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Le Théâtre du Peuple : par l’art pour l’humanité depuis 120 ans

par Véronique Giraud
Simon Delétang refuse les frontières entre amateurs bénévoles et professionnels. Ne formant qu'une communauté, tous se relaient pour partager les tâches. Ici, avant de regagner la scène du théâtre, le directeur tient le kiosque à souvenirs. ©Giraud/NAJA
Simon Delétang refuse les frontières entre amateurs bénévoles et professionnels. Ne formant qu'une communauté, tous se relaient pour partager les tâches. Ici, avant de regagner la scène du théâtre, le directeur tient le kiosque à souvenirs. ©Giraud/NAJA
À l'issue d'une représentation de Littoral, pièce épopée de Wajdi Mouawad que Simon Delétang a choisi pour sa première saison au théâtre du Peuple, le fond de scène ouvert sur la colline boisée continue à jouer de la poésie de la nature.©Giraud/NAJA
À l'issue d'une représentation de Littoral, pièce épopée de Wajdi Mouawad que Simon Delétang a choisi pour sa première saison au théâtre du Peuple, le fond de scène ouvert sur la colline boisée continue à jouer de la poésie de la nature.©Giraud/NAJA
Les lectures et les rencontres du Théâtre du Peuple, à l'ombre des sapins. ©Giraud/NAJA
Les lectures et les rencontres du Théâtre du Peuple, à l'ombre des sapins. ©Giraud/NAJA
Niché dans la forêt de Bussang, le Théâtre du Peuple offre un aspect d'une grande simplicité. ©Giraud/NAJA
Niché dans la forêt de Bussang, le Théâtre du Peuple offre un aspect d'une grande simplicité. ©Giraud/NAJA
Arts vivants Théâtre Publié le 21/08/2018
Le Festival d’Avignon n’existait pas, les théâtres parisiens et de quelques grandes villes égayaient les soirées de la bourgeoisie française. À Bussang, petit village des Vosges, un autre théâtre a vu le jour en 1895 avec des dramaturgies populaires, des textes classiques, des comédiens amateurs et professionnels, dans une ambiance simple et festive. Il rayonne aujourd'hui encore de son humanité avec sa nouvelle équipe dirigée depuis octobre 2017 par Simon Delétang.

Il faut arpenter un chemin en bordure du village pour découvrir la curieuse bâtisse nichée dans la forêt vosgienne où se joue le Théâtre du Peuple. Plusieurs corps de bâtiments en bois s’adossent à la colline boisée, le plus haut arbore sur son fronton une immense Croix de Lorraine et, en lettres blanches, le nom du théâtre. En dépassant la billetterie, on longe une façade évoquant celle d’un chalet, puis une salle ouvrant sur un café et une librairie, avant de se retrouver dans une large prairie où de grandes tables sont prêtes à accueillir les visiteurs et leur pique-nique. La beauté du cadre est saisissante, les grands arbres l’entourent offrant leur ombrage.
Loin de toute urbanité, le Théâtre du Peuple a cédé aux sirènes festivalières, de celles qui attirent touristes et amateurs en été, mais les directeurs qui se sont succédés n’ont pu se départir de l’aura dont a bénéficié Maurice Pottecher en créant ce lieu en 1895. Vision romanesque, porteuse de tous les possibles, du jeune critique musical qui, alors qu’il mène à Paris une carrière d’homme de lettres, décide de revenir dans sa ville natale pour y assumer son amour du théâtre. Les conditions sont favorables : sa famille a prospéré dans l’industrie du couvert et son père occupe la fonction de premier magistrat. Devenant à la fois auteur, acteur, metteur en scène, Maurice Pottecher fait d’abord jouer Molière à des acteurs bénévoles sous le kiosque de la place du village de Bussang. Le succès de l’entreprise l’encourage à reproduire l’événement et, avec le soutien matériel et financier des Établissements Pottecher. Il fait construire en 1895 une salle en bois à ciel ouvert sur une propriété familiale, au milieu des sapins. Alors que les comédiens sont recrutés parmi les ouvriers de l’entreprise, alors que cadres et employés forment le gros du public, l’écrivain joue de ses relations parisiennes pour donner à l’inauguration du Théâtre du Peuple un bel écho dans la presse et les milieux artistiques de la capitale. Soucieux de la renommée du lieu, Maurice Pottecher produit à chaque représentation estivale des photographies des représentations. Les pièces sont publiées, illustrées et, au fil des ans et des générations, le récit de cette aventure hors normes prend un relief qui fascine bon nombre d’observateurs.

