Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Du studio photo à l’approche documentaire, du noir et blanc aux couleurs presque saturées, la forme est « instable » selon les mots du photographe. Car ce qui importe à Grégoire Korganow, c’est le fond : « être là où, a priori, la question du regard se pose ». Peut-il poser son objectif sur les victimes des attentats en Irak, ceux qu’il a nommés les Gueules cassées, sur les Sorties de scène des danseurs épuisés et marqués par l’effort d'une performance au Festival Montpellier Danse, sur l’Alcool ou plutôt ceux qui en ont la maladie ? Et surtout, comment les donner à voir ? Ces questions résonnent comme un leitmotiv chaque fois qu’il débute un nouveau projet. Sur l’Irak, notamment, l’enjeu était d’intégrer le regard que les autres allaient porter sur cette série. Car Grégoire Korganow aime à se le rappeler, pour prendre du recul : « le photographe n’est pas surpuissant, la photographie n’est pas obligée d’être reçue. »
Lui se définit comme un photographe de l’ombre, cette zone dans laquelle l’œil doit s’habituer au manque de lumière. Il se consacre à photographier l’humain dans des situations où peu de personnes n’osent faire du beau et encore moins s’exposer. Il a d’ailleurs développé une sainte horreur de la photogénie, de l’image bien faite ou de la « gueule de l’emploi », qu’il considère comme des pièges à interprétation.
Le corps comme entrée
Face à la facilité de l’émotion des visages, des yeux, du sourire, Grégoire Korganow préfère se méfier de « l’émotion photographique ». Lui choisit de travailler sur les corps, sur la manière dont le corps est impacté par l’histoire qu’il est en train de vivre. C’est le cas dans sa série Sorties de scène. Les photographies ont été déclenchées à contre-pied, après les spectacles du Festival Montpellier Danse 2014, sans filtre et sans fioritures, comme à son habitude. L’intérêt pour lui étant de voir « les traces sur l’interprète de l’exécution de cette danse ».
Ce parti-pris traverse tous ses travaux, notamment sa dernière série Prisons, où il s’est attaché à montrer l’exercice du pouvoir dans les lieux de coercition et à mettre en images la privation de liberté, le silence, la réflexion puis l’attente des prisonniers. Des personnes face à leur fenêtre, face aux barreaux de leur cellule, des hommes et des femmes enfermés même à l’extérieur, dans les cours. Voilà ce que Grégoire Korganow a voulu transposer sur son papier photo.
L’esthétisation de leur visage et les sentiments qui en ressortent l’intéressent peu. Tout comme dans Père et fils, où les regards remplis d’amour importent moins que les corps, les attitudes et les gestes qui sont mis à nu sur fond noir. Depuis toujours, il s’évertue à dégager une émotion plus sous-jacente, plus pudique. De la « photographie sensorielle » comme il la définit, grâce à laquelle l’émotion ne vient que dans un second temps. Seule entaille à ce principe, sa série Alcool. Pour les personnages du documentaire de Christophe Otzenberger, Voyage au cœur de l’alcool(isme), le but était de faire face à l’objectif en réalisant des gros plans en noir et blanc de ces personnes qui tentent d’en finir avec l’alcool.
Le temps avant la pose
Et pour déceler cette émotion sous-jacente, il faut de la confiance et du naturel que l’on obtient que dans la durée. « Le temps, c’est une manière de s’éprouver soi-même » face au sujet et de l’explorer. Grégoire Korganow considère celui-ci comme une étape primordiale et s’accorde le luxe d’observer avant de déclencher, d’aller sur le terrain sans son appareil photo, d’apprendre à connaître le milieu sur lequel il va souvent plancher pendant plusieurs années.
Pour son travail sur les Prisons comme pour tous les autres, il a tenu à ne pas avoir de certitudes. Trois ans passées dans les prisons, trois ans auparavant à travailler sur la question mais surtout trois ans à « ne pas photographier, se désespérer et puis reprendre espoir. » C’est souvent ainsi que lui vient la forme. Les sujets sur lesquels il travaille ont tous un point commun : le questionnement intérieur, la volonté de découvrir un milieu et surtout de rencontrer des personnes. « Si je commence un sujet et que j’ai les certitudes de ce que je vais faire, ça ne m’intéresse pas », explique-t-il.
Aujourd’hui, il se lance dans un nouveau projet. Celui de suivre des adolescents de la 6ème à la 3ème dans les quartiers classés en réseaux d’éducation prioritaire. En résonance avec son travail sur les prisons dans lesquelles il s’est aperçu que les histoires des prisonniers trouvaient souvent leurs origines dans le décrochage scolaire au collège.
Bio :
Au fil des années, Grégoire Korganow a fait de l’invisible, des opprimés et du hors champ, son credo. C’est à 23 ans qu’il a réalisé ses premières photographies en partant suivre les mutations du bloc soviétique, il a ensuite été photoreporter pour de nombreux titres de presse français et étrangers. Les mal-logés et les sans-papiers en France dans le milieu des années 1990, les révoltes des indiens Mapuche du Chili en 2003, il tente de comprendre et faire comprendre leur situation. Comme une invitation à regarder les failles de ce monde. Ses photographies de la prison des Baumettes à Marseille, délabrée, inondée, ont d’ailleurs fait l’objet d’un débat national sur l’état de délabrement des prisons en France. Passionné de cinéma, il crée parallèlement des séquences photographiques des documentaires de Stéphane Mercurio et Christophe Otzenberger.