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La Cour d’honneur, une trop grande Cerisaie

par Jacques Moulins
Dans la cour d'honneur, la 75e édition du Festival d'Avignon s'est ouverte avec La Cerisaie, mise en scène par Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage. Festival d'Avignon
Dans la cour d'honneur, la 75e édition du Festival d'Avignon s'est ouverte avec La Cerisaie, mise en scène par Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage. Festival d'Avignon
Arts vivants Théâtre Publié le 12/07/2021
Le prochain directeur du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues, a assuré l’ouverture de la 75e édition avec sa mise en scène de la dernière pièce écrite par Tchekhov, un peu perdue dans la cour d’honneur.

Il pleut sur la ville, règne une langueur monotone que l’apathie des propriétaires de la cerisaie ne vient pas contredire. Tchekhov était pessimiste, la langueur des propriétaires terriens, dépassés par un capitalisme naissant et la révolte des anciens serfs, avait le charme de l’âme russe désuète, de ces dames qui ont brillé par leur beauté dans leur jeunesse, mais ont du mal à vivre dans ce monde turbulent et qui, comme Lioubov, se sachant sans avenir, dépassent leur propre dimension, ce que porte la tragédie. Il pleut ce mardi 6 juillet sur la cour d’honneur, et le public attend à la porte, depuis une heure trente que l’on se décide ou non à jouer sur une scène glissante et dangereuse.

Cette si redoutable scène de la cour d’honneur, immense, chargée d’une histoire féroce que le mur gothique impose quel que soit le metteur en scène qui prétend le séduire, en a vu fléchir plus d’un. Christoph Marthaler, Mathilde Monnier ont, en leur temps, peiné à le conquérir. Le défi était grand pour Tiago Rodrigues, le talentueux metteur en scène et directeur du Théâtre Donia Maria II qui trône en institution avérée sur le Rossio de Lisbonne. Dans un style dépouillé et économe, il a su mettre en scène de nombreuses pièces, dont il est l’auteur, qui tranchent par l’humanité et la solidarité qui s’en dégagent, un respect de l’autre, de sa grand-mère, de la souffleuse du théâtre, du couple de danseurs, qui force l’admiration. Son théâtre d’auteur, de chef de bande, sait emprunter à Shakespeare comme aux tragiques grecs pour construire sa propre forme.

 

Premier étranger à prendre la tête du festival d’Avignon en remplacement d’Olivier Py, Tiago Rodrigues est connu pour sa disponibilité, son écoute, sa gentillesse et sa capacité à entendre les vents furieux et divers qui animent la création européenne. Pour ouvrir la 75e édition du festival d’Avignon, il s’est attaqué à la fois à cette fameuse cour et au répertoire, La Cerisaie en l’occurrence. Le public a apprécié sa manière, mais ses fans ont pu être déçus. Ils ont pu trouver que cent chaises étaient encore insuffisantes pour peupler la cour, que la belle musique d’Hélder Gonçalves n’apportait pas une distance cohérente avec le texte, que les actrices et acteurs se perdaient dans l’immensité du plateau, qu’ils couraient de scène en scène sans parvenir à les lier. Isabelle Huppert interprète une Lioubov qui court pour ne pas laisser la réalité l’attraper, Adama Diop est ce fils de serf qui accumule le capital, Marcel Bozonnet vit avec constance dans le temps passé, Tom Adjibi donne à Epikhodov une malice attachante. Tous remarquables dans leur jeu, ils donnent incarnation à des rôles qui semblent ne pas communiquer entre eux, comme si la pièce était une suite de monologues.

Tiago Rodrigues voit La Cerisaie non comme la fin d’un monde, mais comme le passage à un monde nouveau que les personnages opèrent malgré eux, à l’exception de Lioubov qui, dans sa frivolité apparente, en a conscience. Elle « illumine les changements qui l’environnent » dit l’auteur portugais, « nous sommes ses complices ». Une complicité que Tiago Rodrigues sait d’habitude créer avec le public, mais la communauté ne s’est pas vraiment trouvée dans l’immensité du Palais des papes, en ce jour d’humidité prégnante. Chaque personnage est resté seul, dans son vaste espace scénique, et le public n’a pas pu aider.

 

La Cerisaie d’Anton Tchekhov dans la traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan. Création de Tiago Rodrigues pour le festival d’Avignon. Cour d’honneur du Palais des papes du 5 au 17 juillet (sauf 7 et 13). Avec Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Cairaty, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence.

Du 9 au 19 décembre à Lisbonne, du 7 janvier au 2 février au Théâtre de l’Odéon, les 26 et 27 février à Liège, du 10 au 19 mars à Genève, du 26 au 29 mai au Wiener Festwochen, du 3 au 5 juin à la Comédie de Clermont-Ferrand, du 10 au 12 juin au Holland Festival, du 3 au 14 septembre au TNP de Villeurbanne, du 23 au 25 septembre à la Coursive de La Rochelle.

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