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Mot de passe oublié ?Tout commence en 2005 quand Marie-Cécile Zinsou décide de fonder un lieu pour mettre à l’honneur l’art contemporain à Cotonou, capitale du Bénin, l’un de ses deux pays d’origine. La collection, riche aujourd’hui de plus de 1 000 œuvres, a fait l’objet de nombreuses présentations au musée de Ouidah, lieu d'exposition de la fondation, et de plusieurs expositions dans le monde. Au MOCO Hôtel des collections de Montpellier 130 œuvres de 37 artistes ont été sélectionnées, composant un ensemble intergénérationnel. Certains auteurs sont majeurs de l’art d’aujourd’hui, présents dans les plus grandes collections et ayant fait l’objet de monographies. D’autres artistes sont présentés pour la première fois en France, comme Ishola Akpo ou Aïcha Snoussi.
Ce « récit » d’art contemporain court des années 90 à nos jours. Il compose bien sûr avec l’influence de l’art moderne occidental, mais en s’en affranchissant ou en la manipulant avec ironie, il se donne la liberté de créer des formes et des imaginaires propres à une culture émergée d'un long étouffement lié à la colonisation. Cette émergence, réalisée sur des décennies, doit beaucoup à la création d’infrastructures africaines, festivals et fondations, qui peu à peu ont imposé au monde une esthétique nouvelle aujourd’hui largement appréciée par les amateurs et les collectionneurs.
S’éloigner des idées reçues. Le parcours de l’exposition, les thèmes choisis, permettent aussi de s’éloigner des idées reçues pour appréhender des réalités que les artistes revendiquent. Ainsi à l’idée de prédominance de la tradition orale africaine, Frédéric Bruly Bouabré, Esther Mahlangu, Emo de Medeiros et Kwesi Owusu-Ankomah répondent en travaillant avec le graphisme de signes écrits et de symboles très anciens ou inventé au XXe siècle pour communiquer sans être compris de l’oppresseur. Il en résulte des compositions géométriques de toute beauté.
La photographie fut très tôt présente en Afrique où des studios se sont créés dès le début du XXe siècle. Les portraits des Maliens Seydou Keïta et Malik Sidibé, qui ont fait le tour du monde des musées et galeries, en témoignent. Ils captent, sur fond de tissus traditionnels à l'éclatante modernité, l’intime de la personne photographiée. La jeune génération, également présentée au MOCO, prolonge le parti pris du portrait de photographe dans une abstraction poétique et symbolique. Ainsi Pauline Guerrier et ses savantes sculptures de cheveux inspirées de la complexité des coiffures africaines. Ce travail lui a été inspiré par les clichés noir et blanc du photographe nigérian J.D.'Okhai Ojeikekere qui a capté et sublimé les coiffures de ses contemporaines afin de conserver la mémoire de leur art. Ces œuvres s’émancipent des très nombreux portraits qui stigmatisent aujourd’hui encore la « beauté » de la femme africaine, à l'aune de standards occidentaux. L'artiste photographe béninois Ishola Akpo a choisi de travailler sur le thème des reines africaines, qui ont régné mais qui ont pour la plupart été oubliées volontairement dans l’Histoire de plusieurs pays. Il remplace les rois africains mettant en scène leur puissance dans des gravures d’archive par des portraits de femmes d'aujourd'hui qu'il cout de fil rouge. L’histoire officielle se féminise, et l’oubli s'affiche dans son autre série de portraits de femmes prenant une pose de reine. En contre point, Joël Andrianomearisoa présente une installation de poteries fabriquées par des femmes accompagnées des voix de Jeanne Moreau et de Maria Bethania. Le propos est toujours militant, il a simplement changé de prisme. La femme y est dévoilée par la beauté de ses réalisations les plus quotidiennes, les plus intimes.
La distance critique d’une société défaillante prend souvent le tournant de l’humour, de la dérision, de l’ironie. En témoignent Maké et ses naïves chroniques de la vie quotidienne, Kifouli Dossou dont les petits personnages sculptés dans le bois concentrent les réalités de la vie quotidienne pleine de défis. Omar Victor Diop et son Studio des vanités, les rois de la «Sape» de Pierre Bodo moquent les archétypes fondés par l’imitation des standards de la mode américaine, Samuel Fosso dénonce avec sa série d’autoportraits l’appropriation de fonctions-types du monde occidental.
La mythologie occupe un grand espace de l’exposition. La série de Romuald Hazumé exhume sur toile des divinités, d’autres des personnages mythiques ou légendaires.
La côte méditerranéenne est également présente. En parsemant de trous un tapis traditionnel, Sadek Rahim exprime le vide laissé par les migrants algériens. La jeune Tunisienne Aïcha Sanoussi a glissé dans des centaines de bouteilles remplies de liquide une des feuilles de ses carnets où elle a dessiné un Anticodex. Les bouteilles empilées sur un socle blanc qu’elle a gravé de signes de son lexique inventé, offrent au regard un cône imposant destiné à évoquer la perte. Celle des migrants en Méditerranée ? Celle de la norme de l’identité sexuelle ? Au visiteur de ressentir le lien avec l’œuvre.
Ce voyage dans l’art contemporain collecté par la famille Zinsou conduit l’imaginaire vers de lointaines contrées, rendant compte d’une méconnaissance profonde et autorisant à ce que des liens se créent. L’immédiateté de l’imaginaire et sa puissance dans la conscience de celui qui prend le temps de regarder font le reste.
Programmée par Nicolas Bourriaud, concepteur du MOCO, récemment remercié par la municipalité, cette exposition marque l'intelligence d'un hôtel des collections qui n'existe nulle part ailleurs.
Cosmogonies. Zinsou, une collection africaine. Exposition du 3 juillet au 10 octobre 2021 au MOCO Hôtel des collections, Montpellier.