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Le cirque, éternel indiscipliné

par Véronique Giraud
Sodade ©Deboom:NAJA
Sodade ©Deboom:NAJA
Arts vivants Cirque Publié le 03/11/2017
Dans le domaine des arts vivants, le cirque contemporain est arrivé à maturité tout en continuant à évoluer à la vitesse de l’éclair. Multipliant les propositions, composant avec toutes les disciplines artistiques, véhiculant le dépassement de soi, dans la rue et sous le chapiteau, il représente ce que l’humain a d’indomptable.

C’est le cirque ! L’expression échappe devant le désordre d’une chambre d’enfant ou quand se grippent les rouages d’une organisation. Le cirque peut paraître désuet, avec ses clowns souvent dépassés et ses numéros de domptage des animaux aujourd’hui très décriés. S’il attire toujours autant, c’est parce qu’il a fait sa mue dans les années 80. Porté par des gens du théâtre et de la danse, le « nouveau cirque » s’est vite imposé dans les rangs exigeants de l’art vivant. Les cirques Plume et Archaos en sont les emblématiques initiateurs. L’appel aux autres créateurs de l’art vivant fut fondatrice : « Quand Bernard Turin, directeur de l’école de Châlons, a demandé en 1996 à Joseph Nadj de venir encadrer les étudiants de dernière année, ça a donné Le cri du caméléon. Le chorégraphe était le patron, il a donné sa vision des choses, l’a imposée, et le cirque s’en est trouvé grandi », rappelle Marc Fouilland, qui dirige depuis vingt ans CIRCa Auch et son festival international. Aujourd’hui le cirque contemporain poursuit cette évolution à l’échelle du monde, réinventant sans cesse le langage du corps, celui des sensations, tout en maintenant sa position d’un art insoumis.

 

Un art humaniste hors compétition. Le cirque contemporain garde sa singularité : mettre l’humain à nu, créer la proximité avec le public, et avant tout porter une valeur qui a peu cours aujourd’hui : le dépassement de soi. « Pas seulement le dépassement physique, également le dépassement de ses propres frontières, explique Marc Fouilland. Il y a une façon d’aller vers l’autre, d’essayer de ne pas rentrer dans des systèmes de compétition alors que tout s’y prête. Les circassiens sont des sportifs de très haut niveau, mais n’acceptent pas l’idée de compétition. Ils ont au contraire une logique de collaboration pour aller plus loin ensemble ». Ce qui a touché le co-fondateur du CIAM (Centre international des arts en mouvement à Aix-en-Provence, Philippe Delcroix, lors de sa première rencontre avec le cirque en 1997 sous le chapiteau d’Annie Fratellini, « c’est tout ce que le cirque emporte avec lui autour de l’idée de la transmission d’un art et de valeurs, et autour du regard porté à l’autre ». Si la prise de risque est poussée très loin aujourd’hui, elle n’est pas l’unique ingrédient du spectacle de cirque, mais fait partie intégrante de la part de sensation que partagent artistes et public. Plus que tout autre art vivant, il se vit en direct. Ce qui l’a changé, c’est la narration, la fiction. On parle aujourd’hui de création.

 

Et si les circassiens étaient de grands physiciens ? Scrutateurs des trajectoires d’une balle ou d’un tube métallique, du tournoiement d’une plume, de la chute d’une planche de bois, les acteurs du cirque (on dit « circassiens ») sont des observateurs compulsifs des effets de la gravité. Ils les expérimentent de leurs mains, de leurs pieds, de tout leur corps, debout sur un câble, élancés sur une corde, agrippés d’une seule main à une perche. Ils répètent sans cesse l’opération, comme des physiciens. Eux n’ont rien à prouver, ils veulent montrer ce que tout le monde peut faire, mais qu’eux seuls réalisent à la perfection.

Ça a l’air simple, mais ça ne l’est pas. Ce paradoxe exerce sur le spectateur une troublante fascination. A la dimension expérimentale, ils ajoutent l’esthétique. Leur rapport à l’objet, ou au corps de l’autre, fascine par son intelligence et sa maîtrise. « Pour moi, le cirque contemporain est une discipline qui a encore un énorme potentiel, de création, mais aussi de liens avec les sciences. Avec le CIAM, nous avons voulu montrer que le cirque pouvait dialoguer avec beaucoup de disciplines », estime Chloé Béron. « Nous essayons de générer de nouvelles pistes de recherche. Nous créons des workshops où nous invitons des artistes de cirque et d’autres disciplines, voire des chercheurs, des ingénieurs, des entreprises, pour essayer de générer d’autres idées. »

 

Conserver la piste. Ce renouveau, qui se joue parfois dans des théâtres, pose la question de la piste, le cercle originel, puisque la plupart des salles offre une représentation frontale avec le public. Marie Jolet (Cie Cheptel Alekoum) a fait appel, pour sa création collective Les princesses, aux conseils du metteur en scène Christian Lucas afin d’imaginer une proximité nouvelle avec le public. Rassemblé en petit comité dans le cercle d’une charmante gloriette métallique, le public est invité à ne pas rester passif et expérimente un contact physique avec les artistes. Jonathan Guichard, avec sa création 3D, sollicite le public d’un regard appuyé pour l’aider à maintenir sa planche en bois. Autant d’initiatives audacieuses dans un monde de repli, et qui réveillent l’envie de vivre les choses ensemble.

 

Occuper la rue. Le cirque est et reste un art de la rue. Aux côtés des représentations dans les théâtres et sous chapiteau, celles de la rue maintiennent un cirque insoumis. « Le cirque est obligatoirement politique, affirme Marc Fouilland. C’est d’une part l’autre, c’est aussi la question de la frontière, de la circulation, de projets collectifs, de re-questionner et réinventer des modes de coopération ». Ces projets collectifs trouvent sens et liberté dans la rue, dans une cour de lycée ou de musée, sur une place. S’exprimer parmi les passants, perturber le rythme de la rue, contribuer au rassemblement, donner le vertige, susciter des cris de joie, d’admiration, de peur, tout cela a une portée politique. L’été, les festivals de cirque de rue sont nombreux en France. Drainant les compagnies du monde, l’historique Aurillac, qui cohabite depuis dix ans avec le street-art, Châlons-en-Champagne, qui associe cirque et théâtre de rue, Alba-la-Romaine, fondé par la compagnie Les Nouveaux Nez, La route du Sirque de Nexon, Alès, le transnational Chalon dans la rue, ou encore Scènes de rue à Mulhouse.

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