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Explosions théâtrales à « La Maison de thé »

par Jacques Moulins
"La Maison de Thé" de Lao She actualisée par Meng Jinghui au festival d'Avignon. © Raynaud De Lage.
"La Maison de Thé" adaptée par Meng Jinghui de Lao She, folie d'Avignon 2019. © Raynaud De Lage.
Arts vivants Théâtre Publié le 16/07/2019
Le festival d'Avignon a offert la grande salle de l'opéra Confluences au metteur en scène chinois Meng Jinghui pour son adaptation de la pièce de Lao She "La Maison de thé". Il n'en fallait pas moins pour un théâtre de la démesure de notre monde global. Une explosion qui a dérouté nombre de spectateurs.

C’est une explosion. De la scène, des codes théâtraux et des lectures européennes. Et tant qu’on y est, des meubles du décor qui vont s’écraser à la fin du spectacle dans la roue de l’histoire. Avec une vingtaine d’acteurs et de musiciens et un décor grandiose, Meng Jinghui n’est pas là pour séduire. Nombre de spectateurs de la grande salle de l’opéra Confluences ne l’ont pas accepté. Dans une folie déclamatoire et destructrice, son adaptation de La Maison de thé de l’écrivain Lao She expérimente, interroge, mais aussi bouscule et casse. Il ne fait pas dans la dentelle, déverse des litres d’hémoglobine, y va à la tronçonneuse, détruit le mobilier. Aux deux tiers du spectacle, le public interdit se demande si la représentation est terminée et voilà qu’un acteur apparaît devant le rideau fermé. Il prévient au téléphone son interlocuteur que les spectateurs restent assis, ne s’en vont pas. « Je ne sais pas ce qu’ils attendent » dit-il avant de répondre « mais non, ils ne sont pas cons ». Le tout sur fond quasi continu de musique et de chansons rock, alors que les acteurs se baladent d’un étage à l’autre, empruntant parfois l’immense roue de métal qui finira par tourner réellement et par déchiqueter ce monde passé, ce monde présent, fou d’immobilité et de besoins d’ordre.

 

Avant-garde en grandes dimensions. L’expérimentation, l’avant-garde, Meng Jinghui la revendique. Mais pas dans d’obscures salles de quartier. Lui n’entend pas faire évoluer le théâtre. Il entend changer d’ère et le faire en grande dimension. Directeur du Théâtre du Nid d’abeille à Pékin, il dirige également plusieurs festivals en Chine, le Wuzhen Festival, le Beijing Fringe Festival, ou la Biennale du théâtre contemporain. Quand il se lance dans le texte de Lao She, c’est en sachant qu’il n’est plus à la même époque et qu’il va devoir assoir son adaptation, avec pour compagne l’histoire du théâtre. L’intervention du dramaturge Sebastian Kaiser lui sera précieuse, l’aidant à enrichir le texte de Lao She d’apports européens comme Brecht. La scène d‘ouverture tient d’ailleurs de la mise en scène de l’auteur allemand. C’est donc riche d’un background puissant qu’il s’attaque au théâtre. Non sans succès d’ailleurs, son spectacle Rhinocéros amoureux ayant été joué plus de 2 500 fois à travers le monde.

N’attendez pas que Meng Jinghui hésite face à la réception de son travail. Il connaît son exigence, son désir de grands horizons, son envie dans notre époque mondiale d’englober tout le théâtre et de le manger comme un ogre, quitte à vomir son indigestion. Sans humilité, il se comporte en monstre sacré, interpellant sa mise en scène jusque sur la scène au point de donner l’impression qu’on ne verra jamais deux fois le même spectacle. Il y a en lui du Fassbinder, jamais satisfait, jamais limité. Même s’il sent que sa liberté dérape, il la laisse filer pour offrir au spectateur ce délire puissant.

