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« Ici et maintenant », Galin Stoev au Théâtre National de Toulouse

par Véronique Giraud
L'une des entrées du Théâtre National de Toulouse. ©Giraud/NAJA
L'une des entrées du Théâtre National de Toulouse. ©Giraud/NAJA
Galin Stoev, nouveau directeur du Théâtre national de Toulouse © Tsvetelina Belutova
Galin Stoev, nouveau directeur du Théâtre national de Toulouse © Tsvetelina Belutova
Le café du Théâtre National de Toulouse ©Giraud/NAJA
Le café du Théâtre National de Toulouse ©Giraud/NAJA
Arts vivants Théâtre Publié le 21/02/2018
À travers le metteur en scène Galin Stoev, c'est le portrait d'une génération qui se dessine. Celle, quarantenaire, à qui on a confié tout récemment les clés des Centres Dramatiques Nationaux. Pour Galin Stoev, l'aventure est d'autant plus riche que, né en Bulgarie, il a traversé les théâtres d'Europe avant de maîtriser la subtilité de la langue française et de pénétrer dans la culture d'un pays très cloisonné. Une expérience qu'il compte bien mettre au profit du Théâtre National de Toulouse, dont il a la direction depuis janvier 2018.

Écouter Galin Stoev se raconter, c’est parcourir l’Europe : Varna, Sofia, Londres, Stuttgart, Bruxelles, Paris, Toulouse défilent à la fenêtre d’une vie dominée par le goût de la mise en scène. « Lorsque j’avais sept ans, on me considérait à l’école comme un enfant très distrait. J’étais plutôt créatif, un peu bordélique ». Sa mère l’inscrit dans une maison d’activités culturelles pour la jeunesse en lui disant : « ici tu peux faire ce que tu veux, mais à l’école essaie de suivre ». L’endroit proposait parmi d’autres activités un atelier théâtre. Les enfants jouaient devant les autres enfants, interprétant des adaptations de classiques. C’était l’époque du socialisme. « C’était très cadré par l’idéologie, en même temps il y avait un grand mélange social et ethnique », se souvient le metteur en scène. « C’était un monde beaucoup plus réel, palpable, et plus sérieux que tout le reste qu’on essayait de me vendre comme réalité. Je me suis senti beaucoup plus réel en faisant du théâtre qu’en essayant d’être un bon élève à l’école. J’ai eu de la chance. »

 

Les tulipes rouges. Galin Stoev a 15 ans quand il découvre la notion de mise en scène. Ce qui ressemble à une anecdote va éclairer le chemin même de son existence. Un jour, à l’atelier théâtre, l’adolescent eut l’idée de chiper le beau bouquet de tulipes rouges qu’un de ses camarades, peu apprécié du groupe, comptait offrir à leur professeur. Il le donne vite à un copain prêt à entrer en scène, en lui disant : tu te dis que tu cueilles des fleurs dans la forêt, tu les jettes, tu joues avec, avec l’idée de se moquer du camarade. L’ami obtempère. Devant le bouquet imprévu, la professeure interrompt la pièce et demande : « Qui a eu l’idée du bouquet ? ». Prêt à la réprimande, Galin l’entend expliquer que quand un personnage vient sur scène avec un objet, tel un bouquet, le spectateur commence alors à se raconter une histoire, un simple objet peut aider à s’imaginer quelque chose.

 

Le pouvoir de la mise en scène. Ces quelques mots, qu’aucun des enfants ne soupçonnait, ont déclenché dans l’esprit de Galin l’idée de « quelqu’un qui reste invisible mais qui fait des choix par rapport à la réalité, et qui tire les ficelles. Ça m’a beaucoup touché. Je découvrais le pouvoir invisible, celui aussi de créer une réalité que tu peux partager avec les autres ». Ce sentiment, Galin Stoev l'a gardé intact aujourd’hui encore, alors qu’il s’est vu confier la direction du Théâtre National de Toulouse. « Dans le théâtre, tu as le droit légalement de créer une autre réalité, et tu es soutenu pour cela. Avec un budget, un plateau, un décor, des comédiens, etc. Mais c’est aussi l’image de l’être humain capable de créer sa propre réalité » affirme Galin Stoev. La réalité certes, mais d’une illusion, et d’un moment. « Oui, mais ce qui est intéressant c’est qu’à travers l’illusion, à travers le faux-semblant, le jeu, le mensonge, on a accès à une vérité qui sinon resterait cachée. Le paradoxe de l’être humain, c’est que pour avoir accès à quelque chose d’essentiel et de vrai, il faut peut-être passer par une illusion, faire semblant ».

