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« Kinshasa, Chroniques », portrait de vies d’une capitale

par Véronique Giraud
Jean-Christophe
Jean-Christophe
Jean-Marie Mosenga Odia, dit Moke Fils, a installé un combi à l’entrée du MIAM sur lequel il a peint une scène habituelle évoquant les péripéties et les trafics du quotidien. ©Giraud/NAJA
Jean-Marie Mosenga Odia, dit Moke Fils, a installé un combi à l’entrée du MIAM sur lequel il a peint une scène habituelle évoquant les péripéties et les trafics du quotidien. ©Giraud/NAJA
"Ville performance", l'une des chroniques de l'exposition Kinshasa, introduite par une citatation de l'écrivain congolais Alain Mabanckou. ©Giraud/NAJA
L'artiste activiste Julie Djikey, qui s’est fait connaître du monde entier avec une photo de Pascal Maitre, fixant une de ses performances réalisée à Kinshasa en 2013. ©Giraud/NAJA
L'artiste activiste Julie Djikey, qui s’est fait connaître du monde entier avec une photo de Pascal Maitre, fixant une de ses performances réalisée à Kinshasa en 2013. ©Giraud/NAJA
Eddy Ekete,
Eddy Ekete, "Homme canette" (2012) performance inspirée du chaos de la société de consommation. ©Giraud/NAJA
Éric Androa Mindre Kolo, commissaire de l'exposition Kinshasa, Chroniques, présentée au MIAM de Sète, puis à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine en 2019. ©Giraud/NAJA
Éric Androa Mindre Kolo, commissaire de l'exposition Kinshasa, Chroniques, présentée au MIAM de Sète, puis à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine en 2019. ©Giraud/NAJA
Sur le Quai De Lattre de Tassigny à Sète, le MIAM s'est paré des couleurs de l'exposition
Sur le Quai De Lattre de Tassigny à Sète, le MIAM s'est paré des couleurs de l'exposition "Kinshasa, Chroniques". ©Giraud/NAJA
Arts visuels Arts plastiques Publié le 23/10/2018
À Kinshasa, personne n’attend personne. Surtout pas un artiste. Il faut chaque jour inventer pour vivre ou survivre dans la capitale du Congo, dont le moteur est la débrouille. Cette invention de tous les jours guide la superbe exposition "Kinshasa, Chroniques", au MIAM de Sète du 24 octobre au 10 mars 2019. Elle réunit 71 artistes africains.

L’exposition Kinshasa, Chroniques, c'est une première pour la France. Coproduite par le MIAM de Sète et la Cité de l’architecture et du patrimoine de Paris, elle invite à déambuler dans la métropole subsaharienne. Les soixante-et-onze artistes présentés ont été sélectionnés par l'un d'entre eux, Éric Androa Mindre Kolo, dont c’est le premier commissariat d’exposition. Loin d’être un panorama de l’art contemporain ou d’offrir une vision englobante de Kinshasa, l’exposition a été conçue du dedans. Par le travail singulier des artistes eux-mêmes dans la ville où ils vivent et travaillent, et qui abrite aujourd’hui quelque treize millions d’habitants. Elle révèle des pratiques inconnues ici, qui frappent par leur vitalité.

 

Au gré des rues. Dans les salles du MIAM, l'axe de l'exposition est la vie au jour le jour, dans un contexte où les droits de l'homme sont constamment violés, dans une capitale régie par l’article 15, un article imaginaire de la Constitution et propre au Congo-Kinshasa, qui valide le système D. Les photos de l’artiste Olikas captent la brillance des rues de la capitale les jours de pluie surabondante. Les reflets de l’eau double les lumières de la ville et la marche prudente des passants, ravive les couleurs. Elle aussi exprimée par la photographie, la "Ville Paraître" décline les portraits des fameux rois de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes), un mouvement vestimentaire né au Congo dans les années 60. Le Français Jean-Christophe Lanquetin a travaillé dix ans entre la France et le Congo, il a lui aussi été fasciné par ces sapeurs. Il ne les a pas photographié malgré eux : refusant de céder à l'exotisme de la démarche, il a choisi d'œuvrer avec eux et ses photos ont jusque-là été réservées aux bars de Kinshasa, et au public kinois. Reconnaissables avec leurs costumes colorés, leurs chaussures impeccablement cirées, leur démarche chaloupée, leurs accessoires, et leur assurance, les sapeurs se prêtent volontiers à l’objectif des photographes. Et aussi au pinceau du peintre Amani Bodo, représenté ici par la magnifique pose de son tableau Sapeur Kitendi.