 

Un théâtre du peuple où Louis Jouvet fera halte. Le public local est lui attiré par les costumes et les décors captés par la photographie, surpris d’apprendre que certains comédiens appartiennent à la classe ouvrière puis moyenne, s’approprie l’idée d’un théâtre de qualité destiné à un public populaire. Pottecher convainc également quelques grands acteurs du moment de venir se produire sur la scène de Bussang. Et non des moindres : parmi eux le jeune Louis Jouvet ou encore Pierre Richard-Wilm, qui s’était distingué en incarnant Edmond Dantès dans le film Le comte de Monte-Christo de Robert Vernay (1943). À la fois décorateur, costumier et peintre (il avait étudié aux Beaux-Arts), metteur en scène et acteur, Pierre Richard-Wilm décide même d’intégrer la troupe. L’idée d’un artisanat polyvalent, celle d’un théâtre accessible à tous, loin des riches productions parisiennes, a suivi son cours. Étonnamment.

En 1955, Pierre Richard-Wilm prend la suite du fondateur à la direction artistique du Théâtre du Peuple et, à partir de 1970, une dizaine de directeurs s’y succéderont. Le dernier d’entre eux, Simon Delétang, est arrivé en 2017.

 

Simon Delétang, jeune directeur. C’est en intégrant l’été la grande famille des bénévoles que le jeune metteur en scène, pourtant déjà reconnu et directeur du Théâtre de l'Atelier à Lyon, a eu envie de contribuer à l’aventure de Bussang. Il pose sa candidature au Conseil d'administration qui, séduit par son projet, le recrute pour deux mandats de trois ans, le temps de construire une programmation annuelle, des ateliers de formation pour bénévoles et professionnels et d'accueillir des auteurs en résidence, comme Marion Aubert, Pauline Peyrade ou Fabrice Melquiot. Pour le seconder, il fait venir Alice Trousset qui travaillait aux Célestins et Nicolas Hénault pour son expertise technique. Pour le jeune trio, le Théâtre du Peuple résonne comme une expérience humaine singulière qui a tout son sens en ce XXIe siècle.

Le partage de grands textes avec une population que souvent le seul lien au spectacle vivant est ce lieu insolite et généreux alimente leur énergie créatrice. Accomplir le meilleur malgré l’isolement et des moyens limités offre une haute idée de ce que peut offrir le théâtre et ne peut qu’encourager les ambitions les plus pures. Pour Simon Delétang, l’idée d’œuvrer au milieu de la nature a contribué à sa décision. Quitter le très urbain théâtre de Lyon pour la forêt de Bussang et ses 1400 habitants, expérimenter autre chose que ce qui est en cours sur les scènes du théâtre hexagonal.

 

Un théâtre unique en Europe. L’initiative de Pottecher ne s’est jamais reproduite ailleurs. Il y eut entre temps Avignon et Vilar, mais rien de comparable avec ce qui se vit à Bussang. Le grand théâtre est à lui seul un objet spectaculaire. Entièrement construit en bois, avec sa charpente en forme de carène de bateau inversé, ses rangées de bancs pouvant accueillir 1 200 spectateurs, ses lustres, ses inscriptions peintes, dont la devise de Maurice Pottecher : Par l’art pour l’humanité, et, plus surprenant encore, son ouverture en fond de scène qui permet à la représentation de prolonger la fiction dans la réalité de la colline boisée où s’échappent les acteurs, où ils retrouvent d’autres personnages, où un cheval les attend… Le charme agit toujours. Alors que les théâtres ont eu recours aux architectes de renom, celui de Bussang oscille entre grange et salle de bal, entre église et théâtre. Cette bascule entre décor théâtral et décor naturel est unique et contribue à l’impact de la représentation. Dans la salle, assis sur les bancs rustiques, le public local le dispute aux amateurs venus de toute le pays. Fidèles, ils reviennent chaque été pour passer une journée ou deux à Bussang. Entre deux représentations, on prend une collation au bar ou on amène de quoi pique-niquer dans la nature. Nulle envie de partir, plutôt le plaisir de s’attarder dans ce lieu habité. L’évolution du soleil et de l’ombre, tout participe à la fête des sens. Les habitués s’y retrouvent, les nouveaux sont apaisés par tant de simplicité. Et si vous cherchez Simon ou Alice, ils ne seront sans doute pas dans leurs bureaux mais peut-être au comptoir de la buvette, ou au stand souvenirs où le public peut acheter des coussins à l’effigie du théâtre bien utiles pour suivre les représentations. On peut aussi retrouver Simon sur la scène, redevenant acteur le temps d’une pièce. L’un sur scène, l’autre dans les coulisses. C’est le vœu de Simon, heureux d’embrasser la philosophie de son fondateur, que professionnels et bénévoles partagent toutes les tâches et les succès, Par l’art pour l’humanité.

 

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