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« Moffie », les violences de la virilité toxique

par Stoyana Gougovska
Moffie traite le thème de l'oppression de l'armée sur la jeunesse Sud Africaine
Moffie traite le thème de l'oppression de l'armée sur la jeunesse Sud Africaine
L'équipe de film Moffie à la Mostra di Cinema de Venise
L'équipe de film Moffie à la Mostra di Cinema de Venise
Le film d'Oliver Hermanus a été acueilli avec émotion par le public à Venise
Le film d'Oliver Hermanus a été acueilli avec émotion par le public à Venise
Cinéma Film Publié le 12/09/2019
"Moffie", du réalisateur sud-africain Oliver Hermanus, a été accueilli avec beaucoup d’émotion à la 76ème Mostra de Venise. Le film adopte un point de vue rarement abordé, celui de l’oppression pendant la période de l’apartheid subie par les jeunes blancs homosexuels, persécutés par l’armée du régime.

Moffie est une co-production de l’Afrique du Sud et de l’Angleterre. Réalisé par Oliver Hermanus (Beauty, 2011, La rivière sans fin, 2015), le film a été présenté dans la section Orizonti du 76ème Festival International du Film à Venise. En présence du réalisateur et d'une dizaine de ses jeunes acteurs, pour la plupart non professionnels, le film a été acclamé par une longue ovation. Basé sur la nouvelle autobiographique d'André Carl van der Merwe, parue en 2006, il traite d'une problématique qui n'avait jamais été abordée dans les films sur l’apartheid : le destin des adolescents envoyés à la guerre pour défendre le régime. Dans Moffie, ce tragique plan de l’histoire sert de cadre au thème beaucoup plus universel de la virilité toxique qui persiste et des luttes que les homosexuels ont à mener.

 

Formés pour haïr. L’histoire nous ramène à 1981, quand le gouvernement minoritaire blanc de l’Afrique du Sud doit faire face à la guerre menée à la frontière angolaise. Comme c'est l'obligation pour n'importe quel garçon de plus de 16 ans, Nicholas Van der Swart (Kai Luke Brummer) effectue deux ans de service militaire. Des commandants dont l'imagination est la seule limite à leurs violences vont lui imposer l’idéologie du suprématisme blanc, l’intolérance raciale et le désir de purifier la société sud-africaine de l'homosexualité et du communisme. Pour Nicolas cependant, toute cette haine ne veut pas dire grand-chose. S’efforçant de survivre à la brutalité de la vie dans l'armée, sa tâche devient de plus en plus difficile quand une relation amoureuse naît entre lui et une autre recrue. Au même moment, il est témoin du traitement extrêmement violent imposé par des supérieurs envers deux garçons de son régiment, suspectés d’être homosexuels. Sa seule alternative est d’anesthésier tout sentiment en lui et il s'efforcera d'adopter malgré lui la devise dont l’armée sud africaine est si fière : « Nous ne ressentons rien » (« We feel nothing »). Une phrase qui signifie que la formation militaire est réussie et que les garçons sont devenus « des hommes ».

 

Dans la peau de l'oppresseur. Il y a quatre ans, à la lecture de la nouvelle d'André Carl van der Merwe, Hermanus a commencé à s'intéresser au destin des homosexuels au sein de l’armée sud africaine puis décide d'en faire un film. Pour le réalisateur, établir une connexion avec cette société d’hommes blancs sud-africains, à laquelle il ne s’identifie pas, n'est pas une tache facile. Lui-même est né d’un mariage mixte et c’est cette même société qui a opprimé sa propre famille dans les années 80 : « Je voulais me mettre à la place de ces adolescents de l’époque et montrer qu’eux aussi étaient opprimés d’une certaine façon. Quand on parle d’oppression en Afrique du Sud on pense souvent au noirs, pas aux blancs. C'est pourquoi mon film raconte l'histoire de garçons blancs, âgés de 18 ans à peine, qui doivent faire face à leur être illégal. »

 

La virilité toxique. Pour le réalisateur, le thème dominant de Moffie reste celui de la virilité toxique, avec les dégâts qu'elle engendre : « C’est l’histoire de comment les hommes sont faits. Pas seulement en Afrique du Sud, mais les hommes en général. Je me suis intéressé à la façon dont l’armée fonctionnait dans les années 80, mais le film reste surtout une conversation sur la virilité et la virilité toxique. Sur certains systèmes dans ce monde, sur la façon dont nous sommes programmés, les violences en raison du genre, le patriarcat, la misogynie. On doit se questionner sur ces sujets et comment on crée ces choses. La peine et la douleur des hommes sont aussi abordées. Le fait de ne pas pouvoir s’exprimer, c’est ça mon inspiration. »

 

La violence d'un mot. De manière plus personnelle, Oliver Hermanus a impliqué dans le film, dès le titre, le rapport que chaque homosexuel sud-africain a avec ce mot : moffie. En afrikaans, c’est le terme péjoratif pour désigner un homosexuel, comme il existe un dans la plupart des langues. Le réalisateur explique sa signification : « Ce mot est une arme de la honte en Afrique du Sud, il est utilisé pour opprimer les homosexuels ou les hommes efféminés. Quand vous êtes désigné de moffie pour la première fois, vous commencez à vous cacher, vous changez de personnalité et vous prétendez être une autre personne. La honte est instantanée, avec la conscience que vous êtes soudainement devenu visible, que les gens peuvent vous reconnaître. Autant que vous le sachiez, le sens de ce mot est que vous avez tort, vous êtes rejeté, répugnant, inacceptable, et pendant l'Apartheid vous êtes un criminel, tout comme un homme ou une femme noirs. Et puis vous devez le cacher et l'enterrer, vous devez tuer le moffie qui vit en vous. »

L'identité et la sexualité sont des sujets beaucoup plus abordables aujourd’hui qu’en 1981, mais pour Oliver Hermanus les signes de progrès sont fragiles : « Nous vivons dans un monde où la persécution des communautés LGBT existe encore, pourtant leur voix n'a jamais été autant écoutée qu'aujourd'hui. Des films comme Moffie ont pour tâche de nous rappeler comment c'était auparavant, de la souffrance que nous avons dû endurer et pourquoi il est important de ne jamais cesser de faire entendre notre voix et d’être fiers. »

Moffie est le quatrième long métrage réalisé par Oliver Hermanus, après ses débuts en 2009. Le premier, Shirley Adams, a été présenté Festival du film de Locarno, le second Skoonheid / Beauty fut accueilli au Festival de Cannes en 2011, dans la section Un Certain Regard, où il a reçu le Queer Palm. La rivière sans fin, présenté en 2015 à la Mostra de Venise, fut le premier film sud-africain invité à la compétition.

 

Moffie (Oliver Hermanus, 2019) présenté par la Sélection Orizonti de la 76ème Mostra de Venise. Prochainement en salle.

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