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Le lauréat de l’Ours d’Or de la Berlinale 2020 ira en prison

par Stoyana Gougovska
There is no Evil remporte le prix de meilleur film à la Berlinale 2020 en absence du réalisateur Mohammad Rasoulof
There is no Evil remporte le prix de meilleur film à la Berlinale 2020 en absence du réalisateur Mohammad Rasoulof
Le réalisateur iranien Mohamad Rasoulof a été récompensé du Grand Prix de la 70e édition de la Berlinale. © Cosmopol FIlm
Le réalisateur iranien Mohamad Rasoulof a été récompensé du Grand Prix de la 70e édition de la Berlinale. © Cosmopol FIlm
La fille de Mohammad Rasoulof en direct avec le réalisateur après la cérémonie des Ours à Berlin. ©Piero Chiussi/ Berlinale 2020
La fille de Mohammad Rasoulof en direct avec le réalisateur après la cérémonie des Ours à Berlin. ©Piero Chiussi/ Berlinale 2020
Cinéma Publié le 12/03/2020
Le réalisateur Mohammad Rasoulof a remporté l'Ours d'or de la 70e Berlinale pour son long métrage "There is no evil". Comme dans ses films précédents, le cinéaste iranien pose un regard critique sur l'autoritarisme du régime de son pays. Cela lui a valu une condamnation de 1 an de prison ferme et 2 ans d’interdiction de tourner.

Le réalisateur Mohammad Rasoulof a été convoqué la semaine dernière pour purger une peine d'un an de prison en Iran, trois jours après que son dernier film a remporté l'Ours d'or du Festival international du Film de Berlin. There is no evil (Sheytan Vojud Nadarad) aborde les conséquences de la peine de mort sur le psychisme des soldats iraniens, forcés d'accomplir les exécutions de prisonniers politiques. Le président du jury Jeremy Irons a remis la prestigieuse statuette à la fille du cinéaste, ce dernier n'ayant être présent en raison d'une interdiction de voyager imposée par le gouvernement iranien. Son passeport lui a été confisqué lors de son arrestation en septembre 2017, à son retour du festival de Telluride. Peu avant, il avait obtenu le prix de la section Un Certain Regard du festival de Cannes pour Un Homme Intègre, un film traitant de la corruption dans son pays.

Accusé d’« activités contre la sécurité nationale et propagande », Mohammad Rasoulof fait l'objet d’une interdiction de tourner pendant deux ans. La peine définitive, à laquelle s'ajoute un an de prison ferme, a été prononcée le 23 juillet 2019. Avant la première mondiale de There is no evil à la Berlinale 2020, le réalisateur ignorait à quel moment elle prendrait effet, ce qui n’a pas tardé. « Me convoquer pour purger ma peine de prison ne révèle qu'une petite fraction de l'intolérance et de la colère qui caractérisent la réponse du régime iranien aux critiques » a déclaré Rasoulof dans un communiqué. « De nombreux militants culturels sont en prison pour avoir critiqué le gouvernement. La propagation généralisée et incontrôlable du virus COVID-19 dans les prisons iraniennes met gravement leur vie en danger. Ces conditions appellent une réponse immédiate de la communauté internationale. »

 

La communauté du cinéma mobilisée. À l’annonce de sa convocation, le monde du cinéma européen s’est réuni pour prendre la défense du réalisateur au nom de la liberté d’expression. Les plus grandes organisations et festivals ont rejoint la Berlinale pour exprimer leur inquiétude profonde. Parmi eux, l’Académie Européenne du Cinéma, le Festival de Cannes, l’Académie Allemande du Film et de la Télévision, le Filmfest d’Hambourg, le Festival du Film Documentaire d’Amsterdam, Le Festival du Film de Rotterdam, Le Fond pour le Cinéma Néerlandais et l’Académie du Cinéma Italien. « Nous protestons fermement contre la convocation de Mohammad Rasoulof et appelons d'urgence les autorités iraniennes à garantir sa sécurité et sa santé » affirme leur manifeste. « Nous demandons également que les charges retenues contre lui soient retirées et que l'interdiction de voyager à son encontre soit levée immédiatement et sans condition et appelons les festivals du monde entier, les cinémas et tous les artistes à faire de même. » Les actions de protestations se multiplient depuis.

