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Dialectique grecque autour de Jan Fabre

par Jacques Moulins
Le théâtre d'Epidaure. Où tout commence. Où tout finit ? DR
Le théâtre d'Epidaure. Où tout commence. Où tout finit ? DR
Arts vivants Publié le 12/04/2016
Nommé en février à la direction artistique du festival d’Athènes et d’Epidaure, Jan Fabre vient de démissionner sous la pression des artistes grecs. Retour sur un épisode peu glorieux où s’affrontent création internationale et situation économique des artistes.

Le festival d’Athènes et d’Epidaure porte le label « international », mais n’a pas vraiment l’audience qui y correspond. Créé en 1956, il subit dix ans après la dictature des colonels. Le retour de la démocratie sera un renouveau pour ce festival qui s’étend de juin à octobre. Mais l’aura internationale lui manque toujours et les 240 000 spectateurs sont essentiellement locaux. C’est pour la lui conférer que le nouveau ministre de la culture, Aristides Baltas, après avoir obtenu la démission de l’ancien directeur accusé d’afficher des pertes de 2,7 millions d’euros pour un budget de 5 millions, a proposé à l’artiste flamand Jan Fabre de devenir « curateur » (directeur artistique) du festival.

Son acceptation était un véritable défi puisqu’il ne disposait que de deux mois pour construire une programmation répondant à l’exigence de créativité et d’universalité. L’annonce de celle-ci a été une douche froide pour le milieu artistique grec. Jan Fabre a en effet tenté d’imposer son esthétique en ne programmant que des artistes belges pour sa première édition, en conservant une majorité de cette vague esthétique, dont ses propres pièces, pour les années à venir. Et en annonçant la création d’une académie pour les jeunes grecs et leur possibilité de participer à des workshops conduits par les créateurs belges. Cela a été ressenti comme une humiliation par les artistes locaux dont certains sont allés jusqu’à parler de « relents colonialistes nauséabonds ».

 

« Totalitarisme artistique ». La colère se concrétise le 1er avril à Athènes par une assemblée générale des artistes grecs au théâtre Sfendoni. Celle-ci accuse le Flamand de «véritable totalitarisme artistique » et juge « à une écrasante majorité qu’il s’agit de décisions inacceptables (…) qui vont à l’encontre de la création contemporaine grecque ». En conséquence, elle demande la démission de Jan Fabre et du ministre de la culture. L’artiste flamand, plus intéressé par son art que par les jeux politiques, s’exécute immédiatement, le ministre nomme en catastrophe le metteur en scène Vangelis Theodoropoulos.

Jan Fabre n’a pourtant pas dit son dernier mot. Dans une lettre ouverte aux Grecs, il écrit le 8 avril : « Si vous invitez un artiste multidisciplinaire à devenir le curateur d’une festival, ne vous attendez-vous pas à ce qu’il présente son univers ? » et justifie son choix dans l’urgence pour la première année en raison de ce qu’il nomme sa « méconnaissance » des productions des scènes locales. Une « méconnaissance »  partagée par tous les Européens et qui risque de ne pas s’améliorer.

 

« Les artistes grecs au chômage ». D’évidence, Jan Fabre n’a pas mesuré l’état catastrophique de l’économie grecque et ses répercussions sur « les artistes grecs au chômage depuis longtemps mis à rude épreuve » comme le lui reproche dans une lettre ouverte un milieu artistique local qui compte beaucoup sur le festival pour tout simplement vivre, grâce à une programmation qui, jusqu’à présent, affichait 90% de productions nationales. Pour les années à venir, Jan Fabre n’en proposait que 30%, voulant résolument un festival international. Le ministre a lui aussi réagi en défendant « un programme structuré sur quatre ans, qui visait non seulement à étendre le caractère international du festival mais encore à rendre internationales les créations grecques ».

Cet épisode semble bien symptomatique des enjeux qui traversent l’Europe et la mondialisation. D’un côté, des déclarations d’intention sur l’humanisme et l’universalisme, de l’autre la dure réalité quotidienne et les exigences des corporations. Le cas du festival d’Epidaure est extrême, mais dans de nombreux festivals, des artistes locaux ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas invités. Le grand perdant est malheureusement toujours le même : le public. Lui attend et prétend souvent au meilleur de la création, à cette « culture pour tous » que tous les acteurs de la scène culturelle ont constamment à la bouche. Mais c’est sur son dos, là comme dans d’autres secteurs de l’activité sociale, que se font les compromis.

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