, ce style qui rend le film inclassable. Les plans, les scènes, l’intrigue, sont pourtant d’un réalisme classique : un trio amoureux, l’opposition de classe sociale entre les deux hommes, l’un d’origine paysanne, l’autre de la grande bourgeoisie, les hauts-parleurs qui, à la frontière, déversent la propagande nord-coréenne sur une population qui n’y fait nullement attention, le tribunal qui juge de tous les excès bannis par une société rigoriste, la culture en serres et les constructions enchevêtrées de la ville surpeuplée, l’embauche par des employeurs autoritaires et sans scrupule.

Tout y est, tournant autour des trois jeunes gens, les rêves, les illusions et les désillusions. Mais il y a en plus ce mystère bien contemporain par lequel les deux créateurs, Murakami et Lee Chang-dong, cassent subtilement les prétentions à la raison universelle de nos cultures occidentales. À travers l’opposition d’abord policée des deux hommes, et la prédominance donnée à Jongsu, jeune étudiant, fils de paysan et romancier en herbe, c’est la présence, et l’absence, de la jeune fille, Heami, qui construit le mystère. Le monde qu’elle invente laisse bouche-bée Jonsu et séduit Ben, riche trentenaire. L’un en tombe amoureux, l’autre s’en amuse avant de s’en lasser pour une autre de ces jeunes filles qui font les Pom-Pom Girls pour racoler dans les commerces une clientèle populaire et désabusée. La liberté de la jeune fille, rudement dénoncée par l’étudiant, manœuvrée par le jeune homme riche, restera au centre du mystère. Si l’un et l’autre semblent désabusés par une société épuisante et épuisée, elle seule vit grandement.

 

Inclassable et si prenant. Réalisme encore et mystère toujours dans une société où les codes imposent une civilité de plus en plus factice qui cache mal les violences à venir. C’est dans ce mouvement de l’un à l’autre, réalisme et mystère, prose et poésie, plans calmes sur les vastes paysages et gros plans mouvementés que se construit l’esthétique subtile du réalisateur de Poetry, son film précédent remontant à 2010. Deux scènes la posent à merveille. Dans l’une, Heami, qui a invité son ancien camarade de classe à boire un verre, mime de ses mains l’effeuillage d’une mandarine, en expliquant que, pour bien mimer, il ne faut pas croire que le mandarine existe, il faut désirer le fruit. Dans la seconde, elle montre à ses deux amants une danse supposée d’un peuple africain qui distingue le « Little Hunger », celui qui a faim et doit manger pour se rassasier, du « Great Hunger » qui a faim mais ne sera rassasié que s’il trouve un sens au monde, ou tout au moins à son existence dans le monde.

Sur ces bases, la solidité du réalisme, l’illusion artistique, va se poursuivre un film qui emprunte à la fois au thriller, au conte, au portrait psychologique, au cinéma social, sans jamais tomber dans aucun de ces classements. La lente progression n’a rien d’inéluctable, rien ne permet d’avoir un avis péremptoire sur la situation, rien ne laisse imaginer la fin. Précisons encore que la nouvelle de Murakami est inspirée d’une nouvelle de William Faulkner dont l’image est bien présente dans le film. Nombre de critiques auraient décerné sans hésitation la Palme d’or à ce long métrage qui a reçu à Cannes le Prix Fipresci de la Critique internationale. Là encore inclassable. Mais si prenant.

 

 

Burning, film coréen de Lee Chang-dong. Sortie en salles le 29 août 2018. Avec Ah-in Yoo, Steven Yeun, Jong-seo Jeon. Prix Fipresci de la Critique internationale au festival de Cannes 2018.

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