espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Analyse > Marseille en mal de politique culturelle (2/4)

Marseille en mal de politique culturelle (2/4)

par Pierre Magnetto
La Friche de la Belle-de-Mai, structure qui a gagné sa pérennité. © Mucchielli/Naja
La Friche de la Belle-de-Mai, structure qui a gagné sa pérennité. © Mucchielli/Naja
Arts vivants Interdisciplinaire Publié le 21/02/2018
« Marseille Provence 2018, Quel amour ! » a réuni pour son lancement 45 000 personnes sur le Vieux-Port. Cela grâce à la détermination des acteurs de la culture et de l'économie régionale et, en dépit de la municipalité qui, comme le souligne un rapport de la Chambre régionale des comptes, n’a pas su pérenniser les acquis de Marseille-Provence 2013, à l’inverse de Lille, capitale européenne de la culture 2004.

Le 12 janvier 2013 tout avait commencé par La grande clameur, un cri du cœur lancé par une foule immense sur le Vieux-Port, sur la Canebière, sur les places et dans les rues adjacentes, pour marquer le lancement de Marseille Provence capitale européenne de la culture. Cinq ans plus tard, c’est à un Grand baiser qu’étaient invités les marseillais pour le lancement, le soir de la Saint-Valentin, de Marseille Provence 2018, Quel amour ! La manifestation qui durera jusqu’au mois de septembre, va tenter de rallumer une flamme trop vite éteinte au lendemain de MP 2013, même si la plupart des élus, des responsables de la culture et des acteurs économiques l’affirmaient après que le rideau soit tombé, « il ne faut pas en rester là ! ».

Une demie-décennie plus tard, la métropole parviendra-t-elle à répondre au défi qu’elle n’a pas su relever alors qu’elle bénéficiait de près de vingt fois plus de moyens qu’aujourd’hui ? Parviendra-telle à se projeter dans l’avenir en déployant une activité culturelle pérenne, porteuse de développement culturel bien sûr, mais aussi social et économique ? C’est en tout cas ce que souhaitent les organisateurs, regroupés au sein de l’association Marseille Provence culture.

 

La ville parle, mais fait le moins possible. A l’initiative, les 15 plus grandes structures culturelles du département qui aujourd’hui pilotent le comité d’orientation artistique de la manifestation et, les acteurs économiques et universitaires avec leurs associations et représentations : Mécènes du Sud, le club Top 20, la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence et Aix-Marseille Université (AMU). Ils ont mobilisé un budget de 5,5 millions d’euros (92,6 millions d’euros en 2013), financés pour 50% par les entreprises et partenaires privés, pour 14% par des recettes exceptionnelles correspondant au solde de MP 2013 et, pour 36%, par des subventions publiques. Le département contribue à hauteur de 1 million d’euros, la région de 500 000 euros, l’Etat via la direction régionale des affaires culturelles de 200 000 euros et, Aix-Marseille-Provence métropole et la ville de Marseille, de 300 000 euros. Tout est dans ce dernier chiffre qui semble bien timoré au regard des enjeux : les sites et manifestations de MP 2013 avait accueilli près de 11 millions de visites et environ 2 millions de touristes supplémentaires qu’en temps ordinaire. Les retombées économiques avaient été estimées à l’époque à 500 millions d‘euros. S’il y a cinq ans la métropole et la ville avaient mobilisé 25 millions d’euros (dont 17 millions à la seule charge de Marseille), soit plus du quart du budget de l’association Marseille Provence 2013, aujourd’hui elles se montrent particulièrement pingres.

Faut-il s’en étonner ? Dans de nombreux domaines, la gestion de la ville ne cesse de défrayer la chronique. Pour rattraper ses retards d’investissements dans des écoles devenues trop petites, trop insuffisantes, trop délabrées et parfois insalubres, la ville a été poussée par l’Etat à réagir. Elle a lancé en octobre dernier un plan de 1 milliard d’euros, dans le cadre inédit pour le bâti scolaire d’un partenariat public-privé. Il y a quelques jours, alors qu’elle a été en 2017 Capitale européenne du sport, un rapport de la Chambre régionale des comptes est venu l’épinglée pour sa gestion des piscines. Les magistrats relèvent notamment une « offre existante qui s’est considérablement dégradée », l’absence depuis 2008 de réalisation de nouveaux équipements. Ils soulignent aussi, que si un plan d’investissement a été lancé en 2010, seulement 5% des budgets avaient été engagés fin 2015. A l’heure où s’ouvre MP 2018 deux des principaux musées municipaux, le MAC et le musée Cantini, font l’objet d’importants travaux pour ne pas avoir été suffisamment entretenus pendant des années et, une enquête de l’Inspection générale des services est en cours suite à des dénonciations anonymes d’emplois fictifs dans le service municipal des musées.

