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Mot de passe oublié ?Votre dernier livre La Capitana est paru en 2012 en France aux éditions Métailié. Vingt ans de recherches pour cerner la vie d’une femme, l’Argentine Mika Etchébéhère ?
Cela m’a en effet pris de longues années pour trouver tous les témoignages possibles sur cette femme qui a vécu toutes les aventures du XXe siècle. Elle était assez secrète. Née en Argentine, elle a vécu avec son compagnon en Patagonie, en France à plusieurs reprises, en Espagne au moment de la République espagnole, en Allemagne quand le nazisme a surgi. C’est à son retour en Espagne que Mika est devenue capitaine de l’armée républicaine espagnole qui avait intégré sa milice du POUM. Une chose extraordinaire pour une femme, en 1936, de commander des hommes. Et ce sont ses miliciens qui l’ont choisie. Elle a vécu de multiples aventures. Si je les avais inventées, ce serait invraisemblable.
Une vie impossible à inventer. Vous avez pourtant choisi la fiction ?
Je préfère la fiction pour rendre compte de l’histoire. C’est un choix. Bien que j’aie récolté beaucoup de renseignements sur Mika, je n’ai pas écrit une biographie. D’une part je ne raconte pas toute sa vie, d’autre part je peux la sentir en tant que personnage. Sinon ce serait une liste de faits extraordinaires. Quand je me mets en elle comme personnage par cette magie que produit la littérature, je peux sentir des choses, qu’elle a peur, qu’elle veut être aimée par ses miliciens. Je peux la rendre humaine.
La période de la dictature argentine suscite en vous une forte envie d’écrire, de faire sortir de l’oubli des figures combattantes ?
La littérature argentine est passée par une longue période où on parlait de l’histoire des héros de la patrie, de leurs aventures amoureuses. De l’histoire passée, jamais contemporaine. Le roman que j’ai écrit sur le vol d’enfants, Luz, était le premier qui traitait du sujet et je ne trouvais pas de maison d’édition en Argentine. Maintenant, les choses ont changé, dans la littérature et dans la vie sociale de notre pays, même si cela continue à poser un problème. Il y a deux sortes d’écrivains : ceux qui s’occupent de l’histoire, ceux qui pensent qu’il ne faut pas se mêler de ces choses-là, que la réalité n’est pas un sujet littéraire.
Vos sujets d’écriture et vos scénarios ne sont pas toujours liés à la dictature argentine mais elle suscite en vous une forte envie d’écrire.
Oui. Cela m’a pris du temps de pouvoir écrire sur ce sujet. J’ai écrit, puis publié mon roman vingt ans après le coup militaire. J’ai voulu raconter l’histoire d’une fille qui recherchait elle-même ses origines, je ne savais pas à quel point cela me bouleverserait. A l’époque, les grands-mères de la Place de mai étaient à la recherche de leurs petits-enfants, mais pas une jeune fille ou un garçon. La peur que j’avais ressentie en 1976 m’est revenue et m’a poussé à écrire. C’était clair en moi, je voulais qu’on sache que pendant la dictature on a volé des enfants. Pas adoptés : les mères furent assassinées. J’ai construit mon récit comme un thriller. C’est à partir de ce moment que j’ai pu parler.
Vous avez été la première à en parler ?
Il y a eu auparavant un seul roman de témoignage-fiction, Recuerdo de la muerte, et certains témoignages. Des nouvelles de Luis Avancela touchaient aussi ce sujet et une nouvelle géniale de Cortazar, intitulée Cauchemar, qui parlait de l’horreur l’ambiance de la dictature. Il y avait donc très peu d’écrits. Quand j’ai publié ce livre, s’est posée la question de savoir si on devait écrire sur cela. En Argentine, tout le monde me demandait : pourquoi as-tu écrit sur cela ? Seul un éditeur mexicain a accepté de publier mon roman et il n’est resté en librairie que deux mois, ensuite il a été retiré. Il est ressorti huit ou neuf ans plus tard.
La jeunesse argentine s’intéresse-t-elle à ces personnages ?
Des jeunes qui ont lu mon roman sur les enfants disparus ont écrit une lettre très émouvante au personnage du livre. Je sens que j’ai toujours cette proximité avec les adolescents. L’an dernier, j'étais en résidence en France et j'ai eu l'occasion d'aller dans les collèges. Nous avons eu une communication très proche, l’identité est un sujet qui atteint directement les adolescents. En Argentine, cette histoire de l’identité a été très dure. Il est plus facile de parler avec les jeunes, eux n’ont pas vécu cette histoire. A l’époque, beaucoup de gens ne voulaient pas en parler, qu’on le sache. Aujourd’hui, beaucoup de ces enfants, devenus des hommes et des femmes, n’ont pas encore trouvé d’identité.
Biographie:
Née à Buenos Aires en 1952, Elsa Osorio est romancière et scénariste pour le cinéma et la télévision. Elle a vécu à Paris et à Madrid, et réside actuellement à Buenos Aires. Elle a publié de nombreuses œuvres en Argentine (Ritos privados, Reina Mugre, Beatriz Guido, Como tenerlo todo, Las malas lenguas). Lauréate de plusieurs prix dans son pays natal, dont le Prix National de Littérature pour son roman sur la dictature argentine Luz ou le temps sauvage, Prix Amnesty International.
Son œuvre est disponible en Français chez Métailié, dont Luz ou le temps sauvage, Tango (2007), Sept nuits d’insomnie (2008), La Capitana (2012).