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Les puritains à l’offensive ?

par Lucie Goar
L'Odalisque d'Ingres à la National Gallery. DR
L'Odalisque d'Ingres à la National Gallery. DR
Hors-Champs Société Publié le 10/01/2018
Après le métro de Londres censurant un nu d'Egon Schiele, c'est un professeur qui est licencié aux Etats-Unis pour avoir montré des toiles classiques. Le puritanisme est-il de retour ? Le débat fait également rage après la publication d'une tribune de cent femmes contre le puritanisme, suite à l'affaire Weinstein.

« Sorry, 100 years old but still too daring today » (Désolé, cent ans mais encore trop osé aujourd’hui) pouvait-on lire au mois de novembre dans le métro de Londres. De quoi s’agissait-il ? De la réaction humoristique du musée Leopold de Vienne à la censure que l’underground londonien a imposé aux affiches de nues annonçant une exposition d’Egon Schiele. Ces mêmes affiches étaient également interdites dans l’aéroport allemand de Hambourg. La vague puritaniste qui, au XIXe siècle, vit couvrir d’un voile les statues nues de la Grèce antique serait-elle de retour ? Aux Etats-Unis, au mois de décembre, un professeur d’école primaire a été licencié pour avoir montré à ses élèves des reproductions de tableaux dans lesquelles se trouvaient des nues signées Boucher, Ingres et Modigliani. Le professeur a beau s’être excusé, des parents d’élèves ont réussi à le faire exclure de l'établissement scolaire. De fait, le puritanisme n’a jamais baissé les armes. Ses contemptrices non plus, qui s’alarment de la récupération, déjà à l’œuvre selon elles, de la lutte des femmes contre le harcèlement sexuel après l’affaire Weinstein.

Querelle sur le « puritanisme ». Définir le puritanisme n'est pourtant pas aussi simple que dans le cas des censures anglo-saxonnes. Preuve en est donné par le débat qui agite la France. Dans son édition datée du 10 janvier, le journal Le Monde publiait un appel de cent femmes, dont Catherine Millet, Catherine Deneuve et Ingrid Caven, s’inquiétant de la récupération par les puritains de la lutte des femmes contre le harcèlement sexuel. « La drague insistante n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste » dit cet appel qui fustige : « c’est là le propre du puritanisme que d’emprunter, au nom d’un prétendu bien général, les arguments de la protection des femmes et de leur émancipation pour mieux les enchaîner à un statut d’éternelles victimes, de pauvres petites choses sous l’emprise de phallocrates démons ».

Dans cette même édition du Monde, l’essayiste Belinda Cannone affirmait : « le jour où les femmes se sentiront parfaitement autorisées à exprimer leur désir, où l’entreprise de la séduction sera réellement partagée, elles ne seront plus des proies et ne se percevront plus comme telles ». Et de conclure : « Tout le monde gagnerait à une réelle égalité dans l’érotisme, égalité qui passe par la prise d’initiative et de risque, et non par d’improbables « contrats », très éloignés de ce qui se joue dans le désir ». L’écrivaine faisait référence à un projet de loi récemment déposée au parlement suédois qui demande une approbation explicite du consentement sexuel avant tout acte. Ses promoteurs argumentent cependant que la loi, difficile à mettre en œuvre même par le biais d’une application sur smartphone, a surtout pour objectif la sensibilisation et la prise de conscience.

 

Violence du débat. Comme le montre les réactions  assez violentes suscitées en France et dans le monde par cette tribune, le débat reste complexe. On lui reproche tour à tour son « manque de solidarité » avec les femmes harcelées, son « antiféminisme ».  A l'étranger, la BBC résume le « conflit générationnel » entre des féministes plus âgées inquiète que l'on remette en cause la libération sexuelle des années 70 et de plus jeunes pour qui « la lutte contre le harcèlement sexuel constitue la dernière étape dans le combat des droits des femmes ».  Un autre polémiste s'inquiète de cette tendance à une fois de plus chercher qui est le bon, qui est le méchant, en accusant l'autre d'être passé à l'adversaire, alors que ce qui importe, c'est d'inventer dès aujourd'hui les formes de l'après domination masculine pour mieux construire l'égalité. Est ainsi débattue une idée des signatures selon laquelle, la sexualité est un acte libre et aventureux, semblable à l’acte de création artistique. Dans leur textes, elles font ainsi référence au philosophe Ruwen Ogien pour qui la « liberté d’offenser » est « indispensable à la création artistique ». Dans le journal belge De Morgen, l'actrice Hilde Van Mieghem partisane du #ME TOO, auquel les signataires entendent mettre des limites, note « il faut effectivement faire attention à ce que le débat ne dérape pas (…) Aux USA, la réaction a été très prude. Séduire y est devenu inadmissible». Un débat bien éloigné des censures picturales.

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