 

De Varna à Sofia. L’itinéraire de Galin Stoev est ponctué d’événements qui pourraient se raconter comme un conte pour enfants. Le conte de celui qui se trouve là au bon moment. Avoir vingt ans dans les années 1990 à Sofia a signifié pour une nouvelle génération formée au réal socialism que tout était possible. « Le mur de Berlin était tombé. Un monde était en train de s’écrouler, un autre était en train de s’installer, nous étions entre les deux. Le théâtre était dans la rue, devenue salle de spectacle ». Cette période aura duré très peu, mais pour Galin Stoev et sa génération elle a suffi pour être lancé prématurément sur le chemin du théâtre, recueillir le succès d’une capitale endormie par les œuvres ronflantes de trente années de communisme et de socialisme, et se voir ouvrir les portes des plus grands théâtres de la capitale. À 22 ans, il répond à l’invitation du directeur artistique d’un théâtre de Sliven, à quatre heures de Sofia, et y monte, sans connaître la pièce, L’illusion comique. « J’ai découpé dans le texte. Dans notre culture, un texte classique ne pèse pas trop, et nous n’avons pas l’alexandrin ». Il a commencé à observer les comédiens du théâtre, leurs déplacements, leurs gestes, et sur cette base a fait la distribution. « Je lisais à l’époque L’insoutenable légèreté de l’être et j’ai mis des extraits du livre dans le spectacle. C’était la première fois pour moi, les comédiens m’ont fait confiance". Ce curieux objet a été monté, puis joué deux fois au théâtre national de Sofia. Une première mise en scène avant même d’être diplômé. « Le spectacle a fait un tel buzz que le lendemain je pouvais travailler n’importe où. Auparavant, il fallait attendre quinze ou vingt ans pour y arriver. C’était très hiérarchisé ».

 

Un moment historique. "Plus tard, je me suis rendu compte que c’était un moment historique où la jeunesse avait sa place, avait le droit de s’exprimer". Le théâtre national de Sofia lui propose de travailler. Il choisit Mesure pour mesure de Shakespeare, et travaille avec les plus grands comédiens bulgares. " Je les ai mélangés avec de très jeunes comédiens qui sortaient de l’école et avec des femmes de ménage du théâtre. Cela m’a permis de mélanger des réalités qui sinon ne pouvaient pas exister dans un seul cadre. Il y avait une vraie émulation. On commençait à parler du théâtre d’une façon différente de ce qui était écrit jusqu’à présent, une nouvelle génération débarquait, faisant jouer les comédiens en paraboots. Les images qui sortaient nous étaient attribuées et très vite ma génération s’est retrouvée dans des institutions lourdes, reconnues. »

À ce moment, Galin Stoev se demande : veux-tu vraiment devenir le suivant grand metteur en scène bulgare ? « J’avais travaillé avec la plupart des théâtres de Sofia et je me suis dit il faut que je bouge pour voir comment ça se passe ailleurs. Surtout dans des endroits qui étaient, il y a peu encore, complètement inaccessibles, de l’autre côté du mur. Là où on pouvait encore projeter nos rêves, tout ce qu’il n’y avait pas chez nous. » Il commence donc à voyager, à voir d’autres manières de faire et de penser le théâtre. Et découvre que ce n’était pas aussi idéal qu’il l’avait pensé. « Au fur et à mesure, l’espace où on pouvait projeter nos rêves rétrécissait de plus en plus. Il a disparu finalement. Le monde est devenu trop petit. Aujourd’hui on a accès à tout, ce qui nous a enlevé justement cet espace de rêve qu’on pouvait projeter en dehors de nous. Cela nous oblige à trouver cet ailleurs ancré en nous-mêmes, d’aller en profondeur, de descendre chez nous et là chercher cet endroit qui sinon n’existe plus. »

 

Londres et Stuttgart. En Angleterre, avec une bourse du British Council, il vit à Londres, à Sheffield, à Leez. Londres fut un grand choc culturel, il apprend à se confronter à des contextes inconnus et très vite les pénétrer pour pouvoir comprendre. Invité en résidence internationale à l’Akademie Schloss Solitude de Stuttgart, il passa dix-huit mois dans un château. Là, rien n’est imposé à la trentaine d’artistes pas encore très reconnus, venus de tous les pays et œuvrant dans différentes disciplines. Leur seul point commun étant le désir d’exister à travers la création et de convaincre l’autre. Pas de hiérarchie, juste une immense différence entre l’artiste conceptuel et celui qui manie le réel, entre l’artiste visuel et l’architecte, entre le musicien et l’écrivain, entre les cultures. « J’y ai découvert une grande ouverture d’esprit parce que précisément j’étais confronté à des pratiques et des points de vue que je ne comprenais pas, moi qui venais d’une formation assez classique. Cela m’a permis de rentrer dans la tête de gens très différents de moi, et d’accéder à une vie culturelle internationale qui sinon n’aurait pas été envisageable."