 

Une conférence de presse sous tension. Des tensions s’étaient déjà fait ressentir lors de la conférence de presse de la Berlinale qui a suivi la projection du film, à la fin du festival. Un journaliste accrédité s'était exprimé en persan contre la véracité des faits autour du rituel des exécutions de prisonniers politiques. "Ce sont des personnes spécialement affectées, pas des soldats ordinaires qui les font" a-t-il dit. D'autres journalistes ont défendu le réalisateur dans la même langue, rappelant que le film était une fiction, pas un documentaire. Le producteur Kaveh Farnam, qui réside actuellement à Dubaï, a défendu le film avec ferveur et a ajouté que les exécutions en Iran duraient depuis des années, montrant des preuves sur son téléphone portable. Il ne voulait pas révéler les détails sur la façon dont le film a été tourné en Iran, mais les médias ont rapidement dévoilé que la production avait déclaré qu'elle tournerait quatre courts métrages distincts dans différents endroits du pays, aucune autorisation de ce type n'ayant été requise pour ces tournages. Pourtant le film a été monté de sorte que les quatre histoires communiquent entre elles, commençant par un destin sinistre et allant vers plus de lumière et d’espoir vers le final.

 

Le pouvoir de dire non. There’s no evil  n'a pas été sacré grand prix de la Berlinale pour de seules raisons politiques. Le film exprime avant tout des valeurs universelles dans un langage cinématographique maitrisé et avec une sensibilité délicate et complexe. Au-delà du contexte de la peine de mort en Iran, le véritable sujet du film est la beauté et la libération qu’entraine le refus de commettre l’injustice, de dire « non », de déserter. Certains personnages préfèrent fermer les yeux et obéir aux ordres, mais ce n’est pas eux que Rasoulof condamne. Dans une interview en téléconférence pour le festival, le réalisateur raconte que l’idée du film lui est venue quand un jour il a aperçu par hasard dans la rue un de ses bourreaux, connu pendant ses interrogatoires. Il l’a suivi, et la colère qui l’avait envahi au début s’est estompée peu à peu en réalisant qu’il avait devant lui un être humain, autant concerné par sa survie et celle de sa famille que n’importe qui. Et que ce n’est pas cet homme qui portait le « mal », que le « diable n’était pas ici ». Les vrais héros dans There’s no Evil sont ceux qui, au lieu d’exécuter la mission meurtrière qui leur est imposée, lèvent leur fusil contre leurs supérieurs, souvent au prix d’une vie d’exil. Ce sont eux qui, dans le film, atteignent la paix intérieure. Les divers arrangements de la chanson populaire italienne Bella Chao, symbole de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, indiquent clairement dans quel camp se trouve Rasoulof.

 

Un artiste exceptionnel. Mohhamad Rasoulof est l'un des réalisateurs les plus en vue de son pays, même si aucun de ses films n'a été projeté en Iran où ils sont interdits. Ses problèmes avec le Bureau du Procureur Spécial pour les Délits liés aux Médias et à la Culture de l’Iran ne datent pas d’aujourd'hui. En 2011, il avait déjà été condamné à 1 an de prison pour "atteinte à la sécurité et propagande" suite à son film Au Revoir, alors que son collègue et compatriote Jafar Panahi recevait une condamnation à 6 ans de réclusion pour des motifs similaires. Comme l'a récemment déclaré Ulrich Matthes, président de la Deutsche Filmakademie : « Mohammad Rasoulof est un artiste exceptionnel dont les films profondément humains sur la liberté et l'oppression ont touché tant de personnes dans le monde tout au long de sa carrière. Il est un maître du cinéma iranien :  il nous a fourni une riche culture cinématographique avec une des histoires les plus fascinantes sur la condition humaine. Ses films nous parlent de la vie en Iran, et promeuvent également, dans le langage universel du cinéma, l'empathie et la paix. Nous avons besoin que des artistes comme Mohammad Rasoulof puissent élever la voix sans crainte de représailles. »

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