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Le ministère de la culture fête ses 60 ans

par Jacques Mucchielli
L’exposition photo organisée au Palais Royal à l’occasion des 60 ans de la création du ministère de la culture. © Davin/NAJA
L’exposition photo organisée au Palais Royal à l’occasion des 60 ans de la création du ministère de la culture. © Davin/NAJA
Hors-Champs Politique Publié le 26/09/2019
En 1959, après l’avènement de la Ve République, André Malraux est nommé ministre d’État. Le 24 juillet, il a en charge les « affaires culturelles » en prenant des attributions jadis dévolues à « l’Instruction publique ». C’est la naissance d’une exception française.

En 1959, l’initiative française de créer un ministère de la Culture ne ravit guère les voisins européens. Cela sent trop le retour, avec De Gaulle, des appétences du pays pour la monarchie républicaine Et puis, la guerre n’est achevé que depuis quinze ans. Or l’Allemagne hitlérienne, l’Italie mussolinienne, la Russie soviétique étaient alors les seuls régimes qui avaient osé contrôler la création artistique. En France même, malgré l’aura de l’écrivain André Malraux, la décision heurte grand nombre d’artistes et de créateurs qui s’inquiètent de la main mise par l’État sur l’expression et la création culturelle à travers les attributions de subventions.

En fait, à la différence des pays anglo-saxons, la France privilégie depuis longtemps le mécénat d’État sur le mécénat privé. Le roi François Ier puisa largement dans le trésor national pour financer les grandes réalisations culturelles de la Renaissance, des architectures de châteaux aux résidences des artistes italiens. Ce rôle de premier plan joué par l’État dans la culture ne s’est depuis pas démenti. L’État français a créé et gère les manufactures royales de tapisseries, la Comédie française, les académies, les opéras, les bibliothèques, les musées nationaux… autant de lieux de créations qui sont, il est vrai, dans les moments d’autoritarisme, des lieux de contrôle de l’activité artistique.

 

Une triple mission. La IIIe République sera plus circonspecte, privilégiant d’abord la diffusion des arts à tous plutôt que l’aide à la création. Léon Gambetta introduira dans son gouvernement un ministère des arts, mais il ne durera que quelques mois.

La création de la Ve République, réaffirmation s’il en est de la prééminence du rôle de l’État dans la sphère publique, va s’accompagner d’une volonté de rayonnement de la France par sa culture. Il faut pour cela un ministère. C’est Charles de Gaulle qui en a l’idée, indissociable de la personne de son compagnon de résistance, André Malraux. Dans le gouvernement de Michel Debré, André Malraux devient ministre d’État et se voit confier, par décret du 3 février 1959, des attributions qui relevaient auparavant de l’éducation (Arts et Lettres, Architecture, Archives) ou de l’industrie (Centre national du cinéma).

Au mois de juillet suivant, Malraux rédige lui-même l’article premier du décret fondateur d’un ministère qu’il occupera dix ans durant : « Le minis­tère des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Fran­çais ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine cul­turel et de favoriser la création de l’art et de l’esprit qui l’enrichis­sent ». En une phrase les trois missions essentielles sont indiquées : la culture pour le plus grand nombre, la conservation et l’enrichissement du patrimoine, l’aide à la création. Elles n’ont pas changé.

 

CAC et DRAC. Pour y parvenir, Malraux organise son ministère en directions du Théâtre, de la Musique et des Spectacles et comprend tout de suite que favoriser la diffusion impose de décentraliser. Il crée les Maisons de la culture dans plusieurs capitales régionales, les centres d’action culturelle (CAC) et les Comités régionaux aux affaires culturelles qui deviendront les DRAC. Louable, l’objectif est aussi politique : le milieu artistique, massivement partisan de l’opposition de gauche, particulièrement communiste, est ainsi encadré par le biais des nominations et des subventions. Dès lors, ni la gauche où, autour de 1968, le ministère est vu comme un organisme de tutelle de la liberté artistique, ni la droite où l’on conçoit mal l’usage de crédits publics là où ailleurs le mécénat privé fait l’affaire, ne tiennent à conserver cet héritage du Gaullisme lorsque le Général démissionne en 1969. Son successeur Georges Pompidou l’impose cependant, certain que le rayonnement de la France dépend aussi de sa culture.