 

Un ogre de théâtre. Dans l’œuvre de Lao She (1899-1966), La Maison de thé tient une place à part. Écrivain loué et reconnu en Chine dès les années 30, Lao She met sa plume au service du nouveau régime de Mao Zedong avec des œuvres dans le goût du régime. Ce qui n’est pas le cas de sa pièce de théâtre La Maison de thé, écrite pendant cette période, en 1956. Il sera ensuite une des premières victimes de la révolution culturelle, arrêté, rasé, battu, humilié et peut-être noyé. Très attaché aux gens de Pékin et à leur parlé, Lao She décrit les soubresauts de l’histoire chinoise en trois moments forts, la révolte des Boxers contre les Européens où son père, garde du palais trouvera la mort, la période des Seigneurs de guerre en 1920 puis la guerre civile à la fin des années 40. Pas moins de soixante personnages vont passer dans cette maison, dont certains traversent l’histoire, le propriétaire, la jeune Chinoise vendue une misère par son père à un entremetteur, l’industriel… Ceux qui émettent des propos contre le système sont vite arrêtés dans une pièce où la maxime hélas toujours contemporaine est : « Gardez-vous de parler des affaires de l’État ».

De fait, Meng Jinghui n’en parle pas. Il va plus loin, élevant ses personnages de l’histoire pékinoise au grade d’éternel humain, asseyant sur le répertoire ses besoins d’orgie comme un Castorf déchaîné et, comme le grand metteur en scène allemand, soumettant à rude épreuve le spectacle lui-même. On trouvera des longueurs, des redites, trop d’exagérations, mais on ne pourra pas enlever à Meng Jinghui sa truculence, sa démesure, son inventivité et son humanisme. En répondant à l’invitation d’Avignon, il entre à coup sûr dans cette nouvelle ère où les cultures se parlent, se courtisent, s’aiment. Rien que cela, c’est déjà trop pour le manquer.

 

La Maison de thé, mise en scène de Meng Jinghui d'après Lao She. Première en France au festival d’Avignon, du 9 au 20 juillet. Dramaturgie Sebastian Kaiser. Avec Chen Lin, Chen Minghao, Ding Yiteng, Han Jing, Han Shuo, Li Jianpeng, Li Jingwen, Liu Chang, Liu Hongfei, Qi Xi, Sun Yucheng, Sun Zhaokun, Tian Yu, Wang Xinyu, Wei Xi, Zhao Hongwei, Zhang Hongyu, Zhang Juncheng, Zhang Zhiming. Et Li Xiaojun (chant), Li Yibo (batterie), Wang Chuang (guitare et basse).

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LA MAISON DE THE
Text Lao SHE direction, adaptation Meng JINGHUI dramaturgy Sebastian KAISER music Hua SHAN, Shao YANPENG, Nova HEART scenography Zhang WU light Wang QI video Wang ZHIGANG sound Hua SHAN costumes Yu LEI direction assistant Li HUAYI with Chen LIN Chen MINGHAO Ding YITENG Han JING Han SHUO Li JIANPENG Li JINGWEN Liu CHANG Liu HONGFEI Qi XI Sun YUCHENG Sun ZHAOKUN Tian YU Wang XINYU Wei XI Zhao HONGWEI Zhang HONGYU Zhang JUNCHENG Zhang ZHIMING and Li XIAOJUN (sing) Li YIBO (drum) Wang CHUANG (guitare and basse).
LA MAISON DE THE
Texte Lao SHE mise en scene, adaptation Meng JINGHUI dramaturgie Sebastian KAISER musique Hua SHAN, Shao YANPENG, Nova HEART scenographie Zhang WU lumiere Wang QI video Wang ZHIGANG son Hua SHAN costumes Yu LEI assistanat mise en scene Li HUAYI avec Chen LIN Chen MINGHAO Ding YITENG Han JING Han SHUO Li JIANPENG Li JINGWEN Liu CHANG Liu HONGFEI Qi XI Sun YUCHENG Sun ZHAOKUN Tian YU Wang XINYU Wei XI Zhao HONGWEI Zhang HONGYU Zhang JUNCHENG Zhang ZHIMING and Li XIAOJUN (chant) Li YIBO (batterie) Wang CHUANG (guitare et basse).

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