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Marie-Luce Nadal fabrique des nuages

par Julie Delem
L'aquarium, connecté par des tuyaux au toit du Palais de Tokyo se remplit petit à petit de particules fines, des «extraits de nuages ».
L'aquarium, connecté par des tuyaux au toit du Palais de Tokyo se remplit petit à petit de particules fines, des «extraits de nuages ».
Arts visuels Installation Publié le 09/03/2015
Marie-Luce Nadal, artiste-chercheuse, navigue entre outils scientifiques, météorologie et émotions humaines. En partenariat avec les chercheurs en mécanique des fluides de l'ESCPI, elle a mis au point sa Fabrique des nuages, une usine à « extraits de climats ».

La Fabrique des nuages pourrait être une invention mécanique sortie d'un récit fantastique. Celle d'un vieux savant, seul et fou, vivant dans une tour prête à s'effondrer sous le poids de ses curiosités. La machine ressemble à l'aquarium du Dr Frankenstein: Au centre, un phénomène étrange forme des volutes blanchâtres. Bientôt enserré par d'énormes serre-vis, renvoyant l'éclat métallique et brut de l'étain.

Marie-Luce Nadal a mis trois ans pour concevoir cette machine, trois semaines pour la construire. Elle trônait au milieu au Palais de Tokyo, jusqu'au 29 mars, dans le cadre du module de la Fondation Pierre Bergé -Yves Saint Laurent. En janvier, elle était exposée dans le cadre de Capitaine du Futur à la Gaité Lyrique.

« Je suis très attirée par tout ce qui tourne autour du climat, c'est quelque chose d'assez récurrent dans mon travail» raconte Marie-Luce, avec de grands gestes et de grands sourires. « C'est sûrement lié au lieu où j'ai grandi, Perpignan, où il y a énormément de vent. J'ai très vite eu conscience de ces phénomènes qui nous dépassent, de leur côté insaisissable ». Petite, sur la terre de ses parents agriculteurs, elle est chargée d'une mission. Elle allume, dans son jardin, la cheminée à nuages : un propulseur d'iodures d'argent qui en réagissant au contact de l'air, transforment la vapeur d'eau en pluie plutôt qu'en grêle.

 

Extraits de climats. En dernière année de doctorat à l'Ecole normale des Arts Décoratifs (ENSAD), elle a conçu sa Fabrique à nuages aux côtés des chercheurs en mécanique des fluides de l'ESCPI. Marie-Luce Nadal fait le tour de l'objet : Son fonctionnement est « assez simple », décrit-elle. L'aquarium, connecté par des tuyaux au toit du Palais de Tokyo se remplit petit à petit de particules fines, des «extraits de nuages ». « L'air et l'eau de pluie sont récupérés. Différents mécanismes font partie de la machine, comme par exemple, ces petits robots qui permettent d'agiter l'air, de produire du vent pour pouvoir tamiser et favoriser l'extraction. Ces différents protocoles, visibles ou invisibles, sont alors nécessaires à la production de l'essence pure de nuages synthétiques.» Grâce à cette méthode, le nuage artificiel prend toute son ampleur au bout d'un mois. Une fois l'exposition terminée, un échantillon de ces particules ira rejoindre la collection de petits flacons disposés sur le mur. « J'ai des extraits de climats d'Espagne, du Canada, du sud de la France, partout où j'ai posé mes valises. Enfin, je veux dire ma machine... » 

 

Atmosphère. Mais l'artiste-chercheuse ne s'arrête pas là. Pour compléter l'exposition, elle tente de capturer « l'atmosphère de conversations » et de les traduire par des coulées colorées. « J'ai fabriqué toute une série de tests pour élaborer ce qui pourrait être des comportements types sous forme liquide, qui seraient contenus dans des flacons », explique-t-elle en désignant le dessus de la machine. Peu importe si la rigueur scientifique semble s'arrêter brutalement. Marie-Luce Nadal ne semble aucunement gênée de laisser place à l'imagination ou au ressenti, « ces éléments de l'ordre de la vibration ». Son travail, difficilement appréciable sans quelques explications, contient une clé de voûte, finit-elle par lâcher. « J'étudie les différentes acceptions de l'atmosphère : car l'atmosphère, c'est cette sphère de vapeur qui nous permet de respirer, d'être vivant. C'est aussi à une plus grande échelle cette atmosphère commune et collective, cette couche protectrice autour de la planète. Mais cela peut-être aussi une sorte d'état entre plusieurs personnes, qui peut être bienfaisant ou aller jusqu'à l'étouffement, à l'oppression. »

 

"La Fabrique des nuages", Marie-Luce Nadal.
Les Modules de la Fondation Pierre Bergé -Yves Saint-Laurent. Jusqu'au 29 mars 2015 au Palais de Tokyo, 75016 Paris

 

Bio :

Intriguée par les « forces mystérieuses » des éléments aériens depuis son enfance, la jeune Marie-Luce empoche son bac et se dirige, joyeuse, vers des études d'architecture. Diplômée, elle travaille quelques mois en agence. Avant de tout plaquer. « Ce qui m'a beaucoup plu dans les études d'archi, c'est cette liberté de créer des formes qui n'ont pas toujours une utilité directe. Ca a été un peu la désillusion en arrivant dans le monde du travail. » Marie-Luce Nadal reprend ses études à l'Ecole normale supérieure des arts décoratifs (ENSAD), en master scénographie. « J'ai toujours aimé le théâtre, la danse, que je pratiquais en parallèle », commente-t-elle face aux étonnés. « Tout ce que j'ai pu faire aux Arts Déco tournait toujours autour du climat. Pour pouvoir en parler, j'en suis venue à faire une sorte de théâtre d'objets qui prenait la forme d'un voyage à travers les éléments météorologiques ». Le master empoché, elle profite de l'ouverture en 2012 du doctorat par la pratique SACRe, mêlant arts et sciences au sein du laboratoire de l'ENSAD. Depuis, elle partage son temps entre sa résidence à la Cité internationale des Arts de Paris, les Arts Décoratifs et le laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes de l'ESCPI.

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