 

Bruxelles. Alors que le pays invité du festival belge Europalia est la Bulgarie, Galin Stoev est convié à animer un stage. Après le stage, plusieurs comédiens francophones lui demandent à continuer à travailler ensemble. Pourquoi pas, mais où sans théâtre ? Le sous-sol du théâtre fut la solution. « J’ai trouvé ça très excitant, très différent du cadre très officiel du théâtre national de Sofia. C’était presque clandestin ». Galin Stoev propose aux jeunes comédiens de travailler sur un texte contemporain russe, Oxygène de Ivan Viripaev, écrit sous la forme d’un album musical, avec dix chansons parlées en guise de scènes, qui « évoquent le nouveau désordre mondial ». Le spectacle est créé à liège, où la troupe est invitée par un festival de compagnies émergentes. Le jury, composé de programmateurs importants, a décerné son Prix à Oxygène. Le spectacle est parti en tournée pendant cinq ans, à Moscou, au Canada, à Paris, où Ivan Viripaev était présenté pour la première fois en France. Alors que le théâtre de Liège a proposé de produire le prochain spectacle de la compagnie, Galin Stoev reçoit, pendant les répétitions, la proposition de présenter un spectacle à la Comédie Française, dont Murielle Maiette venait de prendre la direction. Encouragé par les comédiens de Liège, et alors qu’il ne parlait pas français à l’époque, il accepte. La pièce reçoit un beau succès et Galin Stoev est invité à monter une autre pièce Salle Richelieu.

 

Toulouse. Le bâtiment du Centre Dramatique National (CDN) de Toulouse existe depuis vingt ans. " Il y a vingt ans, on vivait quelque chose de très différent d’aujourd’hui, avec l’idée que la culture s’adresse à une population privilégiée. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. La réalité a changé, cela ne peut plus exister. On vit un bouleversement sur tous les plans. Il y a l’idée de partage de la culture, de s’adresser à toute la population ". Pour Galin Stoev, le foyer du CDN ressemble à un hall d’aéroport, très chic et très vide. Il a l'ambition, avec son équipe, de transformer l’espace pour en faire un tiers lieu, situé entre le travail et la maison. " Un lieu où tu viens trainer, boire un café, travailler sur l’ordi, voir des amis, faire un petit stage de couture, assister à une lecture, à une soirée Dj, jouer aux échecs."

Dans la petite ruelle qui jouxte le théâtre, Galin Stoev a remarqué que des jeunes viennent s’entrainer aux street danses en se regardant dans le reflet des vitrines. Le directeur du théâtre compte y installer des miroirs et éclairer différemment pour qu’ils se sentent vraiment accueillis dans la rue. " Un jour, ils entreront peut-être dans le café pour utiliser le wi-fi, et on les retrouvera peut-être un jour dans la salle. Nous comptons ouvrir ce lieu sept jours sur sept, pour que ça circule. Ce sera un signe fort pour le public qui pourra venir à n’importe quel moment, le contaminer."

Pour renforcer la présence des artistes dans le CDN, il a décidé de créer un "incubateur créatif", un lieu de résidence accueillant des artistes pendant quelques semaines. Ils pourront travailler sur l’écriture de leur projet, sur la technique, joueront en sortie de résidence, rencontreront ensuite le public et partageront leur expérience avec les spectateurs. La saison prochaine, seront invités Wajdi Mouawad, Cyril Teste, Christophe Honoré, Chloé Dabert, Marie Viennot, Maëlle Poésy… La Toulousaine Maguy Marin occupera toute une saison à travers le nouveau volet Portrait paysage qui, conçu avec d’autres partenaires dans la ville, offrira l’opportunité à un artiste de faire autre chose que sa pratique habituelle.

À Toulouse, Galin Stoev est en train de mettre en scène le CDN. Dans son esprit, le bâtiment n’est plus celui qu’il a été pendant vingt ans. Et plus que tout, pour lui le théâtre a une carte à jouer. Ici et maintenant. Le metteur en scène bulgare  a une solide expérience en la matière.  On ne peut l’accuser ni de frilosité ni de vouloir échapper à la prise de risque.

 

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