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« Heureux comme Lazzaro » : Un conte politique sur l’Italie signé Rohrwacher

par Jacques Moulins
Adriano Tardiolo et Alba Rohrwacher dans
Adriano Tardiolo et Alba Rohrwacher dans "Heureux comme Lazzaro" d’Alice Rohrwacher. DR
"Heureux comme Lazzaro" le nouveau film d'Alice Rohrwacher. DR
Cinéma Film Publié le 07/11/2018
Et si la bonté était un acte politique ? C'est ce que nous demande un saint homme des temps modernes qui traverse l'Italie, d'une campagne esclavagiste à une ville déshumanisée, dans "Heureux comme Lazzaro", le troisième long métrage d'Alice Rohrwacher.

Son film précédent, Les Merveilles avait déjà emporté son public loin du cinéma qui occupe, avec récidive, nos écrans. Car Alice Rohrwacher semble pourvue d’une qualité rare, celle de transcender la réalité en créant une dramaturgie qui relève à la fois du néo-réalisme italien, de la politique et du conte. La réalisatrice compose des scénarios capables d’apporter, au bon moment, des touches de fantaisie ou d’irrationnel dans un univers crument réaliste aux marges de la société. Dans Les Merveilles, l’arrivée de Monica Bellucci en animatrice de jeux télé était vécue comme un acte magique par les enfants d’apiculteurs post-soixante-huitards et un brin rigides dans leurs convictions. Avec Heureux comme Lazzaro, la réalisatrice franchit un cap de plus en mettant en scène un saint homme. Mais ce saint homme, qui accomplit malgré lui la merveille de ne pas vieillir pendant quelques décennies, ne fera ni miracle, ni œuvre irréelle. Il est saint « simplement par le fait d’être au monde, en ayant foi envers les êtres humains et sans jamais penser à mal » explique la réalisatrice. Il ne sera de fait reconnu que par le spectateur et quelques-uns de ses proches qui n’attendent en retour rien de lui.

 

L’Italie, sujet de film. Comme le professe Alice Rohrwacher, Heureux comme Lazzaro est à la fois « un manifeste politique, un conte de fées, une chanson dans l’Italie des cinquante dernières années ». D'une manière toute différente, mais avec le même souci, le dernier film de Paolo Sorrentino, Silvio et les autres, fait aussi de l’Italie un sujet de film, soutenu par l’histoire cinématographique du pays. La réalisatrice a multiplié les lieux de tournage dans la péninsule, comme pour montrer que son pays, comme nombre de pays d’Europe, est désormais plus fracturé par l’opposition entre les populations de villes et celles de leur large périphérie que par la traditionnelle césure entre nord et sud. Elle rend également hommage au cinéma de ses aînés qui, de Riz amer de Giuseppe de Santis à L’arbre au sabot d’Ermano Olmi, plongeaient leur caméra dans les campagnes les plus profondes. Et ressuscite des personnages d’une pauvreté financière et culturelle au-delà de toute imagination. En même temps, avec une douceur inattendue, elle déplace sa caméra dans le temps, faisant passer une famille de l’esclavage rural à l’esclavage des villes, avec un coup de griffe en passant aux exploiteurs des migrants.

 

Un conte de fées. L’une des premières scènes nous met en présence de l’esclave des esclaves, « l’idiot du village » qui va se révéler être un saint homme par la seule force de sa bonté et de son empathie non calculée pour ses semblables. La puissance du conte est d’autant plus forte que le personnage de Lazzaro, bien servi par l’interprétation d’un jeune acteur, Adriano Tardiolo, donne du sens à ces vies qui n’en ont pas, ou sont supposées ne pas en avoir. Bien charpenté, dur au travail, mais doté d’un visage d’ange, Lazzaro ne se plaint jamais et rend vaine la plainte des autres, ne ment jamais et rend minable les mensonges des autres, ne hait jamais et gagne l’amour des autres. Un vrai saint donc. Qui ne fait pas de miracle, mais là encore rend miraculeuse la vie des autres en leur apportant une positivité donnant le sourire malgré les épreuves et le manque total d’espoir.

 

Un « manifeste politique ». Le film est résolument engagé. Pas en faveur d’une cause partisane ou d’une porte humaniste déjà enfoncée. Le film est engagé contre un monde qui vire au populisme, à l’exclusion, à la défense des nationaux, au consumérisme et à l'égoïsme exalté. Il met en scène une organisation esclavagiste au sens propre, « nous sommes des serfs, nous appartenons à Madame » dit l’une d’entre eux, mais une fois ces esclaves libérés, ils deviennent les nouveaux SDF de la grande ville, vivant de combines et de petits vols dans un décor hallucinant. Sur fond de cette histoire, se développe le destin hautement politique de Lazzaro, qui met son bonheur en avant, comme une arme de liberté et de solidarité. Une attitude qui force le respect de ses proches, même si le citoyen anonyme de la grande ville ne voudra pas le reconnaître.

Inspiré de l’histoire vraie d’une marquise d’Italie centrale qui cacha la fin de la métairie aux paysans vivant dans les parties les plus reculées de ses terres, le troisième long métrage d’Alice Rorhwacher, soutenue par sa sœur Alba qui interprète magnifiquement l’âge adulte d’une jeune paysanne, était sélection officielle au festival de Cannes qui eut été avisé de la primer, comme il l'avait fait avec Les Merveilles. Mais l’erreur est humaine, nous ferait comprendre Lazzaro de son regard empli de bonté.

 

Heureux comme Lazzaro, film italien d’Alice Rohrwacher. Sortie le 7 novembre 2018. Avec Adriano Tardiolo, Tommaso Ragno, Alba Rohrwacher, Agnese Graziani, Sergi Lopez.

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