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Julien Gosselin : « Je veux donner au spectateur une forme d’expérience très intime »

par Véronique Giraud
Le comédien et metteur en scène Julien Gosselin, fondateur de la compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur © Simon Gosselin
Le comédien et metteur en scène Julien Gosselin, fondateur de la compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur © Simon Gosselin
Arts vivants Théâtre Publié le 28/11/2019
Révélé avec son adaptation du livre de Michel Houellebecq, "Les particules élémentaires", Julien Gosselin a connu un beau succès l’an dernier en adaptant trois romans de Don de Lillo. Sa dernière création, plus courte, "Le marteau et la faucille" est actuellement en tournée. L'occasion d'en savoir plus sur le théâtre du jeune metteur en scène.

Il semble que, depuis Le père jusqu’à Le Marteau et la faucille, vos adaptations forment une succession de voix intimes, étonnantes parce que peu représentées ou entendues. C’est ce choix qui guide votre inspiration ?

Je fais deux types de spectacles. Des gros spectacles qui font dix ou douze heures, avec de très grandes troupes et sur des romans entiers, et d’autres beaucoup plus courts. Cela me manquerait de ne pas faire de ces créations. Ce n’est pas une question de taille, mais de formulation de langage. Avec de très grandes troupes, généralement vous travaillez sur des fictions, sur des grandes histoires, des grandes thématiques, vous travaillez moins sur un rapport intime au langage. Le Père ou Le marteau et la faucille sont des travaux sur un rapport presque pur avec la littérature. Le travail avec l’acteur, même si celui-ci est très présent, devient presque en retrait par rapport à la langue. Le langage apparaît différemment, et l’image, le son, ce qu’on voit sur scène n’est plus le plus important, mais devient un support à ce qu’on entend. C’est vraiment important pour moi. Quand je travaille sur Le père ou quand je vois jouer Le marteau et la faucille, ce sont presque des choses qu’on pourrait enregistrer, juste écouter. Le rapport visuel est presque second.

 

Sur un plan formel, vous n’hésitez pas opter pour la position statique sur scène. Pourquoi ce choix ?

C’est un choix et un non choix à la fois. Plus le temps passe moins je suis capable d’être à l’aise avec le théâtre. Cela ne me gêne pas du tout en soi. Je le perçois plutôt comme une lutte, comme une sorte de forage à l’intérieur de l’art que j’essaye de faire, c’est-à-dire quelque chose de plus en plus dénué d’artifices qui m’encombrent. Le seul théâtre que je peux faire n’est pas nécessairement un théâtre qui va créer la vie dans les formes extérieures, dans le spectaculaire. Il va davantage créer la vie dans quelque chose qui se passe très individuellement, à l’intérieur de chaque spectateur. J’essaye de faire qu’à certains moments je puisse fermer les yeux et rentrer en moi par le son, par la musique, par la voix, ou par le dispositif lumière comme dans Le marteau et la faucille. Et que ce soit moins un rapport de passeur, moins quelque chose de visible qu’une forme d’expérience très intime, très personnelle, comme quand on lit un livre. C’est extraordinaire qu’on puisse voir tous ensemble des choses, mais je ne crois pas que le théâtre que je fais soit un théâtre collectif. C’est un théâtre qui isole les spectateurs dans une forme d’intimité, de rêverie. C’est ce que je recherche de plus en plus.

 

Le Marteau et la faucille poursuit une grande tournée, que ressentez-vous aujourd’hui de ce texte d’un trader ?

Les gens qui m’interrogent sur le spectacle ont souvent une approche plutôt thématique, sur la finance, les traders. Au fond, le texte parle très peu de ça. Ce que j’aime avec Don de Lillo, et spécialement avec ce texte, c’est que quand on ne connaît pas l’histoire on met beaucoup de temps à comprendre de quoi on parle. On sent qu’on est quelque part, au fond de la solitude d’un être qui va parler de sa vie quotidienne, on ressent l’air qui l’entoure, la lumière autour de lui mais pas nécessairement de quoi il parle. Il pourrait parler de bien d’autres choses. La chose intéressante par rapport à la finance, et je m’en rends compte au fil des représentations, c’est qu’au fond la vie d’où il vient, cette vie de trader, est extrêmement collective, violente. Elle est l’inverse de la vie d’isolement du prisonnier. Le financier, le trader, vit d’activités, il est tout le temps actif, n’a jamais un regard sur les choses. Et ce que ce personnage est en train de vivre, c’est une expérience totale du regard, de la passivité absolue. Il se souvient de ses amis, décrit ce qu’il voit de la prison. C’est ce qui m’intéresse le plus dans ce texte. Et c’est pour ça que j’adapte des romans. Parce que ce sont des endroits où la narration peut exercer une possibilité de passivité, ou d’observation. Or le théâtre lui-même est l’art de l’activité, les comédiens parlent et agissent. Avec ce texte, la personne qui est en face de nous ne va pas exercer par sa parole une forme d’activité mais va nous faire partager sa passivité. Je trouve ça très beau.

 

Vos petites formes permettent au public des salles de théâtre traditionnelles d’accéder à vos mises en scène. Cela vous touche ?

Oui, cela me touche. Je pourrais me contenter de faire des formes énormes, ou de faire très peu tourner ces formes plus légères, mais on fait quand même du théâtre public, c’est un geste très fort. On a la chance d’avoir un réseau gigantesque de salles et il faut que les gens puissent avoir accès à des pièces comme les miennes. C’est très important pour moi qu’elles puissent tourner partout. En réalité ce n’est pas partout. Ce sont quand même des spectacles extrêmement exigeants techniquement, on ne peut pas les jouer dans un gymnase. On peut tout montrer partout.

 

Avec votre compagnie, vous allez installer sur le port de Calais une fabrique de théâtre en 2022. Quel est ce projet ?

Je suis très attaché à travailler avec une troupe, avec une bande de techniciens. Je suis aussi très attaché à l’idée de l’indépendance. Mon désir n’était pas de devenir directeur d’un centre dramatique national mais plutôt de continuer à rester en compagnie. C’était vraiment important pour moi. Or quand vous êtes en compagnie c’est très difficile de pouvoir répéter, vous devez aller de théâtre en théâtre, les conditions sont complexes. Les gens qui travaillent avec moi ont un petit bureau à Paris mais moi étant à Calais c’est difficile de se voir, de faire des réunions. Donc l’idée c’est de faire un lieu où il y aura une très grande salle de répétition, où on pourra travailler de très grosses formes, de très grands spectacles de A à Z. Il y aura aussi un studio de son, un studio de musique, on pourra accueillir un auteur, il y aura des logements. C’est un lieu où on pourra inviter d’autres gens qui sont dans les mêmes conditions que nous et pourront travailler leur création de A à Z. Nous essayons de créer un nouveau modèle qui intéressera les compagnies de France et d’Europe, et de faire se croiser des grandes et des petites équipes, des gens connus internationalement et des plus locaux.

 

Et pourquoi le port de Calais ?

Nous ne nous installons pas sur un port pour rien. Je viens de là, de la mer. J’ai envie, pour moi et pour les gens qui vont venir travailler là, que ce rapport un peu brutal qu’on peut avoir à la Mer du Nord ou au port, chacun puisse le ressentir même en étant au travail. L’idée est d’arriver à être ouvert sur cet environnement.

 

 

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