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Marc Lainé : « continuer à partager l’art c’est malgré tout essentiel »

par Véronique Giraud
Marc Lainé, directeur du CDN La Comédie de Valence © Pascale Cholette
Marc Lainé, directeur du CDN La Comédie de Valence © Pascale Cholette
Arts vivants Théâtre Publié le 29/04/2020
Marc Lainé a pris la direction du CDN La Comédie de Valence en janvier avec un projet interdisciplinaire et participatif. Quelques semaines plus tard, l'artiste se trouve confronté aux exigences du confinement sanitaire, à l'annulation du festival Émergence et au report des travaux du théâtre. L'occasion pour le directeur d’affirmer sa ligne artistique en initiant des projets qui se partagent sur le site.

Vous avez pris la direction du CDN en janvier, où en êtes-vous aujourd’hui ?

C’est une prise de fonction que je n’imaginais pas bien sûr. Le théâtre est fermé, nous avons annulé la saison jusqu’en juin. Avec la plupart des directeurs de CDN, nous avons acté dès le début que tous les artistes et techniciens dont les spectacles ont été annulés seront payés. Quand c’est possible ou que ça semble important pour le lieu, nous reportons des spectacles pour la saison prochaine. Nous le faisons pour trois spectacles : deux coproductions, l'une du collectif Marthe et un spectacle interrompu dans ses répétitions en vue du festival Émergence, et mon propre spectacle, La chambre désaccordée, grâce auquel je devais rencontrer le public de Valence.

Nous devions rouvrir en mars le théâtre avec ma dernière création, Nostalgia Express, conçue pour un grand plateau. Or les lourds travaux initiés début janvier, ont été interrompus et seront reportés. Aujourd’hui nous espérons une réouverture fin avril. Avec de grosses incertitudes.

 

Comment vous organisez-vous ?

La particularité de ma prise de fonction c’est d’avoir à gérer le hors les murs. Ce n'était pas gênant, mon projet pour la Comédie a été choisi pour sa capacité à fédérer d’autres lieux, d’aller à la rencontre d’autres disciplines. L’idée était de créer des partenariats avec toutes les institutions culturelles du territoire. Épaulé par ma directrice adjointe, nous avons établi une belle saison l’année prochaine, avec des liens forts à Valence et son agglomération.

En septembre, nous n’aurons plus la grande salle, nous jouerons à Valence à la Petite fabrique et au théâtre de la Ville, et serons accueillis par le Train théâtre à Porte les Valence, le théâtre du Rhône à Bourg les Valence, et le Lux scène nationale de Romans. J’ai proposé à ces lieux, qui nous offrent l’hospitalité, de rêver à des propositions communes. La saison est donc ponctuée de spectacles que nous coréalisons, que nous accueillons en commun. On en était là le 12 mars quand le tsunami du confinement est arrivé.

 

Vous cumulez les contraintes…

En effet, mais avec une équipe très solidaire. Une partie est en chômage partiel, que nous complétons pour atteindre 100%. Comme nous souhaitons le faire avec les intermittents. L’équipe est en télétravail.

Le plus complexe c’est l’inertie liée à la situation. Ce qui est curieux c’est que les outils numériques offrent normalement une espèce d’immédiateté, et la capacité à communiquer dans l’instant et partout. On s’aperçoit que certaines décisions se prennent beaucoup plus vite autour d’une table.

On n’a pas exigé que les gens prennent leurs congés pendant le confinement, en revanche ce qui est important c’est que des jours de repos soient posés. On a beau être confinés, être en télétravail, on travaille souvent davantage. J’insiste pour que l’équipe s’arrête et souffle. Psychologiquement on ne mesure pas encore la violence de ce qu’on est en train de vivre. C’est comme un « deuil ». Bien sûr en travaillant comme des fous, en maintenant notre enthousiasme on a l’impression de surnager mais à un moment on va le prendre de plein fouet.

 

Quel est l’impact sur le monde de la culture ?

On ne mesure pas encore les conséquences de ce tsunami dans l’économie de la culture quand la vague va se retirer. Pour le moment, l’État s’engage, on va voir jusqu’où il peut le faire. En revanche, les tutelles locales sont inquiètes. Pas pour cette saison, les subventions sont déjà versées, mais sur la saison suivante je pense qu’on aura des coupes.

Ce qui m’inquiète, alors que nous avons tous dès le début affirmé une grande solidarité, ce sont ceux qui vont profiter de la situation, par exemple des collègues de salles subventionnées qui font jouer le cas de force majeure en attendant que l’État se positionne. Or nous sommes en mesure de négocier avec l’État. Heureusement une grande majorité de lieux jouent la solidarité.