 

L’avis sévère de la Chambre régionale des comptes. Pour autant, comment expliquer que l’élan suscité en 2013 ait été stoppé ? « L’absence de structure pour donner une continuité à l’année capitale, plus d’un an après sa clôture, fait craindre une retombée de l’impulsion donnée », prévenait la Chambre régionale des comptes fin 2014, dans un rapport consacré à la gestion de l’association. « De surcroît, des obstacles tant conjoncturels (changement de certaines équipes municipales et contexte budgétaire contraint) que structurels (débats sur la question métropolitaine) pourraient obérer la réussite de l’après 2013 et donc la nécessaire pérennisation des effets positifs induits par l’année capitale européenne de la culture à Marseille », ajoutait-elle. Et c’est là le constat le plus accablant, l’avertissement n’a pas été suivi d’effet. Par ailleurs l’institution relevait d’inévitables manquements. L’absence de mise en concurrence sur des marchés qui, cumulés, représentaient plusieurs millions d’euros. 100 000 euros de frais de déplacements entre son domicile parisien et Marseille et d’hébergement pour le premier directeur de l’association resté en poste de 2007 à 2011 : une « prise en charge irrégulière ». Le recours à des CDI ordinaires plutôt qu’à des CDI Intermittents, qui « a généré au final un coût de sortie de 1,9 M€, non prévu dans le budget initial de candidature, avec notamment des ruptures conventionnelles dont les fondements et l’intérêt financier pour l’association apparaissent particulièrement discutables ». Pour terminer, au terme de l’année capitale, le surcoût total généré s’élevait à 3,1 millions d’euros.

 

La détermination des acteurs de la culture. On ne peut pas dire que rien n’ait été fait dans la continuité de 2013 pour tenter de rester dans la dynamique. En 2014, à l’initiative de la Chambre de commerce, un groupe de travail avait vu le jour, le groupe "PERLE 2014" (Pour ne pas en rester là), dans le but de capitaliser sur l’événement et bâtir un après. Acteurs économiques et culturels étaient de la partie, mais manquaient à l’appel les collectivités. « PERLE 2014 n’a pas de représentant politique dans sa première phase, c’est uniquement à cause des élections municipales », expliquait alors la chambre de commerce. Comme le prédisait de manière explicite la Chambre régionale des comptes, le calendrier électoral s’est avéré incompatible avec la mise en œuvre d’un projet de territoire autour de la culture : municipales, européennes, sénatoriales en 2014, départementales et régionales en 2015. Les travaux du groupe PERLE n’ont débouché sur rien de concret. Ce sont toutefois les mêmes protagonistes qui ont relancé la machine.

Quand ils impulsèrent en 1985 le programme européen de capitale de la culture, les ministres grec et français de la culture, Mélina Mercouri et Jack Lang, avaient en tête de rapprocher les Européens en promouvant la diversité culturelle des pays membres. La désignation d’une ville devait faire office de catalyseur pour son développement culturel. Nombreuses ont été les capitales à savoir se saisir de cette opportunité depuis. Exemple avec Lille en 2004 qui, dès son année capitale terminée, a mis en place Lille 3000, association devenue le bras armé de sa politique culturelle. Elle fédère aussi bien les acteurs culturels, que les collectivités ou le monde économique, le mécénat représentant 40% de son budget. Tous les 3 ans depuis 2006 elle organise autour d’un thème particulier et pendant plusieurs mois de grandes fêtes populaires, des événements multiples, interrogeant des domaines divers : l’économie et les nouvelles technologies, l’art de vivre en ville et la construction de la ville de demain, la spiritualité, et plus généralement les questions de société et de civilisation.

Une nouvelle opportunité pour un projet culturel sur le territoire. Marseille n’a pas su en faire autant même si la Chambre régionale des comptes lui avait mis la puce à l’oreille. « Il semble indispensable que la ville de Marseille, qui a vu son offre culturelle s’accroître le plus significativement, cherche à mettre en adéquation sa politique culturelle avec cette nouvelle donne, notamment pour maintenir un niveau de fréquentation suffisant, afin de couvrir les frais de fonctionnement générés par ces équipements », suggéraient les magistrats. Ils soulignaient aussi que « l’opération MP 2013 n’a pas permis de déplacer le centre de gravité de la culture marseillaise en prenant mieux en compte les quartiers nord et est de la ville », là où résident une bonne part des habitants des milieux populaires. Le 1er septembre prochain, Marseille Provence 2018 tirera sa révérence, à voir si cette fois Marseille et la métropole sauront mettre en œuvre un vrai projet culturel à l’échelle du territoire. La ville accueillera en 2020 Manifesta, une des principales biennales d’Europe consacrées à l’art contemporain. L’opportunité, peut-être, de rebondir.

 

*Le comité d'orientation artistique de Marseille Provence 2018 est composé de quinze personnalités dirigeant les principales structures ou événements artistiques et culturels à l’échelle de la métropole : Alain Arnaudet, directeur de La Friche la Belle-de-Mai, Dominique Bluzet, directeur de quatre théâtres entre Aix et Marseille, Gilles Bouckaert, directeur de la scène nationale des Salins à Martigues, Jean-François Chougnet, président du Mucem, Bernard Foccroulle, directeur du Festival d'Aix-en-Provence, Jan Goossens, directeur du Festival de Marseille, Hugues Kieer, coordinateur du festival Marseille Jazz des 5 continents, Macha Makeïe , directrice du théâtre national La Criée, Pascal Neveux, directeur du FRAC PACA, Francesa Poloniato, directrice de la scène nationale du Merlan à Marseille, Pierre Sauvageot, directeur de Lieux Publics, Sam Stourdzé, directeur des Rencontres internationales de la Photographie d'Arles et Pierre Vasarely, président de la Fondation Vasarely.

Partager sur
à lire aussi

MARSEILLE CONTRE MARSEILLE (1/4) MP 2018, QUEL AMOUR ! MARSEILLE S'AFFICHE EN CRÉATIONS MARSEILLE CONTRE MARSEILLE (3/4) : DES MUSÉES À L'ABANDON ? MARSEILLE CONTRE MARSEILLE (4/4) : LA VILLA MEDITERRANEE EN DESEQUILIBRE ORIGINEL
Fermer