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Mathieu Pernot : « La photographie, un contact direct avec le monde »

par Véronique Giraud
Le photographe Mathieu Pernot, premier artiste en résidence au Collège de France, devant le 3e accrochage dans le foyer de l'institution parisienne. ©Giraud/NAJA
Le photographe Mathieu Pernot, premier artiste en résidence au Collège de France, devant le 3e accrochage dans le foyer de l'institution parisienne. ©Giraud/NAJA
En écho à l'accrochage qui a réuni le 8 juin les images de migrants de Mathieu Pernot et celles des statues cachées de Mohamed Abe, les deux artistes ont recouvert la statue de Champollion dans la cour du Collège de France. ©Giraud/NAJA
En écho à l'accrochage qui a réuni le 8 juin les images de migrants de Mathieu Pernot et celles des statues cachées de Mohamed Abe, les deux artistes ont recouvert la statue de Champollion dans la cour du Collège de France. ©Giraud/NAJA
Arts visuels Photographie Publié le 23/06/2018
C’est dans l’air du temps, le Collège de France noue des liaisons intimes avec le monde de l’art. Après une chaire annuelle de création artistique, inaugurée en 2005 par l’architecte Christian de Portzamparc, l’institution fondée sous François 1er a ouvert toutes ses portes à un artiste pour une résidence hors normes. Le photographe Mathieu Pernot a accepté de mesurer sa pratique à ce lieu de savoir.

Que peut bien faire un artiste au Collège de France ?
Je crois, du moins j’espère, que je produis un objet qui sort d’une case particulière qui serait celle de la photographie ou de l’art contemporain, ou de l’anthropologie. Ce que je réalise n’est pas seulement photographique. J’ai fait une école de photographie, je suis affectivement photographe. Dans ce médium, je reconnais un contact avec la réalité qui m’est nécessaire, ensuite, au gré des projets, les formes qui surgissent diffèrent.

Votre façon de montrer votre travail est-elle liée au lieu dans lequel il est exposé ?
Très rarement. Mais c’est ce qui arrive au Collège de France. Ce n’est pas un lieu où les gens viennent pour voir une exposition. C’est un lieu du savoir en train de se faire. Ici, l’idée est de montrer un travail en cours. J’ai donc proposé de faire, tous les deux ou trois mois, une restitution du travail produit, sous la forme d’un accrochage assez simple. Symboliquement, le foyer est un peu mon atelier, j’y montre les choses qui se font. Elles sont vues par des gens qui la découvrent sans savoir qu’elle est là, par tous les gens qui traversent le foyer pour aller aux cours ou donner des conférences. Je considère l’exposition comme un laboratoire, comme un atelier qu’il est intéressant de visiter au moment d’un événement, le vernissage ou autre. Par ailleurs, le mur est vu par tous les gens qui traversent le foyer pour aller aux cours ou donner des conférences.

Qui a eu l’idée de cette résidence ?
Ce qui a rendu possible cette aventure c’est ma rencontre avec Alain Prochiantz. En lui parlant de mes projets, et après qu’il ait vu les Cahiers afghans, cela a fait écho à ce qui se fait à l’intérieur de cette institution. Notamment l’Institut des civilisations qui, placé sous la tutelle du Collège de France, conserve des quantités de textes et d’objets de nombreuses cultures. Alain Prochiantz m’a proposé de partir à l’aventure, de créer avec moi une résidence d’artiste, et de voir ce qui va se passer.

Toutes les portes vous sont ouvertes ?
Oui, aucune entrave. Rien de spectaculaire mais on se dira peut-être plus tard : il s’est passé des choses à une période dans le foyer. J’ai rencontré plusieurs professeurs du Collège de France et nous allons produire des choses ensemble. C’est ça l’enjeu de cette résidence. Produire quelque chose qui soit aussi un objet de savoir, dont des gens qui sont sur d’autres terrains peuvent se saisir pour réfléchir autrement.

Un vernissage a eu lieu le 8 juin, que donnent vos restitutions ?
Il était pour moi nécessaire que le travail que je fais au Collège de France rencontre celui de l’institution. Une résidence d’artiste au Collège de France ne peut pas ressembler à une résidence dans un centre d’art. J’ai proposé qu’on me construise un mur dans le foyer. Je l’investis régulièrement, sobrement. Le 8 juin, c’était le 3ème accrochage. Il est le produit de ma visite de l’atelier des artistes en exil où j’ai découvert le travail photographique de Mohamed Abakar. Moi, Français, qui découvre des migrants qui s’enveloppent de draps ou de couvertures pour se protéger du froid et qui les photographie. Lui qui découvre qu’en France on recouvre des statues pour les protéger de l’hiver tandis qu’on laisse les réfugiés dans la rue, qui photographie des statues bâchées. Je trouve ça formidable que quelqu’un qui vient d’une culture complètement étrangère, à laquelle on ne comprend rien, qui n’a pas le même âge que moi, n’est pas dans la même situation, a la même réaction que moi. C’était très fort de sentir qu’on a en commun des choses sans avoir la même culture. Mohamed Abakar était présent au vernissage, avec des amis réfugiés, Soudanais et autres, et des gens de L’atelier des artistes en exil. Des gens du Collège de France, mes amis, des gens du monde de l’art et de la photo étaient là. C’était un vrai plaisir de voir des migrants soudanais au Collège de France se faire photographier à côté de professeurs. Pour moi, c’est une belle image.
Les mots écrits sur le mur sont ceux de Mohamed Abakar, il a écrit ce texte pour accompagner ses photos et je trouve qu’il discute complètement avec le mien. Moi j’avais des images encadrées, lui non. Il fallait le même traitement. Encadrer les siennes était coûteux, on a donc décidé de les imprimer sur un même support. Même nos images interagissent.

Que s’est-il passé autour de la statue de Champollion ?
Quand Alain Prochantz nous a vu en train d’accrocher, il nous a dit en plaisantant : vous auriez dû enrober Champollion. Il y a une polémique autour de cette sculpture au centre de la cour du Collège de France. Elle montre Champollion dont le pied repose sur la tête d’un pharaon. C’est vraiment l’image de la domination conquérante du monde occidental. À tel point que l’Égypte avait demandé à ce que l’œuvre soit enlevée. Lors de sa leçon inaugurale, l’historienne Bénédicte Savoy a justement parlé de cette sculpture, disant que c’est vraiment l’image de l’Occident qui qui va dépouiller des pays de leur patrimoine, sans rien demander. Une réflexion qui fait écho en cette période où se pose la question de la restitution des œuvres d’art. D’où l’idée d’une performance improvisée avec Mohamed. Moi un Français, lui un Soudanais (assez proche de l’Egypte) recouvrant ensemble la statue de Champollion. Nous l’avons fait juste avant le vernissage. C’est à la fois drôle et symbolique

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