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La radicale Hedda Gabler de Roland Auzet

par Véronique Giraud
Hayet Darwich fait revivre Hedda Gabler dans une mise en scène de Roland Auzet.
Hayet Darwich fait revivre Hedda Gabler dans une mise en scène de Roland Auzet. "D'habitude on supporte l'inévitable" a été créée au théâtre l'Archipel de Perpignan le 21 février 2019. © Christophe Raynaud de Lage
La première vision de
La première vision de "D'habitude on supprote l'inévitable" offre un repas de mariage avec tables et chaises pour une cinquantaine de convives et une estrade pour les musiciens qui donnent la réplique au texte. Tout le monde rit, chahute, bavarde… © Christophe Raynaud de Lage
Au milieu des convives, interviennent musiciens et chanteuses. © Christophe Raynaud de Lage
Au milieu des convives, interviennent musiciens et chanteuses. © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 23/02/2019
Roland Auzet s’est attaqué à l’Hedda Gabler d'Ibsen en créant à Perpignan le 21 février D’habitude on supporte l’inévitable. Mêlée à ses compositions musicales et à des textes de Falk Richter, la pièce servie par la jeune actrice Hayet Darwich radicalise encore une femme qui dit son monde.

S’il est une pièce singulière chez Henrik Ibsen, c’est bien Hedda Gabler. Jouée pour la première fois en 1890, elle n’eut à l’époque aucune reconnaissance en France. Singulière autant que complexe, en raison des infinités possibles de ses interprétations et donc de ses mises en scène. Mêlant la pièce originale à des textes du jeune dramaturge allemand Falk Richter qu’il affectionne depuis longtemps, Roland Auzet s’est attaqué au mythe d’Hedda en créant à Perpignan le 21 février  D’habitude on supporte l’inévitable. Un titre qui résume la pièce en posant l’habitude des convenances auxquels il n’est pas décent de se soustraire, et ce « on » qui fait tout, ce « on » qui dessine la morale et veille à son respect.

Dans l’étouffante et puritaine bourgeoisie norvégienne, Hedda, comme nombre de personnages féminins ou masculins d’Ibsen, rejette son monde, mais n’a rien de révolutionnaire. Elle méprise ses proches, mais n’envisage pas d’être un leader. Elle n’a en fait pas le courage nécessaire pour transformer son quotidien étouffant, et n’entend pas avoir celui de l’accepter. À Loevborg qui voudrait déceler « tout de même une exigence de vie en toi », elle répond en avouant sa « grande lâcheté », mais aussi en le mettant en garde contre elle. Dès lors l’autodestruction est palpable.

 

L'ennui nordique. Dans l’immense et très contemporain théâtre de L’Archipel conçu par Jean Nouvel, la large scène nous offre d’abord un repas de mariage avec tables et chaises pour une cinquantaine de convives et une estrade pour les musiciens qui donnent la réplique au texte. Tout le monde rit, chahute, bavarde… Tout le monde, pas tout à fait. Il en est deux qui dénotent, et pas des moindres. Le marié Jorgen Tesman qui, assuré de sa future nomination à un poste de professeur d’université, a dépensé sans compter pour la noce et l’installation du couple. Et la mariée Hedda Gabler qui positivement s’ennuie. S’ennuie dans la noce, s’ennuie avec son mari, s’ennuie dans sa vie.

Un mari bourgeois « traditionnel » qui songe à sa carrière et à sa position dans le monde. Une femme bourgeoise « traditionnelle » qui, faute d’être vraiment traîne sa dépression ? Ce n’est pas vraiment le propos d’Ibsen, et pas du tout celui de Roland Auzet.

 

Une femme, radicalement. Ibsen, à qui un de ses compatriotes reprochait de ne faire qu’un théâtre de mots, donne surtout langage à cette femme qui bouscule le spectateur. Déjà, l’auteur lui donne ce nom d’Hedda Gabler, alors qu’elle est mariée à Jorgen Tesman et porte donc son nom et pas celui de son père, le général Gabler. Ensuite, il écrit une pièce où tout tourne autour d’Hedda qui, fait rare chez Ibsen, apparaît dans presque toutes les scènes. Roland Auzet renchérit en abondant encore en longs monologues la présence d’Hedda.

Plus que chez Ibsen, dont certains traits apparaissent dans le personnage, c’est donc le portrait d’une femme que porte sur scène Roland Auzet. Une femme radicale, « laboratoire tragique des tentatives d’être », dit-il. Une femme qui dit son monde et le fait avouer à ses proches, comme l’historien Loevborg qui en mourra. Une femme qui dit ses contradictions, mais ne cherche pas à s’y glisser. Au contraire, malgré les propositions, les suggestions, les pièges que lui tendent les autres personnages, elle refuse radicalement. La bourgeoisie tout autant que « la condition médiocre » de la famille de son mari, et le milieu ennuyeux qui l’entoure, mais également la maternité, l’amour et la fuite, elle refuse tout, et dit son mal.

 

Un rôle recherché et redouté. On comprend dès lors à quel point un tel rôle peut être recherché et redouté par une actrice. Ingrid Bergman l’interprètera dans tous les théâtres d’Europe dans une mise en scène de son compatriote et homonyme, le cinéaste Ingmar Bergman. Emmanuelle Seignier mise en scène par Polanski, ou Isabelle Huppert par Éric Lacascade auront également marqué le rôle repris il y a six ans par Katharina Schüttler dans une vision également radicale du metteur en scène de la Schaubühne, Thomas Ostermeier. Toutes artistes confirmées. C’est au contraire une jeune actrice qui a été choisie pour le rôle-titre, Hayet Darwich. Un premier grand rôle, après avoir interprété Notre Innocence de Wajdi Mouawad au printemps dernier au théâtre de la Colline. Avec une voix profonde, elle assure la radicalité, la séduction et la violence du personnage. Elle est soutenue par Sophie Daull, une présence et une diction remarquables, et par la chanteuse et compositrice franco-allemande, Karoline Rose, Gaël Baron et Clément Bresson.

 

 

D’habitude on supporte l’inévitable, d’après Hedda Gabler d’Henrik Ibsen et des textes de Falk Richter. Mise en scène, conception et composition de Roland Auzet. Avec Hayet Darwich, Sophie Daull, Karoline Rose, Gaël Baron et Clément Bresson. Création au théâtre de l'Archipel, scène nationale de Perpignan les 21 et 22 février 2019.

En tournée : MA, pays de Montbéliard les 21 et 22 mars ; le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire les 28 et 29 mars ; Théâtres en Dracénie, Draguignan le 30 avril ; Espace des Arts, Chalon-sur-Saône les 14 et 15 mai.

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