Autre sujet de fascination, les wagons de train décrépits, vides de tout aménagement intérieur, fonctionnant presque miraculeusement, "qu’on peut attendre des heures, ou bien qui tombent en panne", comme l'explique le commissaire. Gosette Lubondo a choisi un wagon abandonné pour se photographier avec un retardateur, incarnant une voyageuse imaginaire, voire plusieurs voyageuses superposées. Ce sont ces mêmes wagons, mais cette fois qui roulent toujours sur les rails du chemin de fer, que l’objectif de Junior D Kanna a fixés. Ils regorgent de gens entassés, où l’on perçoit la vie, l’agitation, les bruits d’une foule qui, coûte que coûte, espère avancer.

 

Du taxi collectif aux maisons de riches. Se déplacer dans Kinshasa n’a rien de simple. Dans cette immense ville, les moyens de transport font défaut. Alors quand l’un parvient à s’acheter un combi, il devient un taxi collectif. Jean-Marie Mosenga Odia, dit Moke Fils, en a installé un à l’entrée du MIAM. Il a recouvert toute la carrosserie d’une scène représentant ce qui peut se produire à l’intérieur. Parmi la foule entassée, on distingue un pasteur venu prêcher au milieu d’un public captif. Une femme corpulente parvenue avec peine à s’asseoir sur un siège à l'avant se retrouve coincée par un homme quasi assis sur ses genoux, tandis qu’un autre passager, derrière elle, vole son argent dans son sac, avant de le remettre à un complice. Ainsi va le monde de tous les jours.

À l'extrémité de l'indigence subie par 90% des Kinois, la richesse s'invente et fait rêver d'une ville opulente. Sammy Baloji en montre une des curiosité à travers une mosaïque d'affiches représentant chacune, de façon criarde, les images de la réussite sociale : grosses voitures, pavillons bourgeois à l'architecture ostentatoire, salons aux meubles cossus, etc. Ces affiches made in China, on les trouve sur les murs des maisons de riches, celles de la nouvelle petite élite bourgeoise.

 

L'écologie, souci artistique. La performance est une autre caractéristique de la pratique artistique à Kinshasa. Eddy Ekete a construit l’Homme Canette, bibendum contemporain détournant l'image positive de la société de consommation. Un même souci anime la jeune artiste activiste Julie Djikey s’est fait connaître du monde entier avec une photo de Pascal Maitre, fixant une de ses performances réalisée à Kinshasa en 2013. Il s’agit d’un portrait aux couleurs saisissantes qui la représente le corps enduit d’une mixture d’huile de moteur et de cendres de pneus brûlés, la poitrine recouverte d’un soutien-gorge composé de deux boites d’huile de moteur récupérées reliées par du fil de fer, et les yeux recouverts de lunettes solaires jaunes. L’artiste a exécuté sa performance en se promenant ainsi parée dans les rues de Bangalungwa, ancien quartier de fonctionnaires, aujourd’hui haut lieu de la sape, pour dénoncer les effets du réchauffement climatique mais aussi le danger des produits cosmétiques très en vogue vendus pour éclaircir la peau et se révélant très dangereux pour la santé.

 

La ville Futur(e). L’utopie afrofuturiste a aussi droit de cité à Kinshasa. Les robots que Bienvenu Nanga a confectionnés en métal et objets trouvés pour l’exposition forment une colonie miniature qui mène droit vers la science-fiction. Un film nous emmène dans un quartier, à l’est de Kishasa, où une très étrange et très haute construction a émergé… sans architecte. La caméra de Sammy Baloji et Filip de Boeck a suivi son auteur, un médecin qui porte le rêve d’y installer des salles de formation pour des élèves aviateurs, un restaurant, des appartements, des bureaux d’avocats, un hôpital, des espaces pour philosophes, inventeurs et poètes… D’un étage à l’autre des dix niveaux de la tour loin d’être achevée, on entend décrire le rêve d’un futur meilleur. Le chantier avance « avec l’aide de Dieu et l’argent des amis », avertit le médecin rêveur.

 

Kinshasa, Chroniques, exposition du 24 octobre au 10 mars 2019 au Musée International des Arts Modestes, 23 Quai Maréchal de Lattre de Tassigny, Sète. L’exposition sera présentée à la Cité de l’architecture et du Patrimoine au printemps 2020.

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