 

L’après Malraux. Un virage est alors pris : là où Malraux considère qu’il suffit de mettre l’œuvre à disposition de public pour que celui-ci s’en empare, si l’œuvre est assez forte, les ministres qui lui succèdent emploient des mots comme « démocratisation », « politique culturelle », « éducation artistique », « développement culturel ». L’État ne faisait jusqu’à présent que conserver le patrimoine, il se met à construire. Chaque Président de la République voudra marquer Paris de son édifice, comme l’ont fait en leurs temps les rois : Beaubourg pour Pompidou, l’Opéra Bastille, la pyramide du Louvre et le musée d’Orsay pour Mitterrand, le musée du Quai Branly pour Jacques Chirac. Nicolas Sarkozy échouera à faire accepter sa Maison de l’histoire de France, François Hollande attendra un second mandat qui ne viendra pas, et Emmanuel Macron a dématérialisé la pratique en pariant sur son Pass Culture à l’intention des jeunes, une action gouvernée non par le ministère mais par une société à fonds publics.

Le grand bond du ministère se fera avec Jack Lang. Son budget aussi qui passera de 2,6 milliards de francs en 1981 à 13,8 milliards en 1993. Il permettra de donner sa place à la danse contemporaine, de soutenir les artistes notamment par la création des Fonds régionaux d’art contemporain et de nombreuses autres mesures qui libèreront en fait le pays de son carcan académique.

 

73 manifestations. 73 manifestations ont été choisies pour donner un aperçu du travail du ministère au long de ces six décennies. Les unes sont des labellisations de manifestations déjà en place comme le festival des Francophonies en Limousin jusqu’au 5 octobre, les Trans musicales de Rennes (4 au 8 décembre) ou le festival des Rencontres de danses métisses à Cayenne (23 novembre au 1er décembre). Il y a des colloques, sur l’évolution des musées (12 décembre à Pithiviers), les droits culturels (19 et 20 décembre au Louvre), les débats culturels (15 décembre à Beaubourg). Mais aussi des concerts comme celui de la classe de direction d’orchestre du conservatoire de Paris (8 novembre), des spectacles de danse (du 21 au 23 novembre, l’ensemble chorégraphique du Conservatoire de Paris), des expositions sur les artistes face à la Méditerranée (Hyères), la mode et la BD (jusqu’au 5 janvier à Angoulême), l’amour (8 octobre à août 2020 au palais de la découverte à Paris). Des inaugurations sont annoncées comme celle du musée archéologique de Mariana en Corse, et le 5 novembre à l’Opéra-Comique aura lieu le lancement national du label Relax. Toutes les informations sont sur le site du ministère de la Culture.

 

Inquiétudes des acteurs. Mais pour fêter ces 60 ans, les acteurs du monde culturel ont tenu également à se faire entendre. Dans une belle unanimité, les syndicats des producteurs et diffuseurs (le Syndeac, le syndicat des scènes publiques Snsp, Profedim, les Forces musicales) et les fédérations de la culture des confédérations de syndicats de salariés (Cgt, Cfdt, Cfe-Cgc et FO) ont écrit une lettre ouverte au ministre Franck Riester pour dire leurs inquiétudes face à « l’affaiblissement du ministère, la stagnation de ses moyens et l’absence d’ambition politique clairement affirmée » dans un moment où « face aux besoins d'égalité, de protection sociale, de partages, énoncés par les multiples mouvements sociaux persistants, nous aurions besoin d'un ministère fort et engagé dans des missions ambitieuses, au service des publics, de l'égalité d'accès à la richesse et la diversité des créations sur l'ensemble du territoire ».

Une déclaration ambigüe du ministre quant à son attachement aux « labels » qui regroupent plusieurs centaines de lieux et de structures (Centres Dramatiques Nationaux, Centres Chorégraphiques Nationaux, Scènes Nationales, Opéras, SMAC, Cirques, Scènes Conventionnées, Théâtres de ville, Orchestres) a encore mis de l’huile sur le feu.

La lettre ouverte s’inquiète également d’une suggestion du ministre de la Culture : « Donner aux préfets le pouvoir d’agréer toutes les directions des entreprises labellisées, locales sur les territoires. Seule la signature du Ministre peut être gage de la liberté qu’a toujours garantie l’État ». Elle préconise à l’inverse la confiance dans les acteurs et les actrices qui œuvrent à longueur d’année dans la pays : « prenez en compte l'importance du travail formidable des équipes dans les lieux labellisés, conventionnés, les festivals et sur l'ensemble des territoires. Ne videz pas le ministère de ses prérogatives ». La conclusion est sans surprise : « nous aurions besoin d’un ministère fort et engagé dans des missions ambitieuses, au service des publics, de l’égalité d’accès à la richesse et la diversité des créations sur l’ensemble du territoire. Au lieu de cela nous assistons à son renoncement progressif ». On ne saurait être plus clair.

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