espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Récit > La Scala Paris retrouve la mémoire

La Scala Paris retrouve la mémoire

par Véronique Giraud
Le 11 septembre 2018, la Scala Paris a rouvert ses portes au 13, boulevard de Strasbourg dans le 10e. ©Coll/NAJA
Le 11 septembre 2018, la Scala Paris a rouvert ses portes au 13, boulevard de Strasbourg dans le 10e. ©Coll/NAJA
La Scala Paris en 1873. ©La Scala
La Scala Paris en 1873. ©La Scala
La Scala Paris en 1916. LA SCALA
La Scala Paris en 1916. LA SCALA
EN 1936, le cinéma La Sacla programme
EN 1936, le cinéma La Sacla programme "Un mauvais Garçon" de Julien Duvivier. La SCALA
Dans les années 80, la Scala devient un multiplexe porno. LA SCALA
Dans les années 80, la Scala devient un multiplexe porno. LA SCALA
Arts vivants Interdisciplinaire Publié le 11/09/2018
Longtemps oubliée, une salle parisienne renaît en ce 11 septembre 2018, sous les meilleurs auspices et avec une pléiade d’artistes. La Scala Paris, sur le boulevard de Strasbourg, dans le 10e arrondissement, est prête pour une nouvelle ère de sa longue histoire, aussi étonnante que cahotique, et qui à elle seule vaut bien un roman.

La Scala Paris est de ces lieux nés de la seule volonté d’un riche amoureux des arts. Une amoureuse en l’occurrence. Marie-Reine Roisin, veuve d’un riche industriel du Nord de la France, était fascinée par la Scala de Milan. Elle décida d’ouvrir une salle de café-concert dans la capitale qui porterait le même nom. La salle fut inaugurée en 1873, au 13 boulevard de Strasbourg, dans la perspective de la gare de l’Est. Offrant une réplique de son aînée italienne, avec un parterre, trois balcons bleu et or et une coupole en verre ouvrant sur le ciel, plus modeste avec ses 1400 places. La salle, située dans le quartier des ateliers de confection, est très prisée des négociants venus pour leurs affaires. Jusqu’à la fin des années 20, la Scala Paris programme des spectacles concert, des revues où les danseuses sont très légèrement vêtues, du cabaret politique, des tours de chant de Damia ou Fréhel… En 10 ans, la salle devient la coqueluche du tout Paris, et Aristide Bruant, Mistinguett, Yvette Guibert, Maillol, s’y produisent.

La crise de 1929 vide les salles du boulevard. En 1935, La Scala Paris est rachetée par un exploitant qui mise sur le cinéma parlant. La salle à l’italienne est démolie et, transformée par l’architecte du Palais du festival de Cannes, Maurice Gridaine, devient le premier cinéma Art Déco de Paris avec 1200 places. On y présente en 1936 le film Un mauvais garçon avec Danièle Darrieux. Il fonctionne jusque dans les années 60 et s’éteint avec les œuvres de la nouvelle vague. Dans les années 70, c'est la fin de la fortune des ateliers de confection. Le quartier se paupérise, prostitution, trafic de drogue s’installent, et les bâtiments délaissés sont squattés. En 1977, La Scala Paris sort de l'anonymat, devenant le premier multiplexe porno, avec cinq salles. Au milieu des années 80, le lieu devient un bordel peu recommandable jusqu’en 1999, année de sa fermeture. La Scala aurait pu sombrer dans le passé, n'être qu'un souvenir lointain.

Toujours convoîtée. Au début des années 2000, la secte l’Eglise universelle du Royaume de Dieu jette son dévolu sur la salle et projette de l’acheter. Mais les Parisiens et leurs élus se mobilisent pour que soit préservée son affectation culturelle et, à l’issue d’une longue bataille juridique, la secte religieuse finit par jeter l’éponge en 2006.

C’est Mélanie et Frédéric Biessy qui deviendront finalement les propriétaires du lieu. Le jeune couple a immédiatement été sensible aux vestiges superposés de l’ancienne salle de music-hall, de l’ancien cinéma, de l’ancien multiplexe porno. Y projettent le reflet du goût du XXIe. De la ruine tapissée de fientes de pigeons, le couple rêve de redonner l’éclat d’une salle de spectacle, et que s’y mêlent cirque, danse, théâtre, musique et art contemporain. Frédéric Biessy est producteur indépendant. Sa société Les petites heures travaille essentiellement avec le théâtre public et ses metteurs en scène, dont Luc Bondy, Éric Lacascade, ou encore Julie Brochen. Aux artistes qu’il aime, il a donné la primeur de la visite. Ils sont 200 à avoir arpenté avant travaux le 13, boulevard de Strasbourg, chacun rêvant tout haut à ce que pourrait devenir cette chose précieuse qu’est une salle indépendante. À ce qu’ils pourraient y présenter, que d’autres leur ont refusé par exemple…

Après un achat de 4,5 millions d’euro et trois ans de travaux colossaux qui auront coûté plus de 10 millions d’euros sur les fonds propres de Mélanie Biessy, la Scala Paris ouvrait ses portes le 11 septembre. Parmi les artisans d’une inauguration très médiatique, l’acrobate-danseur Yoann Bourgeois a créé une œuvre in situ, fruit de sa visite du lieu. Simplement intitulée Scala, la pièce a pour décor une réplique symbolique de la salle peinte du "bleu scala" choisi par Richard Peduzzi à qui a été confié l’aménagement intérieur. Une harmonie chromatique parfaite, un nouveau point de suspension exécuté par une danseuse et un danseur, autant de signes qui préfigurent ce que deviendra l’adresse : un lieu hors normes (ses salles de répétition ont nécessité de creuser jusqu’à huit mètres de profondeur sous le théâtre), que les désirs et l’imaginaire des artistes guideront. Thomas Jolly y reprendra en novembre Arlequin poli par l’amour, le tout premier spectacle de sa compagnie La Picola Familia, jamais programmé à Paris. Le pianiste Bertrand Chamayou prévoit d’y jouer des pièces de John Cage, projet qui lui a été refusé par les philharmonies. Autant de pieds de nez à la frilosité d’institutions prestigieuses. Pierre-Yves Lenoir, ancien administrateur de l’Odéon, secondera Frédéric Biessy dans le choix de la programmation.

 

 

Partager sur
Fermer