 

Dans ces conditions, préparer la prochaine saison est plus périlleux que jamais…

C’est le vertige. Les rumeurs qui viennent d’Italie, ou d’Allemagne où on évoque une fermeture de 18 mois des lieux culturels, déstabilisent. Et la possibilité de règles de distance sanitaires dans les théâtres, comme ça s’est pratiqué en Suisse avec un fauteuil sur deux, un rang sur deux, ce qui revient à des tiers de salle. Qu’est-ce qu’on décide ? Même si les recettes de billetterie, étant subventionnés, ne sont pas ce qui compte (même si elles nous permettent par la suite de créer mieux), est-ce qu’on doit anticiper le déficit de jauge à 1/3 jusqu’en janvier ? En imaginant 50% de recettes la saison prochaine. On a la force, en tant que lieux subventionnés, d’avoir l’assurance d’une constance.

Par contre, s’il y avait une fermeture pendant une saison entière, cela veut dire que tout le monde serait mis au chômage technique, et non partiel. Dans cet inédit, l’État ne paierait pas des gens à ne rien faire, couperait la subvention ou une partie. Là on vivrait un drame très brutal.

 

Comment continuez-vous votre mission ?

Quand on a appris que Président allait annoncer le confinement, on s’est quittés en se disant : on va travailler sur la saison prochaine, on garde de l’enthousiasme. Puis j’ai réalisé que La Comédie de Valence est un lieu de création dont l’équipe a l’habitude d’être soudée et fédérée autour des projets de créations. Assez vite, j’ai proposé une série de projets, de réaliser des propositions numériques personnelles, intimes ou participatives. Ça a vraiment marché auprès du public, il y a une forte demande du côté des projets participatifs. Nous avons eu aussi un relai presse inattendu. La singularité du projet participatif a cristallisé l’attention. Les deux grands axes de mon projet pour la Comédie de Valence sont la transdisciplinarité et le participatif. Je me suis dit que c’était d’ores et déjà l’occasion d’affirmer cette ligne artistique, et donc d’initier des projets d’œuvres, participatives ou non, et potentiellement dans toutes les disciplines.

Personnellement je me suis occupé d’un projet participatif littéraire, Échappées intérieures. Stéphane Zimmerli, notre scénographe, a lui développé un projet graphique qui s’appelle Voyage immobile. Il dessine un lieu mental, réel ou imaginaire, où les participants aimeraient s’échapper. Bertrand Belin produit des chansons, Marie-Sophie Ferdane dit des textes de Bulle Ogier, Eric Minh Cuong Castaing a un projet de clubbing en lien avec la maison de la danse de Marseille… Tous ces projets rencontrent le public, me permettent de rencontrer celui de Valence que je ne connais pas encore, et rallient des participants d’Italie, d’Angleterre. Les réseaux sociaux ont un effet boule de neige. Cela a beaucoup soudé l’équipe. Ces échos lui font du bien, donnent le sentiment qu’on continue à faire notre boulot.

 

L’élan numérique offre une nouvelle dimension du théâtre, il ne s’agit pas pour autant d’art vivant, qui est la rencontre avec le public…

Il n’a jamais été question de faire un succédané de représentations théâtrales. D’ailleurs, sur le site du CDN, il n’y a pas de captations. Pour moi l’idée était d’inventer des formes spécifiques pouvant résonner directement par leur propos avec le contexte actuel, nées de ce contexte. Nous recevons chaque jour plusieurs textes d’une à deux pages A4 que nous passons 1h à 1h30 à relire, corriger, couper, avant de les proposer aux participants pour validation. C’est un réel atelier d’écriture, et tous les artistes qui y participent le font bénévolement. J’ai été heureux de voir que tous, à leur endroit, étaient impliqués, sans hésitation.

En revanche, si la situation devait durer, étant à la tête d’un lieu qui se veut transdisciplinaire, je maintiendrais une activité de création ambitieuse, sur nos plateaux, avec des gestes barrière. Je continuerai à inventer des formes en tenant compte du contexte sanitaire. Il faut entendre les artistes qui disent : arrêtez avec les captations, il faut prendre le temps d’arrêter, notre art c’est l’art du partage, de la rencontre. On vit une situation paradoxale. On doit inventer des formes qui sont l’antithèse de ce qu’on défend. Mais continuer à partager l’art c’est malgré tout essentiel.

Il ne s’agit pas de garder au chaud mon public, je ne le connais pas, je viens d’arriver. En revanche, je ressens très fort que ma fonction c’est de partager des propositions artistiques et de créer du lien.

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